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4.3. L’entretien d’explicitation!

4.3.3. Exemple de conduite d’un entretien

Voici un extrait de verbatim d’un des entretiens que j’ai menés dans le cadre de ma recher- che. Les phases d’initialisation et de focalisation sont déjà passées, nous sommes en pleine phase d’élucidation. Le contenu, dans la colonne de gauche, n’est pas analysé. Seule la technique d’entretien est commentée dans la colonne de droite, de manière à montrer com- ment je mène cet entretien.

MP est un enseignant en musique au primaire qui décrit un moment avec une classe de 5e année qui se passe en fin de période. Il s’agit d’un moment très court au travers duquel MP a eu le sentiment d’éduquer, alors qu’il doit régler une situation où une fille a accusé un au- tre élève. Le but de ce passage est de décortiquer ce que MP a senti et qu’il a associé au sentiment d’éduquer. Une fois MP bien en contact avec son expérience, l’entretien se dé- place vers le sens que revêt pour lui cette situation. Y c’est moi (Yves) qui interview. Ce passage débute à 32:57 du début de l’entretien et se termine à 37:27. Il se situe donc vers la fin de l’entretien. On remarque dès le début que je fais un « accompagnement des gestes » (Faingold, 1998) de MP. Ceci vise à aider MP à mettre des mots sur un savoir pré-réfléchi dont les gestes sont parfois porteurs (Ibid.).

Tableau 2 : Extrait d’entretien d’explicitation MP Le p’tit gars il fait signe comme « oui!»

Je répète en écho un mot à la fois pour dire à MP que je le suis bien tout en renforçant

son contact avec son expérience Y Oui ...

MP ... pis je sens comme un p’tit euh ... dans la classe (fait un geste avec les bras en rond qui montent) Y dans la classe ...

MP je sens comme ... comme un tsé, un ... c’est c’est vraiment très J’acquiesce parce que MP devient plus hésitant. Il semble considérer que ce dont

il en vient à parler est trop petit dans le temps pour valoir

la peine. Y OK

MP un dixième de seconde Y OK

MP tsé ... comme une approbation, si tu veux Je reprends un geste ample qui accompagne «!approbation!» parce que le

“si tu veux” suggère que le terme est insatisfaisant pour

MP. Y OK, il y a quelque chose ici mais ça fait ça comme ça

MP Oui, tu sens un mouvement Je reprends encore le geste

pour amener MP à ressentir à nouveau ce mouvement. Y Ok, un mouvement comme ça

MP qui approuve, un peu Double contrainte!! Je lui

demande de rester avec ce mouvement avant de repartir dans son interprétation mais je

lui demande aussi de l’interpréter. Y Peux-tu rester avec c’te mouvement-là un peu!? Pour toi c’est quoi c’te mouvement-là!?

MP ... Je reformule ma question pour

rediriger son attention vers ce mouvement.

Y Tu le nommerais comment c’te mouvement-là pour toi!?

MP Euh, c’te moment-là c’est ... Comme il hésite mais qu’il a

repris contact avec son corps, je lui demande seulement de

prendre son temps. Y Reste avec, comme ça

MP C’t’une vague (le mouvement s’amplifie)

J’acquiesce et je répète en écho pour demeurer avec lui

dans sa prise de contact. Y Ok, y’a une vague

MP C’t’une vague, tout le monde est monte dans un haut, là (les bras restent en haut) Y OK

MP Wfffooo (l’onomatopée accompagne le geste) Comme il passe dans un mode non-verbal et métaphorique, je

lui redonne ses mots. Y Y’a une vague qui monte, pis toi tu sens ça

MP Oui oui, comme un wfffooo

Il y reste alors je n’insiste pas. Y Ok

MP Tu sens que tout le monde est à la même place

Les mots se placent et j’ai l’impression d’avoir toute la

séquence dans l’ordre de micro-moment en micro- moment. Le verbal et le non-

verbal sont synchronisés. Y OK

MP ... pis là ça fait comme (les bras redescendent) ... pis après ça ça redescend Y Ça redescend

MP Pis tu sens comme une approbation, là (les bras s’ouvrent) Y OK

MP L’approbation que ... «!oui!! (retour des bras qui descendent) ... c’est ça!!!» ... Y OK ...

MP Bon, pis là, j’arrête là, pour l’instant MP me dit qu’il a terminé mais je lui propose d’y retourner. Y OK ... Tu veux-tu rester avec cette vague-là, ici!? (quand elle est suspendue en haut)

MP Oui Il accepte et y retourne. Je

prends le temps de m’en assurer.

Y OK, tu l’as bien!?

MP Oui Mon questionnement bascule

de l’action aux valeurs. Y OK ... À ce moment-là, c’est quoi qui est important pour toi, quand cette vague-là elle monte!?

MP ... Ben ce qui est important, moi, ce qui, ce qui me marque, c’est un espèce de comme de ... de consensus.

