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Chapitre I : Etudes de cas au niveau des filières

1. Le système agro-industriel de la nutrition animale : une concurrence sévère pour le pois, mais des

1.2. Les matières premières utilisées dans la fabrication des aliments composés en France : une place de

1.2.2. Origine géographique et nature des matières premières

Les matières premières utilisées par l’industrie de la nutrition animale proviennent aux trois-quarts du territoire français. Certaines matières premières n’étant pas disponibles en quantité suffisante, les fabricants s’approvisionnent sur les marchés extérieurs. C’est le cas des tourteaux de soja qui proviennent essentiellement d’Amérique du Sud. Le Brésil et l’Argentine représentent respectivement 68% et 10% des importations françaises de tourteaux.

Figure 25. Origine des matières premières et répartition de la part d'utilisation de chaque matière première dans l'industrie de l'alimentation animale (Source: SNIA, 2011)

Pour la formulation et la fabrication de leurs gammes d’aliments du bétail, les FAB peuvent utiliser potentiellement un grand nombre de matières premières de natures différentes. Au-delà de leurs prix sur les marchés et des capacités techniques d’utilisation des FAB des différentes matières premières, le choix des matières premières dépend avant tout du type d’élevage et des performances zootechniques visées. L’élargissement de la gamme de matières utilisables en industrie de l’alimentation animale provient de la combinaison de plusieurs évolutions. D’une part, les progrès technologiques pour la transformation des matières premières (processus de thermo-extrusion des graines, dépelliculage du tourteau de colza, etc.) et ceux pour la sélection variétale (variétés de féverole sans facteurs antinutritionnels) permettent d’explorer de nouveaux usages des graines. D’autre part, le développement de nouvelles industries générant des coproduits incite à trouver des solutions de valorisation en alimentation animale (tels que les tourteaux). Enfin, les progrès de la sélection génétique animale ont permis d’optimiser les capacités de digestibilité des différents types d’aliments.

D’une filière à l’autre, la composition des aliments peut varier de façon importante. L’industrie de l’alimentation animale est caractérisée par une majorité de FAB fabriquant à la fois plusieurs gammes d’aliments à destination des différents types d’élevage (porcs, volaille, bovins…) leur permettant de négocier de plus gros volumes de matières premières et de bénéficier d’économies d’échelle pour la fabrication de ces aliments. L’enjeu pour le formulateur est d’"assembler" des matières premières de compositions différentes pour parvenir à l’équilibre nutritionnel souhaité, tout en minimisant les coûts. Les besoins des animaux variant d’une espèce à l’autre, la part de chaque type de matière première dans l’aliment varie également, comme l’illustre le Tableau 8.

Les FAB disposent aujourd’hui d’une large gamme de matières premières potentiellement utilisables dans les formules et dont l'utilisation varie quotidiennement en fonction de l’évolution du cours de ces matières. Ce fonctionnement caractérise une logique de marché dit "spot", où les cours sont fixés au "jour le jour" ou à très court terme. Dans cette logique de marché, les différentes matières premières utilisées deviennent des nutriments "anonymes" caractérisés par un prix d’intérêt déduit de la formule (recette) dans laquelle ils seront insérés. Cette logique contribue fortement à un manque de visibilité des agriculteurs pour établir des prévisions de productions.

