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5.1. Premier niveau d’analyse : les moments du sentiment d’éduquer!

5.1.1. Moment de conscience du lieu pédagogique

La mise en scène

MD (11:04) Contexte

MD décrit un moment où il a mis en place un dispositif pédagogique qu’il nomme « la mise en scène praxéologique ». Ce dispositif est présenté dans le cadre d’un cours gradué en analyse des pratiques. Il s’agit, pour les partici- pants, de rejouer le moment de pratique analysé tandis que l’étudiant qui pré- sente ce moment joue le rôle de metteur en scène.

La mise en scène, c’est le geste pédagogique dans son environnement et sa globalité. C’est le lieu pédagogique qu’on déploie, qu’on met en place, pour que le geste puisse être porteur de sens. C’est là où l’enseignant a le plus de pouvoir parce que c’est un pouvoir qui ne pa- raît pas, tellement qu’il semble aller de soi. Un conditionnement, une infiltration, un dé- tournement. Sans rien de péjoratif en soi, mais souvent usé de manière inconsciente et in- considérée et c’est là que l’abus de pouvoir est le plus dangereux. Mais c’est là aussi que le geste pédagogique peut être le plus porteur à long terme, le plus subtil et le plus puissant, puisqu’il implique l’ensemble des personnes présente en ce lieu.

Journal de pratique (janvier 2005)

Les examens de flûte de MM (cinquième année) ont tendance à se dérouler ain- si : MM tremble, esquisse une note et se met à pleurer. Bref, pas ce qu’il y a de

plus convaincant. Cette fois-ci, j’avais pris le temps d’expliquer à la classe que lors d’un examen, chacun peut venir en aide à la personne qui passe l’examen par une attitude de respect et d’écoute. Alors, quand MM va commencer, je lui dis qu’on a tout notre temps et qu’on va tous l’aider. Il trouve ça très dur, a les larmes aux yeux, mais je le lâche pas : « Prends ton temps, moins vite, plus len- tement, encore plus lentement, prends ton temps de bien faire sonner ta pre- mière note, ... » Puis, je demande aux élèves s’ils ont des trucs qu’ils pour- raient partager avec MM. J’ai peur que le fait de trop insister puisse lui faire vivre son échec de façon encore plus cruelle alors je ne veux pas que les autres élèves demeurent seulement spectateurs, je veux qu’ils se sentent impliqués. Plusieurs élèves y vont de leur conseil. Finalement, quand MM a réussi à enfi- ler quelques notes et arrête, je lui dis que c’est très bon, qu’il est capable et qu’il n’a qu’à pratiquer avec ces nouveaux trucs et revenir la semaine prochaine. Juste ce qu’il vient de faire me semble vraiment énorme. Parce que tous les élèves ont droit de se reprendre autant qu’ils le veulent. La semaine suivante, il s’exécute, il joue la pièce du début à la fin, lentement et calmement. À la fin, tous les élèves explosent en applaudissements, d’une manière très chaleureuse et très sincère. C’est moi qui a maintenant les larmes aux yeux.

Dans cet exemple, la mise en scène consiste effectivement à donner un rôle à chaque élève lors d’un examen qui est pourtant individuel. Les élèves doivent apprendre à écouter de manière à identifier ce qui est bien joué, alors que tous n’identifient spontanément que ce qui est raté. Ils doivent fournir un lieu accueillant par leur silence qui est en soi le signe d’une écoute attentive. Ils doivent être en mesure de donner des conseils qui permettent à chacun de dépasser ses limites. L’élève qui doit jouer sa pièce joue sa pièce, bien sûr, mais doit aussi apprendre à ressentir le respect qui émane de l’écoute pour pouvoir y prendre ap- pui. Il doit aussi apprendre à recevoir les conseils des autres. Voilà un véritable lieu péda-

gogique.

Ceci me ramène sans détour à ma recherche de maîtrise : le « inventer un lieu pédagogi-

que » (de Champlain, 2004). C’est de là que prend racine ma quête de conscientisation du

geste pédagogique. Là où le geste est le plus subtile et le plus pernicieux, là où il gagne le plus à être explicité par l’éducateur. Je dirais même que de ne pas l’expliciter, de le garder dans la magie de l’implicite suppose de savoir ce qui est bien pour tous et chacun. Ce qui est impossible. Il n’y a pas de meilleure formule pour tous, sinon, il y fort longtemps qu’on la connaîtrait. Ce lieu doit être montré et interprété car c’est ainsi que les possibles pren-

nent corps, que la multiplicité des horizons se dévoile. C’est le foyer de l’herméneutique pédagogique. Sinon, c’est un non-lieu pédagogique.

Les amérindiens atikamekw n’ont pas de mot pour « éduquer ». Leur terme le plus proche est Kiskinomaaso qui se traduit par « Éveiller ce qui est en nous et se former avec ce qui m’entoure, s’éduquer » (Echaquan, inédit). La question qui peut donner corps à cette dé- marche nous plonge directement dans une pensée herméneutique : « Face à cet événement, qui-suis-je ? » Ne pas interroger le lieu pédagogique, c’est laisser toute la place à la per- ception première d’homogénéité que les élèves prennent souvent pour acquis et qui se ma- nifeste, souvent, dans des raisonnements comme : « Je ne lèverai pas la main pour poser une question puisque personne ne lève la main pour poser de question ». Questionner le

lieu pédagogique, c’est donner à chaque élève la chance de se reconnaître au sein de cette

collectivité éducative.