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La formulation : le lien entre filières végétales et filières animales

Chapitre I : Etudes de cas au niveau des filières

1. Le système agro-industriel de la nutrition animale : une concurrence sévère pour le pois, mais des

1.3. La formulation : le lien entre filières végétales et filières animales

La formulation est une pratique qui met en regard la production agricole avec les besoins nutritionnels des élevages et leurs performances. Evoluant au fil des progrès technologiques, des connaissances sur la nutrition animale et sur la qualité des productions végétales, la formulation permet aux fabricants d’aliments d’utiliser une gamme de plus en plus large de matières premières, comme nous l’exposions plus haut. Cette pratique, visant à optimiser le fonctionnement de l’outil industriel, repose sur une logique de marché spot et conduit fortement à accroître la concurrence entre les matières premières. La formulation fait donc le lien entre la demande et l’offre.

En ce qui concerne les freins à la valorisation des protéagineux sur le marché de l’alimentation animale, de nombreuses personnes enquêtées mettent en avant des freins liés à l’offre (rendements insuffisants, qualité, disponibilité…). Mais il est essentiel de prendre en considération le fait que la demande est aussi une source de freins importante. Compte tenu des performances zootechniques visées et des formulations qui leur sont associées, les protéagineux, et tout particulièrement le pois, ne présentent pas d’avantage concurrentiel au regard des autres matières premières utilisables. Pour redonner au pois une place significative dans les rations

animales, il pourrait être envisagé de modifier les critères de la demande. Comme le propose Dronne140, il

conviendrait de "jouer sur la demande en alimentation animale pour rapprocher la demande de l’offre".

Pressenda et Lapierre (Lapierre and Pressenda, 2002; Pressenda and Lapierre, 2003) et Lapierre (Lapierre, 2005) proposent une approche pour réviser les systèmes de production des filières animales via une modification des exigences de nutrition animale au regard de nouveaux objectifs de production. Mais avant d’aborder ces schémas de révision, il est nécessaire de mieux comprendre les principes actuels qui régissent les pratiques de formulation. Nous exposerons les grands principes de formulation (section 1.3.1), qui reposent sur une forte substituabilité des matières premières (1.3.2), et qui nous permettrons de mieux comprendre les stratégies d’approvisionnement des FAB qui seront exposés dans la partie suivante (section 1.4).

1.3.1. Les principes de la formulation

L’objectif de la formulation est de mettre à disposition des animaux, de façon quotidienne, l’ensemble des ingrédients satisfaisant leurs besoins pour assurer i) leur entretien, ii) leur fonction de production (lait, viande, œufs…). Le principe général de la formulation des aliments composés consiste à calculer, dans une conjoncture donnée de prix, pour chaque type d’aliment, le pourcentage d’incorporation de chaque matière première permettant d’obtenir la composition nutritionnelle souhaitée, à un coût minimum (Gueguen et al., 2008). Mais au-delà du calcul de la recette alimentaire pour une performance zootechnique donnée, les enjeux économiques (et plus récemment les questions environnementales) qui sous-tendent les choix d’alimentation (prix d’achat, coûts d’approvisionnement, disponibilité de cellules de stockage, saisonnalité de l’approvisionnement…) ont transformé la pratique de formulation en une véritable démarche d’optimisation (Lapierre, 2005). Dans un contexte de marché ouvert et concurrentiel, cette démarche apparaît comme un outil structurant l’ensemble du fonctionnement d’une filière de production animale. Cette démarche se révèle être à la jonction d’un jeu de forces auquel participent de nombreux acteurs, localisés en amont et en aval de la filière par rapport au maillon de la fabrication des aliments. Ce système d’acteurs impacte le processus en amont, pour déterminer la situation des ressources alimentaires sur laquelle se base l’opération de formulation, ainsi qu’en aval, par rapport à la performance zootechnique qui est ciblée (Lapierre, 2005).

Figure 30. Les principes de la formulation (Lapierre, 2011)

1.3.1.1. Les facteurs d'optimisation de la formulation

Les règles de décision au niveau des FAB se modifient mensuellement, voire hebdomadairement, de par la très forte volatilité du marché de matières premières, conditionnant la performance des FAB (Lapierre, 2005). Comme nous l’évoquions plus haut, la disponibilité et le cours des matières premières conditionnent fortement le choix d’usage de celles-ci dans les formules. Mais d’autres facteurs contribuent aussi fortement aux choix d’approvisionnement : i) les capacités industrielles de stockage et transformation ; ii) les performances des systèmes d’élevage.

