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4.4. L’analyse des données!

4.4.6. La présentation des résultats d’analyse

La présente section a beaucoup insisté sur la structure de l’écoute acousmatique et sur l’usage de l’herméneutique acousmatique en lien avec des données expérientielles. L’her- méneutique acousmatique s’avère très puissante dans son double mouvement d’explorer le sens à partir de l’expérience de l’autre et aussi d’enraciner le sens dans sa propre expé- rience. Ce double mouvement correspond bien à un projet d’herméneutique pédagogique en favorisant une acousmatique de l’expérience.

Pour ce qui est de la présentation des résultats d’analyse, les processus mis en lumière dans la présentation de l’herméneutique acousmatique sont presque complètement mis de côté. Arès avoir réalisé chacun des quatre temps de l’herméneutique acousmatique (tel que décrit précédemment : 1- l’écoute acousmatique qui mène aux moments du sentiment d’éduquer; 2- l’écoute acousmatique qui mène aux gestes pédagogiques; 3- la lecture intersubjective; 4- l’analyse de l’articulation entre le geste et le sentiment), les données ont été réorganisées en quatre niveaux d’analyse de manière à mettre en évidence les résultats. Il y a une cer- taine parenté entre les quatre temps de l’herméneutique acousmatique et les quatre niveaux de l’analyse. Les deux premiers niveaux de l’analyse - les moments et les gestes - corres- pondent aux deux premiers temps de l’herméneutique. Le troisième niveau de l’analyse - l’articulation - correspond au quatrième temps de l’herméneutique. Le quatrième niveau de l’analyse se trouve à être une synthèse des trois premiers.

4.5. Conclusion

Ce chapitre s’ouvrait sur une présentation de la manière dont la méthodologie de cette re- cherche s’insère dans les cadres plus larges que sont la recherche, la formation et l’analyse

des pratiques. Comme on l’a constaté, cette insertion ne va pas de soi et soulève des ques- tions de nature épistémologiques quant aux finalités de la recherche et aux implications de développer un projet aux frontières de la recherche et de la formation. La perspective à la première personne préconisée dans cette recherche nous place clairement dans une démar- che d’autoformation. Or, il en est plusieurs pour affirmer qu’un projet de recherche ne peut être élaboré dans une telle perspective. Néanmoins, cette perspective permet de lever le voile sur des aspects de la réalité qui demeurent autrement ignorés de la recherche. C’est d’ailleurs le sens de la psycho-phénoménologie que d’ouvrir un champ de recherche jusque là ignoré pour des raisons de validité scientifique (Vermersch, 1999).

En outre, la parenté entre cette recherche formation et la recherche-action donne des pistes pour comprendre les enjeux qu’elle soulève. La recherche ontogénique fournit un cadre spacio-temporel unique puisque ce type de recherche tient compte des multiples dimensions de la pratique du chercheur sur une période de plusieurs années. Mais plus encore en ce qui nous concerne, ce dernier est constamment lié à la fois au devoir et au pouvoir agir du pé- dagogue. Comme il a été mentionné, une telle recherche implique, parallèlement, une re- cherche constante d’équilibre entre le mouvement extérieur du comprendre et le mouve- ment intérieur du « s’y comprendre ». C’est en ce sens que la démarche herméneutique donne forme à la recherche.

Suite cette introduction visant à répondre de façon plus complète à plusieurs des questions épistémologiques ouvertes au premier chapitre, les deux méthodes principales de collecte des données, soit le journal de pratique et l’entretien d’explicitation, ont été développées. Ces deux outils constituent, en quelque sorte, la concrétisation de l’approche psycho-phé- noménologique dont il a été question, d’abord comme posture épistémologique et ensuite comme base conceptuelle pour la compréhension de la conscientisation, du geste et du sen- timent. Ces deux outils visent la cueillette de données consistant avant tout en des descrip- tions, de nature phénoménologique, du vécu dans une perspective à la première personne.

