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Chapitre I : Etudes de cas au niveau des filières

3. Le chanvre industriel : une filière de niche face à la concurrence des produits en aval

3.1. Le chanvre industriel : l’émergence d’un nouveau débouché

3.1.1. Des surfaces qui se maintiennent pour différents débouchés

La France est actuellement le premier pays producteur de chanvre en Europe. Dans les années 2000, entre 8 et 12 000 ha sont mis en culture dans l’hexagone chaque année (0,03% de la SAU). La culture de chanvre représente en France environ 1000 producteurs, répartis dans cinq grands bassins de production, organisés autour du positionnement géographique des unités de première transformation : la Chanvrière de l'Aube (LCDA) avec 3 260 ha, Agrofibre en Haute-Garonne avec 1 337 ha, la Cavac (Vendée) avec 449 ha, Agrochanvre (Manche) avec 260 ha et Eurochanvre (Haute-Saône) avec 387 ha en 2010. A ces cinq bassins s’ajoutent des surfaces regroupées autour de petites unités de transformation, généralement la propriété de groupements de producteurs ou d’artisans, pour un usage local de la fibre et de ses coproduits (Figure 52).

Figure 52. Localisation géographique de la production de chanvre en France (Source : (Bertucelli, 2011))

La répartition géographique de la production, essentiellement destinée au marché intérieur, correspond à une évolution des débouchés pour le chanvre, dont le bassin historique de production est situé dans l’Aube, à destination de l’industrie textile et de l’industrie papetière. L’émergence de nouveaux marchés liés aux différentes utilisations possibles de la plante dans les années 2000 (section 3.1.1.1) ne va pas générer de forte croissance de la surface cultivée totale, mais en modifier la répartition (3.1.1.2).

3.1.1.1. Les différentes utilisations du chanvre : vers les panneaux d’isolation

Les nouvelles utilisations potentielles de la plante dans de multiples industries (Figure 53) a conduit les opérateurs à diversifier leurs activités pour tenter de capter une meilleure valeur ajoutée sur ces marchés. Les différentes parties de la plante représentant un ou plusieurs marchés potentiels, les opérateurs déjà établis dans la production, comme LCDA, aussi bien que les nouveaux comme Euralis ou la Cavac, ont investi dans des actifs spécifiques, en machinisme (machines pour la récolte de la paille et de la graine, unités de transformation) ou en acquisition de connaissances (formations). Les trois parties de la plante valorisables sur ces marchés sont la filasse et la chènevotte (issues du défibrage de la paille) et le chènevis (graine) :

- La paille (tige) qui est composée de deux parties que l’on doit séparer afin d’en utiliser toutes les

composantes :

o la filasse (fibres de cellulose) : ces fibres sont exploitées pour l’essentiel par l’industrie

papetière (70% des débouchés de la filière chanvre), mais aussi par les industries textiles (peu exploitées de nos jours) et automobile (fibres dans certains plastiques comme les carrosseries) ;

o la chènevotte (cœur de la tige) : la partie ligneuse de la tige restant après l’extraction de la

filasse. Elle représente 40 à 60% de la masse de la tige. Ses propriétés absorbantes et isolantes ainsi que sa légèreté lui confèrent plusieurs rôles possibles : principalement en tant que litière pour animaux (chevaux), en tant que paillage horticole, mais aussi en tant qu’élément de construction (fabrication de béton à partir de granulats agglomérés) ;

- Le chènevis (graines), qui sert majoritairement à la fabrication d’alimentation animale (oisellerie) et

d’appâts de pêche. Elles trouvent aussi d’autres débouchés dans l’alimentation humaine (huile de chanvre), la cosmétique ou la pharmaceutique.

Figure 53. Les différentes utilisations du chanvre. (Source : Interchanvre, 2010)

Les cinq entreprises principales françaises représentent 85% de l'ensemble des surfaces implantées en

moyenne. Les unités de 2e et 3e transformation sont moins concentrées géographiquement autour de la

production.