1.2.3. Aides aux protéagineux et déficit des Matières Riches en Protéines

La question de l’approvisionnement en MRP (Matières Riches en Protéines) est posée depuis le développement des filières animales en Europe dans les années 1960 (Lapierre and Pressenda, 2002) et a fait l'objet de vifs débats depuis l’embargo sur le soja décrété par les Etats-Unis en 1973. A la fin des années 1970, la mise en place en France d’un "Plan protéine" est le principal aboutissement de la mobilisation de l’ensemble des acteurs de l’alimentation animale, des acteurs politiques et de la Recherche pour relancer la production de protéines végétales françaises. Les protéagineux (et particulièrement le pois) finissent alors par acquérir une place importante dans l’alimentation animale à la fin des années 1990, avec un pic d’utilisation en 1993-1994 (2,5 millions de tonnes utilisés sur les 3,5 millions de tonnes produits, selon l’UNIP ; SNIA, 2011). Mais l’abandon progressif de cette politique, imposé par les contraintes budgétaires de l’UE (qui ont conduit à la réforme de la PAC au début des années 1990 et à la mise en place de l’Agenda 2000), conjugué avec un accroissement de la demande en MRP pour alimenter des élevages toujours croissants, a considérablement réduit la demande en protéagineux. La contribution de ces derniers à réduire la dépendance protéique de la

France est ainsi devenue marginale (Dronne, 2003 ; Lapierre and Pressenda, 2002) 138. D’autant que les

industries de FAB préfèrent se tourner de plus en plus vers des coproduits de l’IAA, notamment issus du développement de l’industrie de trituration de graines de colza et de tournesol à partir des années 2000. Actuellement le déficit en MRP de la France se situe autour de 40% alors qu’il était de 45% au milieu des années 2000 (l’UE à 73%) (Prolea, 2007). Nous proposons ici d’exposer les mécanismes d’action publique qui ont soutenu la filière protéagineuse suite à l’embargo de 1973 et de rappeler le contexte de déréglementation qui a conduit à modifier le système de ces aides (section 1.2.3.1), puis de décrire les conséquences de ce démantèlement sur la compétitivité du pois dans le marché de l’alimentation animale (1.2.3.2). Nous terminerons cette partie en nous interrogeant sur l’intérêt d’un nouveau plan protéines (1.2.3.3).

Figure 26. Evolution du bilan France des MRP en alimentation animale (Source : (UNIP, 2012a)

138 L’interdiction des farines animales suite à la crise de l’ESB, à la fin des années 1990, en est également un facteur supplémentaire.

1.2.3.1. Le Plan protéines des années 1970 et la mise en place de l’Organisation Commune de Marché des MRP

Les règles communes régissant les marchés agricoles (établies dans le cadre de la PAC) définissent les modalités d’interventions publiques sur les marchés, les régimes de subventions et de quotas, les normes de commercialisation et de production. Elles ont considérablement évolué depuis la mise en place de la PAC, au fil des négociations à l’OMC. L’organisation commune de marché (OCM) des matières riches en protéines (MRP) créée en 1978 visait à soutenir la production de protéagineux par un soutien financier aux agriculteurs et aux FAB. Ce soutien financier a plus ou moins varié dans le temps. Dans les années 1990, grâce à cette aide, le prix perçu par le producteur de pois protéagineux était presque deux fois supérieur à celui payé par le fabricant d’aliments (Lapierre and Pressenda, 2002). Le FAB pouvait donc acheter le pois à un prix relativement bas et l’agriculteur obtenait une rémunération attractive. Peu cultivés dans les années 1970, les protéagineux, les oléagineux et la luzerne déshydratée ont été les principaux bénéficiaires de cette politique. Via ce dispositif, ces cultures ont contribué significativement à réduire la dépendance en protéines de la France (estimée en 1991 à 30%, contre 70% lors de l’embargo de 1973). D’autant que ce dispositif s’est accompagné d’un financement accru des travaux de recherche sur les protéagineux pour développer des variétés, des itinéraires techniques augmentant la performance de ces cultures et contribuant à créer une filière d’agrofournitures dédiée. Précisons que ce mécanisme d’aide était indexé sur le prix du tourteau de soja, permettant de maintenir la compétitivité de la production de protéagineux sur le marché européen.

