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A l’échelle de l’exploitation, un choix de cultures guidé par l’adaptation aux contraintes internes à

3. Freins et leviers identifiés sur 12 filières de diversification

3.2. Freins et leviers au niveau de l’exploitation agricole

3.2.2. A l’échelle de l’exploitation, un choix de cultures guidé par l’adaptation aux contraintes internes à

Un parcellaire qui conditionne fortement l’aptitude à la diversification

Suivant les régions, les terres caractérisées comme "mauvaises" ou "difficiles" peuvent être des terres caillouteuses superficielles, des terres séchantes ou trop humides. Dans tous les cas, elles réduisent l’éventail de cultures possibles, notamment les cultures de printemps dont l’implantation risque d’être difficile à la fin de

l’hiver, ou qui risquent de souffrir de la sécheresse au printemps49. Certaines plantes requièrent des

caractéristiques du sol particulières, comme le lupin qui n’est pas cultivable sur les terres calcaires (toutefois, l’obtenteur Terre de Lin a inscrit en 2004 une variété de lupin bleu de printemps, Elf, non sensible au calcaire,

mais celle-ci n’a pas eu de succès)50. En revanche, l’idée que la luzerne n’est pas cultivable en terres acides est

répandue, alors que la culture est possible si l’on apporte du rhizobium51.

Par ailleurs, le délai de retour de certaines cultures de diversification peut rendre difficile leur intégration à des rotations. En effet, pour limiter les risques phytosanitaires, on conseille pour chaque culture de respecter un délai de retour plus ou moins long suivant le type de bioagresseurs concernés et suivant la sensibilité de la

culture à ces bioagresseurs. Lin, chanvre et luzerne ont des délais de retour conseillés particulièrement longs

(6-7 ans pour le lin (Gaume and Coulombel, 2009; Ternois, 2005 ), 5 à 7 ans pour le chanvre suivant les

sources52 , il est parfois estimé à 5-7 ans pour la luzerne (Ademe and ITCF, 1998) mais n’a pas réellement été

déterminé selon le sélectionneur Jouffray-Drillaud53). Il est donc nécessaire d’insérer ces cultures dans des

rotations déjà longues, ou de limiter la proportion de la SAU concernée afin que la culture ne revienne pas trop fréquemment sur la même parcelle. Même des délais de retour relativement courts peuvent poser problème dans des régions où les rotations sont très courtes. C’est le cas de l’insertion du pois chiche dans des rotations courtes céréales-tournesol dans le Tarn et le Lauragais, où, pour valoriser l’effet 'précédent' du pois chiche observé sur le rendement de la culture suivante, les agriculteurs ont fait revenir cette culture tous les 2 ou 3 ans sur la même parcelle, au lieu des 4 ans conseillés. Le non-respect du délai de retour préconisé a conduit à de lourds dégâts causés par l’anthracnose, puis à l’arrêt du pois chiche sur cette zone durant une dizaine

d’année54.

En outre, la présence de plusieurs espèces de la même famille ou sensibles aux mêmes bioagresseurs dans une rotation l’allonge d’autant. Par exemple, il est généralement recommandé de ne faire une Brassicacée (comme le colza ou la moutarde) que tous les 4-5 ans, du fait de la forte pression des maladies comme le sclérotinia et des insectes ravageurs, ainsi que de la difficile maîtrise des repousses de colza dans la culture de moutarde. Celle-ci est donc plus fréquemment introduite dans les successions de cultures en substitution au colza plutôt

qu’en allongement de la rotation55.

Toutefois, les échanges de terres entre agriculteurs, pratiqués dans certaines régions d’une année à l’autre, notamment pour la pomme de terre et l’endive, permettent d’agrandir la surface disponible pour une culture56.

Le caractère pluriannuel de la luzerne peut aussi être un frein à son introduction puisqu’elle immobilise des parcelles, réduisant ainsi la flexibilité du système. En revanche, les cultures pérennes peuvent être intéressantes pour valoriser des parcelles trop petites ou trop éloignées.

