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3.5. La conscientisation : du sentiment au geste!

3.5.2. Vers un réfléchissement dans l’action

Un point important me semble souvent négligé à ce sujet. Le praticien qui se trouve en pleine action, comme c’est généralement le cas du pédagogue, va très rarement thématiser et encore moins réfléchir dans son action. Même le praticien formé à réfléchir dans l’action ne peut le faire qu’à l’intérieur de certaines limites liées au fait que réfléchir prend du temps. Il semble donc que c’est bien plus souvent le réfléchissement qui guide l’action du praticien. Le réfléchissement est le premier niveau de contact avec son vécu et correspond à l’interaction entre perception et schème sensori-moteur qui, dans l’action, guide notre conduite par la mise en place de micro-identités (Varela, 1996). À ce niveau, le sentiment pourrait être considéré comme une prise d’information sur ce processus qui se déroule presque complètement sous le seuil de la conscience réflexive. Alors, comment élaborer le processus de prise de conscience pour accompagner le praticien au niveau du « réfléchis- sement dans l’action » (Legault, 2006) ?

En prenant pour point de départ la modélisation de l’abstraction réfléchissante de Piaget telle qu’élaborée par Vermersch (2003) et en intégrant les travaux de Faingold (1997. 2002), Maurice Legault a modélisé ce « retour vers un vécu singulier dans la suite du pas- sage du pré-réfléchi au réfléchi » (Legault, 2005). Cette modélisation vise à décrire les éta- pes pour amener plus loin le produit de l’abstraction réfléchie jusqu’à un « aboutissement du processus réflexif dans des vécus singuliers » (Legault, 2005, p. 51). Ces étapes qui sui- vent l’abstraction réfléchie sont le « décryptage du sens » (Faingold, 1998), la création d’une métaphore personnelle et la projection du plan de la métaphore au plan de l’action vécue. Voici la modélisation dans son ensemble. Dans cette figure, on distingue les actes - en italiques - des produits de ces actes - en caractères gras.

Figure 2 : Modélisation des étapes du retour vers un vécu singulier dans la suite du passage du pré-réfléchi au réfléchi (Legault, 2005)

1 / 13.V!cu singulier, inscrit dans l"action

Connaissance en acte

2. R!"!chissemen#

3. V!cu repr!sent! Signi!ants int"rioris"s, priv"s

4. Th!matisatio$

5. V!cu verbalis!

Habillage par les signi!cations

6. R!"exio$ 7. V!cu comme objet

de connaissance Construction de l#exp"rience 8. Le d!cryptage du sens

9. V!cu #re$verbalis! Habillage $ partir du sens 10. La cr!atio$ d%une m!taphore personne&' 11. La m!taphore Ressource potentiellement mobilisable dans l#action

12. La projectio$ du plan de la m!taphor' au plan de l%action v!cu'

Mod!lisation des !tapes du retour vers un v!cu singulier dans la suite du passage du pr!%r!&!chi au r!&!chi.

Une fois que le processus de l’abstraction réfléchissante (no 2-6) a amené la personne à créer un savoir réfléchi (no 7) à partir de son vécu (savoir en acte - no 1), le décryptage du sens (no 8) consiste à développer le sens de cette expérience sur d’autres « niveaux logi- ques » (Dilts, Hallbom et Smith, 1990), soit les niveau des valeurs, des croyances, de l’identité, de l’appartenance et de la mission. L’étape suivante consiste à intégrer le sens dans la création d’une métaphore personnelle (no 10). La personne commence alors à in- verser le processus pour passer d’un savoir réfléchi vers un médium plus proche du vécu, la métaphore étant liée à la sensorialité. Celle-ci peut en effet être soit portée par un geste ou une posture, soit présentée sous une forme habituellement visuelle, mais aussi auditive, ol- factive ou liée au toucher. Finalement,

La projection du plan de la métaphore au plan de l’action vécue est l’acte qui fait en sorte que cette « métaphore-ressource » puisse être mobilisée et utilisée dans un contexte singulier et unique.

Legault, 2005, p. 51 Il s’agit alors d’intégrer cette métaphore d’une manière ou d’une autre dans la quotidienne- té de sa pratique. Si c’est une image, je peux l’avoir à la vue lorsque j’enseigne, si c’est un geste, je peux refaire ce geste lorsque j’en ressens le besoin ou bien l’intégrer dans une rou- tine.

Ce qui fait la particularité de cette approche, c’est l’importance accordée au processus de réfléchissement à chacune des étapes. Bien que le réfléchissement constitue la première étape du modèle, ce modèle ne fonctionne réellement que si le réfléchissement est présent ou réactivé à chacune des étapes, en conservant un lien dynamique fort avec le vécu de ré- férence. Le réfléchissement ne peut s’opérer qu’à partir du vécu et le vécu est toujours uni- que, singulier (Vermersch, 2003). Ce qui veut dire que le travail de décryptage du sens cherche à faire émerger les différents niveaux de sens tels que vécus par la personne dans une situation précise. La métaphore constitue ainsi un lien sensoriel avec le réfléchisse- ment de la situation de référence qui a mené à sa création.

Ainsi, non seulement le réfléchissement est un acte de création (Vermersch, Op. Cit.), mais cette création peut également s’inscrire dans une téléonomie : « Faire exister au plan du re- présenté un vécu passé, jusqu'à sa maturité dans la verbalisation, serait un processus de création face à un futur pour cette personne » (Legault, 2005, p. 52). À ce titre, le proces- sus de création d’une métaphore contient la promesse d’une conscience renouvelée de si- tuations à venir et sert effectivement le débordement du réel dont parle Piaget (Op. Cit.) et qui est le propre de la conscientisation :

Ainsi, l'essor créateur en faisant reculer les limites du monde extérieur, répond à une poussée intérieure vers le dépassement non-seulement des limites que le monde fixe comme cadre à notre expérience, mais avant tout, des moules que nous nous sommes forgés nous-mêmes par nos façons de sentir, de voir, d'éva- luer ce que nous perpétuons passivement comme les formes de notre participa-

tion au monde, à autrui, à notre propre intériorité. [...] En cherchant à le dépas- ser, c'est le monde que l'acte créateur vise mais en visant le monde, c'est par ri- cochet, au moi qu'il ramène, à cette intériorité d'où l'on était précisément parti.

Tymieniecka, 1972, p. 6 On retrouve chez Tymieniecka cette même circularité que chez Legault. Le réfléchissement vise d’abord le monde, le vécu singulier, par un acte de création d’un vécu représenté, et déborde ainsi du réel. La création d’une métaphore-ressource vise ensuite à dépasser nos propres limites dans un vécu singulier à venir, dans la mesure où cette métaphore me ra- mène à cette intériorité d’où elle a émergé.

Cette métaphore-ressource, en plus de favoriser une « présence au vécu de l’action » (Le- gault, 2007), favorise un « réfléchissement dans l’action » (Legault, 2006), c’est-à-dire une prise en compte d’éléments sensoriels et sensibles dans le cours même de l’action. En d’autres mots, il y a un passage, en cours d’action, qui s’effectue directement entre le réflé- chissement et la projection du plan de la métaphore au plan de l’action vécue. Les éléments symboliques et sensoriels du réfléchissement deviennent en quelque sorte la clé d’un réin- vestissement direct d’éléments réfléchis sans qu’il y ait besoin de réfléchir.

Cette section termine la présentation théorique des éléments clés de l’objet de recherche, soit le geste, le sentiment et leur conscientisation. La section suivante développe un con- cept d’écoute qui serra utilisé lors de l’analyse et qui est pleinement développé en ce sens dans le cadre du chapitre méthodologique.