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A la recherche d’une architecture exprimant le « fait coopératif » ?

Dans le document Habitats alternatifs: des projets négociés ? (Page 117-122)

coopératif » ?

Comme le notaient Ph. Bonnin, V. Kalouguine et A. Blondel52, les projets auxquels on a

affaire dans le cadre coopératif et autogéré mettent en tension particulièrement forte la diversité des attentes des ménages quant à leur espace propre, pouvant se traduire en façade entre autres, et l’acte architectural qui suppose un certain degré de cohérence et d’homogénéité.

Nous pouvons distinguer trois plans sur lesquels se joue architecturalement l’articulation de l’individuel et du collectif : la flexibilité des logements, permise en particulier par la trame structurelle ; la mise en forme des espaces partagés ; la volumétrie et l’expression d’ensemble du bâtiment.

1. La flexibilité des plans de logements

On assiste, dans les différentes opérations et même parfois au sein de la même opération, à deux dynamiques : celle qui repose sur une confiance du concepteur à l’égard des habitants pour négocier entre eux un certain nombre de dispositions concernant leur logement ; celle qui veut gagner du temps et réduire les discussions et éventuelles disputes entre habitants en fournissant un cadre de négociation plus réduit.

Dans la première famille de démarches, on situera par exemple la réflexion de P.-E. Faure : « La solution qui vient d’en bas, ça serait : ‘Bon, voilà, vous avez 40 m2 de terrasse, vous vous les partagez comme vous voulez. Alors soit vous les partagez intégralement et chacun l’emploie comme il veut…soit vous vous la partagez en deux … soit il y en a un qui en veut

52 Bonnin Ph., Kalouguine V., Blondel A., Rôle de l'architecte dans un processus de maîtrise d'ouvrage et de

plus, … ‘ C’est un peu l’idéal, on introduit des espaces de négociations entre voisins…La solution de l’architecte, c’est hop on met un mur, on met les deux terrasses. Ça c’est la solution qui vient d’en haut ». Et des réflexions similaires se développent sur les loggias, avec l’impact sur la façade du rythme que prendront les loggias fermées ou non-fermées, ou encore sur les paliers.

A la petite échelle du groupe Lo Paratge, il semble que des négociations entre habitants peuvent parfaitement aboutir : « On leur a dit : ‘Bah voilà, on vous donne des plans et vous prouvez prendre un calque et puis vous dessinez par-dessus…’ Donc en fait, elles se sont réunies par petits groupes, elles se sont envoyé les trucs par internet ou par courrier et puis pour finir, on a des modules qui sont à peu près… (…) Elles s’influencent les unes les autres. C’est très gérable pour finir » (entretien avec L. Battais).

Se croisent sur les mêmes opérations des logiques top-down, en particulier sur les équipements techniques du logement. « On a fini par dire : ‘Bon on va mettre des points d’eau tous au même endroit parce que c’est plus simple et c’est moins cher aussi… Et puis on va faire un plateau qui sera le même pour tout le monde et puis après on mettra des cloisons sur ce plateau et comme ça il y aura des possibilités de moduler des logements de manière plus facile … Et si quelqu’un part, comme c’est un plateau, on enlève les cloisons, c’est pas grave, le sol restera à peu près bien, donc ça c’est pas un problème…’ » (entretien avec L. Battais).

Le mode de chauffage et le rêve de cheminées amènent à des arbitrages forts de la part des professionnels, AMO comme concepteurs : « Tout le monde voulait sa petit cheminée, pas tout le monde mais… On a dit non, on ne peut pas faire ça, on va faire du chauffage plancher basse consommation, on veut faire des économies d’énergie, donc si on vous met chacun une cheminée, faudra… c’est compliqué, ce n’est pas impossible mais pas si évident que ça. Donc finalement, il y aura deux cheminées, qui seront plus collectives … Mais quand même pour deux, trois d’entre elles, ça ne leur plaisait pas trop » (entretien avec L. Battais).

L’articulation de ces deux démarches conduit certains à une pensée en arbre : la rationalité technique et économique porte à développer au maximum un tronc commun : des gaines communes, des portes et fenêtres de même dimension, un chauffage collectif, des prestations de second œuvre similaires dans les appartements, etc. La « pensée en arbre » serait alors de se poser la question, aussi souvent que possible, de savoir ce qui est perdu (en termes économiques, en termes de performance technique, de solidarité entre voisins, de cohérence architecturale, …) à différencier tel ou tel élément, à laisser se distinguer une « branche ».

La structure porteuse a évidemment un rôle majeur dans la flexibilité des logements : le système poteaux-poutres de l’ancien lavoir du Buisson-St-Louis est en effet une aubaine pour l’équipe B. Kohn- D. Tessier et les bâtiments neufs qu’ils vont concevoir pour d’autres groupes d’habitants dans les années 80 reprennent cette structure. Pour la Reynerie, la conception modulaire est présente aussi « il y a des systèmes qui sont mis au point avec des

systèmes d’escaliers, un système de gaines avec les pièces humides. Et puis ensuite, ça [le logement] ça peut être plus ou moins important, ça [la cloison] ça peut coulisser comme ceci, ça aussi et ça ça peut… on peut distribuer une chambre, on peut en distribuer une, deux, trois, quatre, voire dans certains cas plus. Et on arrive jusqu’au T8 où on aura une cellule qui regroupe l’ensemble. (…). C’est des systèmes de distribution évolutifs, qui tolèrent beaucoup de variabilité…» (entretien avec S. Gruet).