Un rapport subtil entre diversification et ressource en eau

En 2010, 40% des surfaces en maïs grain et semence sont irrigués, contre 51% des surfaces en soja, 18,4% des surfaces en sorgho et 3,8% des surfaces en tournesol (Agreste, site internet). L’introduction, dans les rotations,

49 Entretien M.S. Petit, Chambre Régionale d’Agriculture de Bourgogne

50 Entretien V. Béguier et N. Harzic, Jouffray-Drillaud

51 Entretien V. Béguier et N. Harzic, Jouffray-Drillaud

52 Entretiens avec : N. Cerruti, ITC-Cetiom ; A. Médeau, Cavac

53 Entretien V. Béguier et N. Harzic, Jouffray-Drillaud

54 Entretien R. Métral, Montpellier SupAgro

55 Entretien M. Le Bail, AgroParisTech

de cultures peu exigeantes en eau permet de réduire la pression sur la demande en eau à l’échelle de l’exploitation et du territoire et de valoriser des sols à faible réserve utile. Ainsi, La moutarde résisterait mieux à la sécheresse que le colza (Moule, 1972). Des cultures peu exigeantes en eau comme le pois chiche (qui est la légumineuse supportant le mieux les déficits hydriques ; SupAgro, 2007), le pois, le soja et le sorgho peuvent représenter une bonne alternative au maïs, qui, malgré sa meilleure efficience de l’eau, présente l’inconvénient de positionner son pic de demande en eau au moment des périodes d’étiage (Amigues J.P. et al., 2006). La Figure 8 montre les moindres besoins en eau du soja et encore davantage du pois par rapport au maïs, ainsi que les écarts d’irrigation qui sont encore plus marqués. Le pois de printemps présente en outre l’avantage de situer ses besoins en eau à la fin du printemps, contrairement au maïs et au soja qui ont des besoins plus tardifs ; l’introduction de cette culture dans l’assolement facilite donc la gestion de l’eau à l’échelle de l’exploitation (Munier-Jolain and Carrouee, 2003).

Figure 8. Besoins totaux en eau des cultures au cours du cycle et contribution moyenne de l’irrigation à la satisfaction des besoins dans les systèmes irrigués français

(Source : Unip-ITCF, Inra-Agro Montpellier, dans Munier-Jolain et al., 2003)

De manière générale, les semis d’hiver permettent un enracinement plus profond que les semis de printemps et en conséquence une meilleure résistance à la sécheresse (SupAgro, 2007). Ainsi, "l’arrivée des variétés de lin

d’hiver (première inscription au catalogue français de la variété Oliver en 1995) permet la culture du lin

oléagi-neux dans des régions plus exposées au stress hydrique estival du fait d’un plus faible potentiel des terres : région Centre, région Poitou-Charentes, région Pays-de-Loire, région Bourgogne..." (Labalette et al., 2011). Le fait que certaines cultures valorisent bien l’irrigation peut être un atout pour leur développement dans des

exploitations disposant déjà d’un système d’irrigation. C’est le cas de la luzerne par exemple57. La mise en place

d’installations d’irrigation a souvent rendu possible une diversification avec des cultures nécessitant beaucoup

d’eau, en particulier les légumes, comme l’oignon en Bourgogne58. Dans les Alpes de Haute-Provence, un

réseau d’irrigation a été mis en place à la fin des années 1980 sur le plateau de Valensole, grâce auquel on prévoyait le développement de nombreuses cultures irriguées (maïsiculture, arboriculture, contrats de semences, légumes de plein champ), les cultures principales étant alors les céréales et le lavandin. Le maïs, les contrats de semences (betterave, tournesol, maïs) et les vergers de pommiers se sont en effet développés dans un premier temps. Puis le changement de contexte (et notamment le changement d’orientation de la PAC en 1992 en faveur du blé dur et en défaveur des cultures irriguées, mais aussi le changement de mode de récolte du lavandin) ont conduit à la quasi disparition de ces productions de diversification devenues relativement moins rentables que le lavandin, et à la sous-utilisation du réseau d’irrigation (principalement en appoint sur le blé dur), confortant le système traditionnel céréales-lavandin (Lang and Ramseyer, 2011).