Le niveau des surfaces de mise en culture en oléagineux et protéagineux a ainsi fortement suivi l’évolution des systèmes de réglementation de la PAC jusqu’à son démantèlement à partir des années 1990 qui a modifié l’organisation commune de marché en MRP. Celle-ci se caractérise aujourd’hui par une ouverture à la concurrence sur le marché mondial et le maintien d’aides à l’hectare (et non à la production). Les trois principales caractéristiques de ce nouveau système (Dronne, 2003) sont :

- l'absence de droits de douane ou de limite quantitative sur les importations de tourteaux et graines

oléagineuses depuis 1966. Le SNIA (SNIA, 2011) mentionne le fait "que les cultures oléo-protéagineuses n’ont pas été intégrées dans les cultures bénéficiant de protection douanière en 1962 (le Dillon Round)" ;

- l'intégration, depuis la réforme de la PAC de 1993, des oléagineux et protéagineux dans les produits de

la SCOP sans prix d’intervention, mais octroi d’une aide à l’hectare variable en fonction des prix mondiaux et avec une surface maximum garantie (SMG) liée à Blair House ;

- le découplage de l’aide (alignement sur l’aide céréales) et suppression des SMG depuis la mise en

place de l’Agenda 2000.

En un sens, le système d’aide aux protéagineux s’est aligné sur celui des céréales, ce qui a fortement contribué à dégrader l’attractivité de ces cultures en France, insuffisamment compétitives au regard d’autres matières premières utilisables pour les aliments composés.

1.2.3.2. La difficile compétitivité des cultures MRP européennes dans un marché mondial déréglementé

Dans le contexte d’un marché de l’approvisionnement en MRP ouvert, la compétitivité des cultures françaises d’oléagineux et de protéagineux est une question centrale (Gueguen et al., 2008). Au-delà de facteurs macroéconomiques tels que la force de l’euro par rapport au dollar qui tend à favoriser les importations agricoles au détriment de productions nationales, c'est la spécificité de fonctionnement du marché de l'alimentation animale, caractérisée par une forte substituabilité des matières premières, qui favorise le recours à des importations à bas coût. La diversité des matières premières potentiellement utilisables pour la fabrication des aliments du bétail renforce d’autant la concurrence entre ces matières, et a fortiori pour les MRP françaises.

La compétitivité des cultures de MRP dépend aussi en grande partie de leur rapport de prix avec le blé. En effet, par rapport à l’ensemble des MRP, le blé est considéré comme le concurrent principal malgré la qualité nutritionnelle relativement faible de sa fraction protéique. Avant la réforme de la PAC de 1993, le rapport de prix entre le tourteau de soja et le blé était très faible, favorisant la consommation de tourteau de soja et un désintérêt des FAB pour les cultures communautaires.

1.2.3.3. La relance des légumineuses : quel avenir ?

La chute des surfaces en pois protéagineux, due à de multiples facteurs, comme le décrit l’Encadré 4, illustre le phénomène de diminution de l’offre en MRP d’origine nationale pour les FAB.

Encadré 4. Le pois protéagineux L’évolution des surfaces

Les surfaces cultivées en pois protéagineux sont passées de quelques milliers en 1973, à plus de 800 000 ha à la fin des années 1980. Jusqu’en 1988, le développement de la culture de pois était soutenu par le paiement d’un prix minimum garanti au producteur pour la totalité de sa production, puis de 1988 à 1992, pour une quantité maximale plafonnée. Le démantèlement de ces outils de soutien par la mise en place de la PAC 1992 a placé le pois en compétition avec les autres matières premières utilisées en alimentation animale. De cette concurrence progressive résultent une stagnation puis une chute des surfaces depuis 1994, aggravée par des scénarios climatiques défavorables à la production et l’apparition dans certaines régions de dégâts importants dus au champignon Aphanomyces euteiches. Un second plan protéine, lancé en 2010, qui octroie une aide à la culture sur deux ans, permet d’augmenter les surfaces avec près de 250 000 ha en 2010. Mais ce plan est arrêté en 2012.