Les capacités industrielles

Si les matières premières sont effectivement disponibles sur le marché, ce sont les capacités industrielles de l’usine en termes de stockage et de transformation qui détermineront les volumes d'approvisionnement. Les capacités de stockage jouent sur les volumes potentiellement achetables, et par conséquent, sur les prix d'achat négociés ainsi que sur les coûts de transport des matières premières.

La machinerie industrielle d’une usine peut également ne pas être adaptée à la transformation d’une matière première pourtant disponible et utilisable pour une formule. En fait, différentes contraintes technologiques en fonction des matières premières utilisées déterminent le processus de formulation. Nous pouvons citer l’exemple du lin, dont les conditions de stockage sont relativement délicates car la graine se liquéfie en cas de mauvaises conditions de stockage ou de transport. Il convient donc que l'industriel dispose d'équipements spécifiques pour intégrer ces graines dans ses formules.

Pour un FAB, qu'il s'agisse d'un industriel ou d'un éleveur, la diversification possible des matières premières (MP) dépend donc des marges de manœuvre dont il dispose dans l’adaptation de ses capacités technologiques de stockage, tout particulièrement en fonction de la plus ou moins grande "fragilité" des matières stockées. La diversification de ses approvisionnements de MP peut donc nécessiter de nouveaux investissements logistiques qu'il n'entreprendra que s'il escompte pouvoir disposer de manière régulière de cette matière. De plus, de nombreuses usines possèdent des silos de grande taille, et le choix de la MP à acheter dépend également de la volonté de l'industriel "de remplir le silo sur une période donnée". Les contraintes de stockage sont donc

considérées comme des facteurs limitants majeurs de la diversification en MP141.

Les performances des systèmes d’élevage

Selon Lapierre, la performance est le moteur de la formulation (Lapierre, 2005). Il distingue quatre dimensions de la performance :

Technico-économique :

La performance technique réside avant tout dans la recherche de formulation qui optimise la performance zootechnique de animaux et, le cas échéant, dans le respect de certaines contraintes de production définies dans des élevages sous cahiers des charges (par exemple, non-recours aux OGM, ni aux additifs, taux d'incorporation minimale de certaines matières, etc.). Cette performance technique s'apprécie au regard de l'organisation du stockage et de la transformation, de la maîtrise de la chaîne logistique, etc., qui contribuent largement au rendement économique du système d'élevage.

Commerciale :

Cette dimension est liée à une certaine stratégie de portefeuille des FAB, répondant à des exigences des clients qui amènent l’industriel à aller au-delà de la "simple" performance technico-économique. Par exemple, le client peut avoir des exigences spécifiques, exigence pouvant relever d’une habitude, d’une recherche de "symbole". Ces choix sont alors guidés par d’autres considérations que la qualité ou le prix. Citons par exemple le cas des groupes coopératifs ayant une activité FAB et utilisant en priorité les productions de leurs agriculteurs adhérents bien qu’elles puissent être plus chères que d’autres matières premières disponibles sur le marché. Cette dimension commerciale de la performance dépasse les logiques de marché sur lesquelles repose la performance technico-économique.

Environnementale

La prise en compte des questions environnementales, notamment liées aux émissions de GES (Gaz à effet de serre), dans les filières de production a fait progressivement évoluer les choix d’approvisionnement. Une étude réalisée par Pressenda et Lapierre (Pressenda and Lapierre, 2003) met en évidence comment l’application de mesures agri-environnementales modifie l’équilibre entre les matières protéiques utilisées par les FAB et aboutit à une réduction des niveaux d’incorporation de tourteau de soja au profit de pois protéagineux et de graines d’oléagineux.

On peut également mentionner les travaux visant à améliorer la digestibilité des aliments en vue d’en réduire la quantité ingérée, et de ce fait contribuer à moins de "gaspillages nutritionnels", tels que l’incorporation de graines thermo-extrudées (la thermo-extrusion améliorant la digestibilité des graines).

Sociétale

De nouvelles exigences sociétales sont également susceptibles de faire évoluer la formulation, telles que des exigences "santé". En témoigne le développement de produits alimentaires plus riches en oméga 3 qui ont conduit à incorporer des graines riches en oméga 3 (par exemple le lin) dans les rations alimentaires. Citons également les pressions sociétales concernant le bien-être animal qui, au-delà des conditions de vie (taille de l’espace alloué, nature des sols…), peuvent également concerner le régime alimentaire (niveau minimum de

fibrosité pour l’alimentation des ruminants par exemple) : "Mes vaches raffolent de la luzerne", déclare un

éleveur illustrant la prise en compte de considérations davantage tournées vers le bien-être de l’animal que vers la recherche d’une maximisation de la performance technico-économique.