Dans les Coteaux du Béarn, où la production de maïs grain est largement dominante, un projet d’irrigation a été mis en place à la fin des années 1980. Une évaluation économique de ce projet, réalisée vingt ans plus tard (Ducourtieux Olivier (coord.) et al., 2010), a permis de comparer le scénario "avec projet" (qui correspond à la situation actuelle) au scénario "sans projet" (fruit d’une modélisation retraçant l'évolution hypothétique de la région si le projet n'avait pas vu le jour). Elle montre un effet variable de l’irrigation sur la diversification des cultures en fonction du potentiel des sols. En effet, l’irrigation a conduit à l’introduction de cultures légumières et notamment du maïs doux dans les terres à forte réserve utile (terres noires). Elle a conforté la culture du maïs grain (noté "maïs conso" sur la Figure 9) et conduit à la disparition de la faible proportion de blé, dans les sols plus séchants (vallée du Gabas).

57 Entretien V. Béguier et N. Harzic, Jouffray-Drillaud

Figure 9. Evolution des surfaces sur le périmètre irrigué de Boueilh-Boueilho-Lasque, terres noires, scénario "sans projet" (a) et scénario "avec projet" (b) ; vallée du Gabas, scénario "sans projet" (c) et scénario "avec projet" (d).

(Source : (Ducourtieux Olivier (coord.) et al., 2010)

A l’inverse, l’impact des restrictions d’eau sur des surfaces irriguées pourrait conduire soit à la diversification des assolements en intégrant des cultures peu consommatrices d’eau soit, au contraire, à la simplification des assolements avec la suppression des cultures les plus consommatrices d’eau.

Selon les travaux de Lejars et al. (Lejars et

al., 2012); Figure 10), une restriction relativement faible de l’irrigation (coefficient de 0,6) dans la plaine de Beauce serait sans conséquences sur les assolements tandis qu’une restriction forte (coefficient de 0,3) conduirait à la simplification des assolements en particulier dans les systèmes "céréales-cultures spéciales" avec l’abandon des cultures à forte demande en eau (maïs, semences de carottes, haricots verts, oignons, pommes de terre…) et leur remplacement par des cultures moins consommatrices (blé tendre, orge d’hiver, colza, tournesol). On note toutefois que certains agriculteurs ont alors pensé à introduire de nouvelles cultures comme le lin.

Figure 10. Impact de deux scénarios de restriction d'eau sur les assolements selon le type d'exploitation agricole

Des contraintes en termes de matériel et de stockage

Certaines cultures nécessitent un matériel de semis et/ou de récolte spécifique. Cette contrainte implique soit un investissement de la part de l’agriculteur, soit une organisation au sein du bassin de production : entre agriculteurs (matériel en commun au sein d’une CUMA) ou avec des entreprises de travaux agricoles (prestation pour le semis ou la récolte) ou avec les entreprises de l’aval (récolte prise en charge par le transformateur), ce qui peut induire des contraintes d’organisation pour l’agriculteur.

Ainsi, le tournesol, comme le maïs, nécessite un semoir monograine et un matériel de récolte spécifiques, ce qui nécessite un investissement dans les exploitations ne cultivant pas de maïs. En revanche, le sorgho n’exige pas d’équipement spécifique (Tiers, 2005), tout comme les protéagineux considérés dans notre étude, qui peuvent être cultivés avec le même matériel que les céréales. De même, la récolte du chanvre nécessite un matériel de récolte spécifique. Dans les bassins de production historiques (structurés autour de la Chanvrière

de l’Aube, d’Interval Eurochanvre et de PDM), les agriculteurs sont responsables de la récolte59. Dans la plupart

des cas, ils réalisent eux-mêmes avec leur propre matériel un premier passage à la moissonneuse batteuse pour récolter les graines puis un second passage à l'aide d'une faucheuse pour faucher la paille, ainsi que l’andainage, le retournement et la mise en balle de la paille (La Chanvrière de l’Aube, site internet). L’organisation est totalement différente dans les nouveaux bassins de production (structurés autour d’Euralis et de la Cavac) où la récolte est réalisée par des ETA contractualisés avec les coopératives et facturée à l’agriculteur. Ces deux coopératives travaillent conjointement au développement d’un appareil permettant la

récolte simultanée des graines et de la paille60. Sur le bassin de la Cavac, fanage et andainage sont réalisés par

les producteurs. Le pressage est réalisé soit par le producteur, soit par une CUMA, soit par l’ETA de la

coopérative61. Il semble plus facile pour des agriculteurs de se lancer dans la culture du chanvre dans un bassin

où il est possible de sous-traiter la récolte. Toutefois, la recherche de l’amortissement d’investissements importants peut avoir pour conséquence positive une plus forte implication des agriculteurs sur le long terme. Par ailleurs, le stockage à la ferme peut s’avérer obligatoire, même si les modalités de stockage varient d’un bassin de production à un autre en fonction des coopératives. Par exemple, le stockage de la paille de chanvre a été réalisé par la Cavac la première année, mais elle s’est retrouvée avec d’importants stocks, et a donc incité par la suite les agriculteurs à stocker à la ferme ; ils sont aujourd’hui 50% à stocker leur récolte dans le bassin

d’approvisionnement de la Cavac62, ce qui est obligatoire pour les adhérents de la Chanvrière de l’Aube.