Figure 27. Evolution des surfaces cultivées et du rendement en pois protéagineux (source : Agreste) Le rendement et la recherche variétale

Les rendements moyens français ont augmenté en moyenne de 0,52 q/ha/an entre 1983 et 1999. L’amélioration du rendement durant cette période est pour partie due au progrès génétique (introduction du gène afila, réduction de la taille des plantes…) et pour partie à l’amélioration de la technicité des producteurs (travaux de recherche agronomique). Mais depuis le début des années 2000, d’importantes chutes de rendement dues à des stress biotiques et abiotiques masquent les progrès génétiques sur le rendement. Malgré une sélection variétale dynamique (mise au point de nouvelles variétés d’hiver précoces permettant de contourner certains stress), et un réseau d’acteurs relativement important, la faiblesse et l’instabilité du rendement pénalisent l’attractivité du pois auprès des agriculteurs et les surfaces cultivées restent marginales. Dans un contexte concurrentiel difficile en alimentation animale, raisonner la culture du pois au regard de nouveaux marchés à plus forte valeur ajou-tée, notamment en alimentation humaine, porte de nouveaux enjeux pour les parties prenantes de la filière.

Au-delà du soutien public à la production, il est intéressant de comprendre les raisons d’un déficit en MRP au regard d’éventuels problèmes d’approvisionnement par les fabricants d’aliments sur le marché national lui-même. En effet, devant les difficultés de valoriser les légumineuses dans le secteur de l’alimentation animale, des producteurs s’orientent vers de nouveaux marchés à l’international, notamment en alimentation humaine, marché à plus forte valeur ajoutée. En témoignent les produits développés par la société Roquette à partir de la protéine de pois, ou encore de l’amidon de pois, comme ingrédient de l’industrie agro-alimentaire. Ce

déplacement des débouchés se retrouve dans les chiffres avancés par l’UNIP (UNIP, 2012b). Pour la campagne 2011-2012, sur les 676 000 t de pois produites en France, l’UNIP estime à 300 000 t la quantité utilisée pour l’alimentation animale en France, soit 44% de la production alors que cette part était supérieure à 60% au début des années 1990. Cela a été également précisé, lors de certains entretiens, qui ont mis en évidence les

difficultés d’approvisionnement des FAB auprès des coopératives qui privilégiaient la vente de pois à l’export139

pour l’alimentation humaine. On observe donc une tendance à la hausse de la part de la production destinée à l’exportation, confirmée par les données Agreste (Figure 28).

Figure 28. Evolution de la production de pois protéagineux et de la destination de la production (Source : Agreste 2010)

On peut penser que le renforcement de ces exportations a été facilité par la mise en œuvre d’un second "plan protéine" en 2009, reposant principalement sur une aide à l’hectare, et non plus sur une aide à la production et à la transformation qui favorisait l’usage des protéagineux par les FAB. Ce second plan protéine a eu pour conséquence un effet d’"opportunisme" pour les agriculteurs et coopératives qui ont su saisir de nouveaux marchés. Mais si ce nouveau plan a permis une augmentation significative des surfaces en pois protéagineux en 2010 (247 000 ha contre 100 000 ha en 2009), les résultats décevants de la campagne 2011 (faibles rendements) et l’arrêt de l’aide en 2012 font craindre une nouvelle diminution importante des surfaces de légumineuses. Le développement des surfaces en protéagineux semble donc rester très dépendant des aides mises en œuvre par la PAC, quels que soient les débouchés.

Figure 29. Matières premières incorporées dans les aliments composés pour animaux (Source: Agreste, 2010)

Dans un contexte économique marqué par une tendance importante à la réduction des interventions directes de la sphère publique, il est donc nécessaire d’aborder l’analyse des freins au développement des protéagineux au niveau du marché, et de comprendre les composantes de cette compétition entre les matières premières. Or à l’échelle de la filière, cette compétition s’observe "à l’entrée de l’usine", c'est-à-dire dans les choix d’approvisionnement des FAB, et dans le lien entre les filières de productions végétales et les filières animales. Ce lien est en fait tissé par les composantes d’une pratique généralisée à l’ensemble des fabricants : la formulation.

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