Venait finalement une présentation de l’herméneutique acousmatique en tant que méthode d’analyse des données. D’abord par analogie avec la psycho-phénoménologie du sens se faisant (Vermersch, 2005) pour mettre en évidence les différents actes cognitifs qui consti- tuent l’herméneutique acousmatique. Ensuite, par une déconstruction de la démarche en quatre étapes : la résonance initiale, l’écoute réduite, la modulation et la compréhension. Cette mise en oeuvre de l’herméneutique acousmatique, dans un cadre d’analyse de prati- que et selon une approche psycho-phénoménologique, fournit des pistes pour comprendre la relation avec l’expérience rendue possible par l’écoute réduite. Un élément sonore, vi- suel ou ressenti, perçu dans mon expérience de l’autre, me met en contact avec ma propre expérience. L’herméneutique acousmatique, en insistant sur ce processus de réfléchisse- ment, donne un aperçu, plus élaboré bien que par le fait même dénaturé, d’un phénomène qui nous traverse normalement en une fraction de seconde. L’herméneutique acousmatique, en plus de favoriser une compréhension sensible des données, serait peut-être aussi en me- sure de fournir des bases à la compréhension et au développement d’un réfléchissement dans l’action.

CHAPITRE V

5. Le sentiment d’éduquer

Ce chapitre présente les résultats de l’analyse. Comme il a été expliqué dans le chapitre méthodologique, les entretiens ont d’abord fait l’objet d’une écoute acousmatique visant à explorer ma compréhension du sentiment d’éduquer et à mettre en évidence des gestes pé- dagogiques. Puisque cette démarche fait appel à ma propre expérience d’éducateur, des extraits de mon journal de pratique ont été juxtaposés à l’écoute acousmatique pour rendre plus explicite l’ancrage expérientiel de cette écoute acousmatique. Le texte résultant de cette herméneutique acousmatique est inséré en annexe, ainsi qu’un tableau résumant cha- que entretien du point de vue des phrases retenues pour l’écoute acousmatique. Le minu- tage accompagnant chaque extrait d’entretien permet ainsi de retrouver son contexte origi- nal dans l’entretien (annexe 1) ainsi que son contexte original dans l’écoute acousmatique (annexe 2). Le texte résultant de l’écoute acousmatique n’a pas de visée publique. Au sein de ce projet herméneutique, ce texte constitue surtout un mouvement vers le bas, visant à mieux ressentir, à mieux se comprendre soi-même par rapport à l’objet de recherche, à faire un premier tour d’horizon, pour reprendre la métaphore de Gadamer (1960). Toutefois, ce texte est inclus en annexe puisqu’il a ensuite servi de base pour élaborer les quatre niveaux d’analyse présentés dans ce chapitre.

Le premier niveau est celui des moments socio-historiques (Hess et Weigand, 1994, Lefeb- vre, 1989) au sein desquels le sentiment d’éduquer est vécu. Comme il a été expliqué au chapitre trois, nous vivons les différents aspects de notre vie par le biais de moments cons- truits socio-historiquement. Ces moments sont invoqués, pour ainsi dire, par la perception que nous avons de la situation et constituent autant une manière de percevoir cette situation que d’y agir. Le premier niveau de l’analyse se base directement sur le texte issu de l’écoute acousmatique des entretiens menés auprès des éducateurs. En effet, ce texte a me- né à la constatation que, s’il est très difficile de décrire le sentiment d’éduquer en tant qu’expérience vécue, on arrive à mieux le comprendre dans le contexte du moment socio-

historique au sein duquel il est vécu. Toutefois, Hess et Weigand (1994) avancent une con- ception assez large des moments. Par exemple, le « moment pédagogique » de l’enseignant couvre, grosso modo, l’ensemble des moments où celui-ci est en relation avec ses élèves. Les moments du sentiment d’éduquer impliquent une vision plus ciselée de divers moments constitutifs du moment pédagogique. Cette vision fait ainsi le pont avec les « micro-mo- ments » (Varela, 1996) qui s’instaurent d’ailleurs de façon analogue au moment socio-histo- rique, c’est-à-dire par une dialogique de ce qui est perçu et ce qui est déjà construit chez la personne.