La Figure 31 illustre la prise en compte de ces différents facteurs dans la formulation.

Figure 31. Présentation des déterminants de la composition des formules alimentaires (Lapierre and Pressenda, 2002)

En fonction de l’évolution de ces facteurs, les formules peuvent être modifiées par les FAB, mais surtout par les firmes "services" qui jouent un rôle clé dans ce marché.

1.3.1.2. Le rôle des firmes services dans la formulation

Parmi les acteurs de l’alimentation animale, ceux que l’on appelle communément les "firmes services" jouent un rôle central, de par leur activité de conseil et de formulation. Ce sont généralement des sociétés qui vendent des additifs alimentaires (enzymes…) et par extension ont une activité de formulation associée. L’activité de formulation des FAB peut en effet être externalisée, c’est généralement le cas des FAB de moyenne ou petite taille. Le FAB communique les matières premières disponibles (en stock ou accessibles sur le marché) et ses besoins en fonction des performances zootechniques auprès de la firme service qui propose alors une formulation optimale (nutritionnellement, financièrement, etc.).

Si les FAB de grande taille ont généralement intégré l’activité de formulation, ils gardent un contact régulier avec les firmes services pour mettre à jour leurs bases de données (sur la qualité des matières premières, les résultats d’essais zootechniques…) et s’informer des évolutions sur la conduite des systèmes d’élevage. Les firmes services échangent aussi régulièrement avec les FAB sous la forme de conseil technico-économique. De par leur position stratégique, les firmes services apparaissent comme des acteurs importants au regard des évolutions des formules qui favoriseraient l’incorporation de matières issues d’espèces de diversification. D’après une enquête d’Arvalis auprès de firmes services (Paepegaey, 2006), les trois déterminants qui conditionnent l’incorporation d’une nouvelle matière dans la formule sont : le prix, la qualité sanitaire, la disponibilité. Ainsi, pour le sorgho, la qualité sanitaire a joué défavorablement pour l’incorporation de cette céréale, qui souffre d’une image négative suite à la campagne de 1992 marquée par une qualité dégradée par des mauvaises conditions de séchage. L’appréhension des acteurs, et surtout des firmes services au regard de ces défauts de qualité (risque de perte de clientèle), peut donc affecter le taux d’incorporation de certaines matières dans les formules. Précisons ici qu’en général le pois français est apprécié pour sa qualité, contrairement à la féverole, mais souffre plus d’un rapport de prix défavorable au regard de la forte substituabilité des matières premières.

1.3.2. La haute substituabilité des matières premières

La capacité des FAB à combiner un large nombre de matières premières sur la base de leurs qualités nutritionnelles intrinsèques, conduit à une forte substituabilité des matières entre elles, qui se traduit par une anonymisation des nutriments (section 1.3.2.1) et par une grande concurrence entre les espèces végétales présentant des profils nutritionnels proches (1.3.2.2).

1.3.2.1. Le principe du "nutriment anonyme"

Un élément fondamental à prendre en compte est la multiplicité des matières premières utilisables pour la fabrication d’aliments composés pour un débouché relativement standard. L’aliment composé à destination d’un élevage porcin, par exemple, peut avoir une composition très diverse en termes de sources (matières premières) d’éléments nutritionnels (phosphore, potassium, énergie…). En effet, les FAB raisonnent leurs formules à partir de leurs objectifs nutritionnels et non directement en fonction de la matière première elle-même. Ce sont les caractéristiques nutritionnelles et alimentaires (phosphore, lysine, méthionine, glucides, lipides…) des matières premières et non leur nature (tourteau de soja, blé, pois…) qui guident avant tout les choix des formules. La recette s’exprime sous la forme d’une combinaison de nutriments pouvant provenir de différentes matières premières. En fonction des besoins et des matières premières disponibles, la recette détermine les quantités en pourcentage de chacune des matières premières à utiliser. La nature même des matières premières est donc peu considérée, seules comptent leurs propriétés. La qualité de la recette est donc moins dans la nature des ingrédients qui la composent, que dans le niveau des caractéristiques

nutritionnelles et alimentaires qu’elle permet d’atteindre. Ainsi, "en privilégiant une représentation

fonctionnelle des matières premières, le formulateur se met en position de laisser le jeu libre à toutes les possibilités de substitutions. Pour lui, l’énergie nette du maïs équivaut à celle du soja, la lysine digestible du blé équivaut à celle du pois protéagineux. L’intérêt des matières premières ne dépend plus que du rapport entre leur concentration nutritionnelle et les conditions économiques de leur disponibilité" (Lapierre, 2005), auquel

peuvent s'ajouter des conditions technologiques de stockage et de transformation évoquées précédemment.