Un premier élément ressort, sur lequel j’insiste légèrement pour permettre à MP d’évaluer si c’est vraiment ça qui est

important pour lui. Y OK, c’t’un consensus.

MP que je sens dans la classe.

Y Ok, pis ça c’est important pour toi.

MP Ben, important, c’est que ... ... c’t’un consensus mais c’est aussi je te parlais de senti tantôt MP focalise sur l’aspect senti, je réponds rapidement pour qu’il évite de m’expliquer trop

vite. Y Oui oui oui

MP je sens ... qu’y a comme une approbation générale de «!oui c’est vrai ...!»

Écho. Y Y’a un «!oui!»

MP ... mais en même temps c’est comme ... dans le senti

Je laisse MP baigner dans ce senti et l’explorer tout en

demeurant présent. Y mmm mmm

MP dans ce que je sens à l’intérieur de moi ... Y Oui

MP C’est ... c’est pas négatif une seconde là Y non

MP c’est très positif Y OK

MP ... c’est un peu comme quand on dit qu’un élève, s’cuse-moi j’ai mal au bras (redescend les bras) MP avait les bras en l’air pour se tenir sur le haut de la

vague. Y Oui oui, c’est correct

MP

un élève, comme quand qu’on dit ... ... que tsé c’est bien de ... ... j’aime pas l’expression mais je vais l’utiliser quand même là

Ici, MP livre sa théorie en demeurant ancré dans ce moment d’expérience. Je me contente de demeurer présent

mais effacé pour seulement l’encourager à y rester.

N.B. : les mots répétés «!t’as t’as!», «!cet cet!» et autres

sont conservés dans le verbatim puisqu’ils sont révélateurs d’une certaine

tension dans le discours, d’hésitations rapides au même

titre que les «!...!» indiquent des hésitations plus lentes. Y mmm mmm

MP la main de fer dans un gant de velours Y Oui ?

MP L’encadrement qui est important pour un élève Y mmm mmm

MP

En même temps qu’il faut qu’il y ait une souplesse, là. Tsé, faut que ça soit bien encadré mais à quelque part il faut que tu saches où est-ce qu’elle est la souplesse, faut qu’il y ait une souplesse dans tout ça

Y mmm mmm

MP C’est pas évident à ... Y oui

MP d’être habile là-dedans Y mmm mmm

MP

Pis ... c’est un peu comme ... tu sens que comme bon, t’as t’as réussi là, cet cet aspect là, tsé à dire « bon ben on va créer un climat qui est intéressant!»

Y mmm mmm

MP ... un crr créer un climat qui qui a une certain souplesse Y mmm

MP

qui est agréable ... ... mais ... étant donné que je mets quand même un cadre dans cette classe-là qui ... des fois j’aime ... non je dirai pas que j’aime pas, mais qui, qui peut être contraignant, si on veut

... idem ... Y mmm mmm

MP malgré tout ça, ça passe bien Y OK

MP C’est correct comme ça Y OK

MP

Pis, c’est un peu comme les élèves qui disent « oui, y est là, c’te cadre-là mais on est bien dedans, tsé on on est pas mal à l’aise là-dedans, c’est correct comme ça.!»

Y mmm mmm, OK ... donc dans l’fond c’t’un peu cette, c’te, le «!oui!» que tu reçois à ce moment-là, c’t’un oui à ça. Je vérifie que MP est encore en relation avec ce moment d’expérience en ramenant son

“oui” du début. MP Oui, c’est ça.

Y OK MP

... pis aussi c’est un oui qui dit ... l’affirmation est là, qui dit un peu aussi à ... à la fille en question «!regarde!» ... (petit rire) ... en termes plus directs ... «!mêles-toi de tes affaires ... y’en a un qui s’occupe de ça.!»

Alors je le laisse continuer. Y mmm mmm

MP

pis c’est ... «!t’as pas à ... t’as pas ... à entrer là-dedans!» et pis moi aussi en même temps c’est un peu protéger la fille ... de dire «!regarde, je m’en occupe pis j’me fierai pas ... sur une ... » pis souvent j’suis de même avec mes élèves, j’me, j’ai beaucoup de difficulté à me fier sur une accusation d’un autre élève Y mmm mmm

MP pour porter un jugement

On remarque qu’au début, j’interviens davantage. D’abord pour isoler le moment précis et amener MP à revivre son sentiment d’éduquer. Puis, vient un moment où MP est en mesure de livrer « pourquoi » ce moment fait du sens pour lui, ce que ce moment contient. À partir de là, je demeure vigilant que son discours demeure enraciné dans son expérience, sinon, je le laisse aller sans intervenir ou presque. Les entretiens portant sur le sentiment d’éduquer comportaient tous un moment de la sorte où l’interviewé arrivait en contact avec un mo- ment précis qu’il ou elle avait vaguement pressenti comme étant un moment où il ou elle avait eu le sentiment d’éduquer. À ce moment, l’entretien basculait de manière à déplier ce moment, à en faire émerger le sens pour l’interviewé.