Après une récolte et un défibrage mécanique, utilisant peu d’énergie mais un matériel industriel lourd, toute la plante peut être valorisée. Suivant les régions et les conditions, le chènevis sera valorisé ou non. Dans le premier cas, il est récolté à la moissonneuse-batteuse, puis les pailles sont fauchées et conditionnées en balles cylindriques ou parallélépipédiques qui sont stockées à l’abri chez les producteurs. Tout au long de l’année, ces balles sont acheminées vers l’atelier de défibrage où a lieu la séparation des fibres et de la chènevotte. Le défibrage est mécanique, demande peu d'énergie mais un outillage performant pour obtenir une productivité

suffisante. Selon la matière utilisée (fibre, chènevotte ou chènevis) et le débouché visé, il y a une 2e et 3e

Cependant, si la plupart des acteurs ont investi sur des unités de défibrage, c'est-à-dire dans la première transformation du chanvre industriel, la Cavac a quant à elle investi dans une unité réalisant la première et la seconde transformation du chanvre (défibrage et nappage), ciblant spécifiquement le marché des panneaux d’isolation, les autres parties de la plante étant initialement considérées comme des coproduits (Figure 54).

Figure 54. Etapes de première et de deuxième transformation (défibrage et nappage)

3.1.1.2. L’arrivée de nouveaux industriels et un développement des surfaces mitigé par rapport aux attentes

Essentiellement destinées à l’industrie papetière, les surfaces en chanvre sont restées stables autour de 5 000 ha jusqu’au début des années 2000, et principalement concentrées dans l’Aube. Les augmentations de surfaces observées dans les années 1990 sont expliquées par des effets de "chasse à primes" (Ernst &Young and AND International, 2005), de par l’octroi d’aides spécifiques pour la valorisation de terres en jachères par

des cultures non alimentaires171. En effet, l’Organisation Commune des Marchés (OCM) sur les fibres végétales

comprend la culture de chanvre, et a vu le jour en 1970 (Bertucelli, 2011; Dussol et al., 2003 ). Dans le cadre de la PAC, l’intégration de la culture de chanvre a permis aux agriculteurs disposant d’un contrat d’achat-vente avec un transformateur agréé, de disposer de surfaces éligibles aux aides PAC, au même titre que les aides en grandes cultures.

A la fin des années 2000, la construction de nouvelles unités de transformation en France, répondant à une anticipation de producteurs sur de nouveaux marchés, et la promotion de la culture ("verdir" l’agriculture tout en valorisant certaines terres difficiles pour les cultures dominantes), provoquent une forte hausse des

171 Notamment une aide forfaitaire à l’hectare de 662,8 €/ha, intégralement versée au producteur, et subordonnée à l’utilisation de semences certifiées. Journal officiel n° C 056 E du 29/02/2000 p. 0017 – 0018. http://eur-lex.europa.eu/LexUriServ/LexUriServ.do?uri=CELEX:51999PC0576(01):FR:HTML

implantations en 2008 (Figure 55). Mais devant les difficultés techniques rencontrées par les agriculteurs, la concurrence entre les bassins de production et un marché en aval décevant pour les transformateurs, les surfaces chutent en 2011 à 6 000 ha (Bertucelli, 2011).

Figure 55. Evolution des surfaces en chanvre, France (Source: (Agreste and Ministère de l'Agriculture de l'Alimentation de la Pêche de la Ruralité et de l'Aménagement du Territoire, 2011))

Aujourd’hui, les surfaces européennes sont concentrées dans six pays producteurs, représentant 90% de la sole de l’UE à 25 : Allemagne (11%), Royaume-Uni (9%), Pologne (6%), Italie (6%), Espagne (4%) et France (54%). Si la France est le premier producteur européen, la production en fibres reste insuffisante par rapport aux outils industriels qui se sont fortement développés à la fin des années 2000. Les usines de transformation (défibrage) tournent en sous-capacité. Au sein de l’UE, Interchanvre évalue la capacité de transformation à 22 000 ha, alors que seulement 10 000 ha étaient mis en culture en 2011 (6 000 en France). Une des principales causes avancées est la concurrence, auprès des agriculteurs, des céréales et oléo-protéagineux, dont la hausse des

cours a fortement freiné les capacités d’incitation des opérateurs. De plus, "si pour certains agriculteurs,

l’explosion de la production de chanvre en France peut être une bonne chose (dynamisation de la filière, recherche, nouvelles variétés…), il faut être prudent quant à l’existence de débouchés suffisants : le marché a été "idéalisé" : tout le monde croit qu’il va « exploser » mais s’il n’y a pas de débouchés derrière, tout le monde sera déçu"172.

Ainsi l’arrêt de la croissance des surfaces, entamé dans les années 2000, est dû à de multiples facteurs. Le principal est la multiplication des utilisations et des opérateurs, cherchant à valoriser les différentes parties de la plante sur différents marchés, faisant face à une situation en amont de forte concentration de l’activité de sélection et de multiplication des semences.

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