On parle alors du principe du "nutriment anonyme".

De plus, les outils productifs industriels pour la phase de synthèse de l’aliment composé sont relativement flexibles et les FAB sont capables d’adapter ces outils selon les matières premières fournies, pour réaliser une formule spécifique. Les coûts d’une telle adaptation (calibrer les machines, changer les étiquettes…) sont en effet relativement faibles. Les FAB peuvent donc adapter les types et les proportions de matières premières qui seront combinées dans la formule, selon les qualités nutritionnelles recherchées (Figure 32 pour quelques exemples).

Figure 32. Complémentarité et substituabilité entre matières premières (Lapierre, 2011)

Ce principe de "nutriment anonyme" contribue à la haute substituabilité des matières premières en nutrition animale et renforce d’autant la concurrence des matières sur le marché. La valorisation des espèces de diversification sur le débouché en alimentation animale passerait avant tout par une connaissance fine des caractéristiques nutritionnelles de ces espèces afin d’estimer un potentiel de substituabilité dans les formules. Ainsi par exemple, alors que le pois protéagineux peut se différencier de ces concurrents grâce à sa teneur en lysine, le développement de la fabrication de lysine de synthèse affecte sa compétitivité. Quant au tourteau de soja, sa composition (profil protéine le plus élevé, cf. Figure 32), son prix de marché et sa grande disponibilité dans les ports européens en font un concurrent très fort pour les MRP européennes.

Figure 33. Evolution des taux d'incorporation des principales matières premières par catégorie animale

1.3.2.2. La substituabilité : un atout pour la diversification des approvisionnements des FAB, mais qui profitent inégalement aux filières végétales

La recherche d’une diversification des sources de matières premières est une stratégie centrale des FAB pour toujours trouver des matières moins onéreuses. La quasi-totale substituabilité des matières premières leur permet d’avoir recours à de nombreuses alternatives pour réaliser leurs formules. Cette diversification se manifeste notamment par l’intérêt accru des FAB pour les coproduits de différentes industries. Ainsi, alors que le plan protéine de la PAC perdait de son impact dans les années 1990, les farines animales ont tenu un rôle significatif dans la recherche d’indépendance des filières animales par rapport au tourteau de soja importé du continent américain. L’interdiction de l’incorporation de farines animales dans les rations, suite à la crise de l’ESB, a considérablement accru cette dépendance dans les années 2000 (Lapierre and Pressenda, 2002). Au-delà du marché très controversé des farines animales, se sont développés de nouveaux marchés agro-industriels, tout particulièrement dans les bioénergies, où une partie des coproduits ont trouvé une valorisation dans les filières animales. Il en est ainsi du tourteau de colza, coproduit de la trituration des graines de colza pour la production d'éthanol, dont l’activité s’est fortement développée en France dans les années 2000, et des DDGS (Dried Distillers Grains with Solubles) coproduits des végétaux utilisés pour la production d’éthanol par l’industrie des agrocarburants.

Ainsi, si ces nouvelles sources d’approvisionnement sont susceptibles de concurrencer le tourteau de soja, elles sont aussi des concurrentes sévères pour les légumineuses dont le pois. Le développement du colza a eu pour effet de diminuer significativement le recours au tourteau de soja depuis quelques années (Prolea, 2007). En effet, le tourteau de colza remplace de plus en plus le tourteau de soja dans l’alimentation des bovins et des porcs, à raison de 1,5 kg de tourteau de colza pour 1 kg de tourteau de soja (Agreste et al., 2011). Les quantités de tourteaux de colza utilisées ont ainsi augmenté de 30% en trois ans.

L’ensemble de ces considérations montre bien que la substituabilité des matières premières et les pratiques de la formulation qui y sont associées, conditionnent largement l’approvisionnement des usines, dont nous proposons maintenant de préciser les stratégies.

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