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4.1. Recherche, formation et recherche-action!

4.1.1. Recherche et formation

Premièrement, l’approche de cette recherche se situe résolument dans une perspective « à la première personne ». Ce point de vue particulier se définit par « le fait de se rapporter à sa propre expérience subjective » (Vermersch, 2003, p. 208). Mais dans un contexte de re- cherche, cette perspective a également un sens précis sur lequel il convient de se pencher.

Mais cette appellation désigne simultanément des pratiques de recherche où le sujet et le chercheur sont confondus (le chercheur se prend lui-même comme objet de recherche), ce qui est inacceptable suivant les critères méthodologiques s’il ne prend pas d’autres sujets. Le critère de l’intersubjectivité est un critère qui semble incontournable pour produire un travail scientifique.

Vermersch, 2003, p. 208 Ce dont il est question ici, ce sont les critères de validité scientifique. Mais ces critères de validité ne peuvent être réfléchis sans la question des finalités de la recherche ni celle de ses limites. Je vais donc commencer par définir plus finement ce type de recherche. Comme point de départ, il y a la recherche « ontogénique, c’est-à-dire qui vise un changement auto- centré par l’évaluation des pratiques personnelles et le développement des habiletés profes- sionnelles des enseignants en exercice » (Van Der Maren, 1993, p. 87).

Néanmoins, la présente recherche prétend déborder du cadre ontogénique pour inclure le volet plus large de l’optique bio-cognitive et existentielle de l’autoformation qui peut être comprise comme étant

un processus quotidien, humain, vital, qui permet à chaque individu de produire une forme personnelle à partir de l’ensemble de ses interactions avec l’environ- nement.

Galvani, 2001, p. 42 Une prise en charge par la personne des différentes dimensions de sa formation pour les assimiler d’une manière qui fasse sens pour la personne. Le terme « auto », ici, ne signifie pas le moi, mais fait référence au grec autos (le même) et désigne un principe d’organisa- tion qui traverse la personne et qui l’amène à se former. On a donc affaire à un processus d’émergence vitale de la forme appréhendée cognitivement.

Mais ces quelques définitions ne répondent pas nécessairement au commentaire de Ver- mersch. C’est pourquoi il serait utile de considérer l’analyse suivante à propos des diffé- rences entre recherche et pratique réflexive :

• Elles n'ont pas le même objet ; la recherche en éducation s'intéresse à tous les faits, processus et systèmes éducatifs, à tous les aspects des pratiques pédago- giques. L'enseignant réflexif porte en priorité un regard sur son propre travail et son contexte immédiat, au jour le jour, dans les conditions concrètes et lo- cales de son exercice. Il y a donc à la fois limitation et localisation du champ d'investigation.

• Recherche et pratique réflexive n'exigent pas la même posture. La recherche veut décrire et expliquer, en affichant son extériorité. La pratique réflexive veut comprendre pour réguler, optimiser, aménager, faire évoluer une pratique particulière, de l'intérieur.

• Recherche et pratique réflexive n'ont pas la même fonction. La recherche vise des savoirs de portée générale, durables, intégrables à des théories, la pratique réflexive se contente de prises de conscience et de savoirs d'expérience loca- lement utiles.

• Elles n'ont pas les mêmes critères de validité. La recherche se réclame d'une méthode et du contrôle intersubjectif, la valeur de la pratique réflexive se juge à la qualité des régulations qu'elle permet d'opérer et à son efficacité dans l'identification et la résolution de problèmes professionnels.

Alors, en quoi cette recherche-formation à la première personne se démarque-t-elle à la fois de la pratique réflexive et de la recherche ontogénique ? Prenons d’abord les quatre points relevés par Perrenoud.

1) Que la recherche en éducation s’intéresse à tous les faits, processus et aspects des prati- ques, cela ne semble possible que dans la mesure où la « recherche » soit prête à modi- fier ses critères de validité. Sinon, ces critères deviennent eux-mêmes les limites d’in- vestigation au-delà desquelles la recherche ne veut plus aller (Nicolescu, 1996). Par exemple, avant d’invalider ma recherche d’un point de vue scientifique, il faudrait d’abord être en mesure de prouver scientifiquement que les mêmes savoirs peuvent être produits selon la méthode scientifique ! Mais le fait de travailler « localement », dans le contexte immédiat d’une seule personne, ouvre une profondeur difficile à atteindre par d’autres moyens. D’ailleurs, désirer atteindre une telle profondeur avec des sujets autres que soi-même pose d’emblée des problèmes éthiques de taille. En effet, le fait pour la recherche d’aborder la personne dans sa globalité suppose la possibilité de toucher à des zones psychologiquement sensibles. Sans pouvoir tirer de conclusions spécifiques, je suis tout de même en mesure d’affirmer que j’ai bénéficié d’un suivi psychologique et psycho-corporel durant la presque totalité de ma démarche de recherche. À la limite, la recherche à la première personne pourrait être considérée comme une première étape in- contournable pour mettre en place une recherche de même ordre visant d’autres person- nes. Selon cette logique, le chercheur découvre d’abord pour lui-même les aspects im- pliquants de la démarche. Il se trouve ainsi beaucoup plus sensible aux divers enjeux et implications auxquels d’éventuels participants à un projet de recherche semblable pour- raient faire face.