Le second niveau est celui des gestes pédagogiques. Ces gestes pédagogiques sont tirés de l’écoute acousmatique des entretiens menés auprès des élèves. Comme le sentiment consti- tue un aspect intérieur du vécu, le geste en constitue un aspect extérieur. On pouvait donc s’attendre à ce que les gestes pédagogiques se retrouvent dans la description des élèves d’un moment où eux-mêmes ont le sentiment d’être éduqués. À ce niveau d’analyse, tout comme au précédent, les gestes sont répertoriés en lien avec des composantes plus globales qui constituent la pratique pédagogique. Sans pouvoir parler de moments socio-historiques, on y retrouve tout de même une parenté avec ce type de construction. Évidemment, le geste se trouve davantage lié au passage à l’acte au sein d’un moment mais, comme on le verra, la compréhension du geste permet aussi de mieux comprendre le moment en ques- tion. C’est en ce sens que le geste, comme chez Ferneyhough (1987), sera plutôt associé au concept de figure. Tel qu’expliqué au chapitre trois, la figure permet effectivement de po- ser sur le geste un regard qui met en évidence ces lignes de forces socio-historiques qui le traversent.

Le troisième niveau est celui de l’articulation du geste pédagogique au sentiment d’édu- quer. On délaisse donc, à partir d’ici, le texte de l’écoute acousmatique tel que présenté en annexe 2 pour viser la mise en relation des deux premiers niveaux d’analyse. Ce troisième niveau s’ouvre donc par la construction d’un modèle de l’articulation du geste pédagogique et du sentiment d’éduquer. Cette modélisation vise à mettre en évidence le caractère dyna- mique de l’articulation, de même que les aspects fonctionnels de ses diverses composantes.

On verra d’ailleurs comment ce modèle de l’articulation peut également constituer un mo- dèle de l’action. Ce modèle sera ensuite appliqué à divers moments de pratique éducative de façon à expliciter l’articulation du geste pédagogique avec le sentiment d’éduquer en fonction des catégories issues des deux premiers niveaux d’analyse.

Le quatrième niveau est une synthèse des trois premiers niveaux dans un moment de prati- que. Tout ce niveau est fondé sur un seul moment de pratique. Cette section vise d’abord à démontrer une application du modèle de l’articulation à un autre niveau de la pratique elle- même. Comme on le verra, le troisième niveau d’analyse associe une application du mo- dèle à un moment de pratique et à un moment socio-historique. Le quatrième niveau asso- cie plusieurs applications et autant de moments socio-historiques à un seul moment de pra- tique. Cette association vise à démontrer que l’articulation existe non seulement au niveau des « micro-moments » (Varela, 1996), mais aussi que ces micro-moments peuvent exister à différents degrés de « fragmentation » (Vermersch, 2003) des unités temporelles.

La deuxième partie de ce quatrième niveau d’analyse vise, pour sa part, à déployer un autre niveau de l’écoute acousmatique elle-même. Ainsi, comme on se souvient, le contact avec l’expérience des éducateurs et des élèves, de même qu’avec plusieurs moments de ma pra- tique, a mené à un premier texte d’écoute acousmatique, lequel constitue l’annexe 2. Ce qui est proposé maintenant, c’est de faire une nouvelle écoute acousmatique de ce texte à la lumière du moment de pratique sur lequel est fondé ce quatrième niveau d’analyse. L’in- tention est donc d’extraire l’essence de la première écoute acousmatique pour en créer une mélodie acousmatique. Cette mélodie acousmatique permet, à la fois, une meilleure com- préhension du moment de pratique et une meilleure compréhension du sentiment d’éduquer.