Lorsque l’agriculteur commercialise sa production auprès d’un courtier ou d’un négociant, il est obligé de la stocker. Cela représente donc un frein à la diversification des productions, puisque cela nécessiterait autant de cellules de stockage que de productions (du moins si celles-ci se récoltent à la même période). Cela représente également un frein aux cultures dont le stockage à la ferme est le plus délicat, comme le lin oléagineux qui doit être stocké en cellule étanche.

Main d’œuvre et temps de travail

Entre 2000 et 2010, la surface moyenne des exploitations spécialisées en grandes cultures a progressé de 14%, mais le nombre de salariés permanents hors famille (moins de 0,2 personne par exploitation) est resté globalement stable. De plus, le nombre de chefs d’exploitation déclarant travailler moins d’un quart de temps sur leur exploitation est passé de 8% à 13%. En revanche, le recours aux entreprises de travaux agricoles par exploitation a augmenté de 48% (mais représente toujours moins de 2% du travail agricole (UTA) par exploitation en 2010). Globalement, sur ces exploitations, le travail agricole par hectare de SAU a diminué de 18% en 10 ans (Agreste, 2012).

Dans les systèmes de polyculture élevage ou dans les cas de pluriactivité, les agriculteurs peuvent être incités à simplifier leur système de culture, ou au contraire à intégrer des cultures peu contraignantes afin de pouvoir consacrer plus de temps aux activités d’élevage ou à une deuxième activité. Cela explique, d’après certains experts, l’intérêt de cultures comme le chanvre, qui sont particulièrement appréciées par le fait qu’elles nécessitent peu de temps de travail car elles requièrent peu de traitements.

59 Entretien N. Cerrutti, ITC-CETIOM

60 Entretien E. Booth, Euralis

61 Entretien A. Médeau, Cavac

En revanche, on peut penser que lorsque l’assolement comprend plus de cultures différentes, le temps de travail par hectare tend à augmenter (suivi, rinçage de tonneaux, adaptation de matériel, tâches adminis-tratives…). A partir du travail réalisé par Dongmo et Jolain (Dongmo and Jolain, 2011 ; Munier-Jolain and Dongmo, 2010), on s’aperçoit que les assolements les plus diversifiés en termes de nombre de cultures (PIC 1 et 2 sur la Figure 11) sont ceux qui requièrent le plus de travail. Toutefois ce constat est à relativiser puisque la différence est faible, de l’ordre de 0,5 heure par hectare et par an, soit 71 heures de travail supplémentaire sur l’année (calcul réalisé pour une exploitation avec une SAU de 142 ha, à l’aide du logiciel SIMEQ développé par Arvalis).

Figure 11. A gauche : Contribution des cultures dans l'assolement actuel et les assolements PIC optimisés pour les cinq scénarios de prix ; à droite : Temps de travail correspondant par hectare

(Sources : (Dongmo and Munier-Jolain, 2011 ; Munier-Jolain and Dongmo, 2010)

L’introduction d’une nouvelle culture dans l’assolement peut avoir pour conséquence l’accentuation des pointes de travail (en cas de fenêtres opérationnelles restreintes) ou au contraire l’étalement des pointes de travail et une répartition plus homogène du travail tout au long de l’année. Ces conséquences peuvent être un atout ou une contrainte selon les priorités de l’agriculteur. Certains préféreront grouper les travaux de manière à ne pas avoir à ressortir et nettoyer du matériel plusieurs fois dans l’année ou dégager des périodes libres, tandis que d’autres préféreront étaler la charge de travail pour occuper une main d’œuvre constante tout au long de l’année. Toutefois, le recours à des ETA étant en augmentation, la question des pics de travail évolue (Carpentier, 2012).

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