2) C’est ici que la démarche proposée prend une distance avec la recherche ontogénique. Une fois posée l’opposition « décrire en affichant son extériorité » et « comprendre de l’intérieur », n’y a-t-il pas une position tierce qui consisterait à décrire de l’intérieur pour extérioriser sa compréhension ? La proposition de Perrenoud rejoint la vision ontogéni- que de Van Der Maren en ce sens que toutes deux semblent valider cette approche uni-

quement dans une visée d’évaluation et de développement de la pratique professionnelle. Mais en déplaçant la démarche vers une visée de « formation par production de savoir » (Chartier et Lerbet, 1993), du coup, on n’évacue pas l’aspect autoformatif de la démar- che, mais on y inclût également la possibilité d’une production de savoir scientifique. La description de l’intérieur donne accès à une source de données objectives quand à la vi- sion subjective du chercheur, tandis que la démarche de compréhension ouverte vers l’extérieur permet son insertion dans le contexte plus large du savoir scientifique.

3) Effectivement, la recherche vise des savoirs de nature théorique, ce qui, comme on l’a constaté, ne va pas de pair avec le premier critère de s’intéresser à « tous les faits » (Per- renoud, 2001). Mais comme la recherche prétend occuper tous les champs pertinents de connaissance tout en ne se souciant pas toujours de sa validité pour les praticiens, ceci semble mener à une « utilisation abusive de la recherche scientifique comme argument de validité [...] pour faire adopter des pratiques qui n’ont et ne peuvent rien avoir de scientifique » (Van Der Maren, 1993, p. 88). Autrement dit, les critères de validité scien- tifiques seraient non seulement inapplicables du point de vue de la pratique mais même de nature dichotomique. La présente recherche a donc la prétention de se situer dans cet espace peu occupé entre la recherche et la pratique et de produire des savoirs pertinents pour les deux.

Finalement, qu’en est-il de l’intersubjectivité ? De quelle intersubjectivité est-il ici ques- tion ? Dit de manière provocante, le praticien qui s’engage dans une démarche de recher- che doit faire face à la plus exigeante des intersubjectivités : la réalité. Les critères très stricts d’intersubjectivité reliés à la recherche scientifique n’ont-ils pas pour origine et pour raison le fait que le chercheur soit traditionnellement coupé de la réalité pratique de son ob- jet d’étude, et ce en vue de favoriser un certain type de savoir ? En ce qui me concerne, en tant qu’enseignant, je me dois de remettre en question mes idées préconçues, mes valeurs et mes croyances pédagogiques, si celles-ci sont inopérantes dans ma pratique. Dans le même ordre d’idées, toutes les théories que je rencontre devront être, tôt ou tard, validées pour moi et par moi, ceci dans la mesure où elles ont ou non une incidence effective sur ma pra-

tique. L’analyse de pratique m’a appris une chose : les élèves ne se gênent aucunement pour invalider mes théories les plus chères. Outre cela, la raison fondamentale qui me pousse à m’engager dans une recherche à la première personne, c’est l’adéquation que j’y trouve avec la réalité de mes collègues enseignants. Nous devons réfléchir individuelle- ment, solitairement et quotidiennement pour évoluer dans notre pratique. Ma recherche constitue, en ce sens, un « récit exemplaire » (Desgagné, 2005) de praticien réflexif, au sens où il est porteur d’un enseignement « celui qu'en dégage l'enseignant pour lui-même, en tant que son histoire illustre une facette significative de sa pratique, et éventuellement pour d'autres, en tant que son histoire est susceptible d'offrir un héritage, issu de la pratique » (I- bid., p. 3). Ma thèse en serait même, à ce titre, un méta-récit : un récit (du parcours global de la recherche), composé de récits (des descriptions de moments de pratique) et accompa- gné d’un récit du récit (la méthodologie). En ce sens, et en raison de son caractère haute- ment individualisé, une recherche collaborative, une recherche-action ou une recherche cli- nique sur des praticiens réflexifs ne saurait s’approcher autant de la réalité concrète, quoti- dienne et humaine que présente ma recherche, du moins pas sans amener une part énorme d’induction qui serait complètement inacceptable.

En résumé, voilà une recherche pratique, qui veut contribuer à l’élaboration du savoir dans le domaine de l’éducation mais qui veut, surtout, être une réflexion et une démarche de compréhension qui puisse faire du sens pour les enseignants. Les savoirs issus de cette thèse ne visent donc pas à être généralisables, mais à être potentiellement généralisables de par leur capacité à faire du sens pour d’autres praticiens.