2. La mise en forme des espaces partagés

On l’a vu précédemment, les espaces partagés font l’objet d’une invention programmatique débridée de la part des habitants, parfois même au détriment de la réflexion sur leur propre logement ; et l’un des rôles des accompagnateurs AMO comme des concepteurs est de donner des limites à cette imagination. Ces espaces restent malgré tout les lieux qui spécifient la démarche, donnent un « plus » au logement, révèlent les valeurs du groupe en matière de délimitation de la sphère de l’intime par rapport à la sphère de la communauté de voisinage et de celle du quartier. Ce sont aussi des espaces qui, à l’inverse des logements, ne font pas l’objet d’une image normée dans les représentations que peuvent en avoir les habitants et leurs partenaires professionnels.

Dans les propos que nous avons recueillis, c’est surtout sur les fonctions et la gestion de ces espaces que nos interlocuteurs s’expriment. La mise en espace semble passer au deuxième plan par rapport à toutes les questions d’usage. A Diapason, par exemple, le principal débat porte sur la localisation de la « maison commune » : doit-elle être proche de l’entrée dans l’immeuble, de manière à ce que les résidants voient qui s’y trouve et y passent spontanément ? Ou bien doit-elle être sur le toit, pour bénéficier de la vue sur le canal de l’Ourcq, de l’ensoleillement d’une terrasse, de la possibilité d’installer un barbecue, … ?

A Toulouse, c’est la dimension gestionnaire qui prend le dessus, même chez les architectes : les espaces sont destinés à divers périmètres du « collectif » : l’ensemble des habitants pour la salle polyvalente, les enfants seulement pour les espaces de jeu, les coopérateurs qui en ont fait la demande pour les chambres d’amis et la réflexion se porte sur la manière dont ces différents lieux devraient être financés et entretenus, sur les contributions financières des ménages à tel ou tel espace, etc. « Même une salle polyvalente, bon, ça reste une salle assez classique une fois qu’on l’a posé comme ça. Par contre ce qui est intéressant c’est le fait qu’elle existe plutôt que sa forme » (entretien avec P.-E. Faure).

Pour les Babayagas, alors même que l’accent est clairement porté sur le projet dans ses dimensions collectives, l’architecte ne fait état d’aucune réflexion commune sur les espaces partagés dans leur morphologie, les matériaux, les couleurs : « Je crois que le projet philosophique, et particulièrement chez Thérèse Clerc, est tellement prégnant, est tellement fort et puissant qu’il balaye ces choses. Elle apprécie beaucoup que ce soit une dimension

[la qualité de l’architecture] qui soit intégrée, évidemment, mais je pense que, du reste, elle l’a dit, les plus belles expériences qu’elle ait connues dans sa vie, ce sont des lieux de partage qui étaient absolument…sans intérêt spatial … et je partage son avis » (entretien avec S. Tabet).

3. La volumétrie, l’expression d’ensemble

Un enjeu architectural complexe est celui de la forme, de la façade dans ce qu’elle exprime de la démarche. Ainsi a-t-on pu observer, au sein du groupe Diapason, des discussions sur la nature même de la parcelle et de ce qu’elle exprimerait de « l’ouverture » du groupe. En effet, la Semavip disposait, dans le secteur Ourcq-Jaurès de deux parcelles très différentes : l’une, grande, permettait essentiellement un développement en cœur d’îlot, à la manière du Buisson-St-Louis, qui a d’ailleurs été la référence citée dans les débats. Alors que la parcelle du 45 rue de l’Ourcq, finalement choisie, était bordée de deux rues et du canal et correspondait davantage à l’idée que le groupe se faisait d’avoir « pignon sur rue », de constituer un repère dans le quartier, de faire preuve d’ouverture.

D’une manière semblable, la question du « collectif » a posé problème tant pour le groupe Lo Paratge que pour le Grand Portail à Nanterre où l’accession à la propriété se doublait dans les représentations des habitants d’un désir de « maison ». On a déjà évoqué les discussions qui se sont produites à St Julien de Lampon quand, sur le vaste terrain de périphérie de bourg qui était attribué à l’opération, l’AMO puis les architectes ont avancé l’idée d’un bâtiment ramassé, avec un étage, de manière à réduire les façades et les déperditions thermiques.

« Au début, on leur a présenté un projet sur deux niveaux et elles ont trouvé ça trop rigide, il y a eu un tollé, elles trouvaient que c’était trop urbain. Nous on continue à trouver que c’était la meilleure solution. Mais bon. Il faut dire aussi que ce sont des personnes qui viennent de milieu urbain et qui ont décidé de terminer leur vie ici, en milieu rural, parce qu’elles avaient envie d’autre chose. Ca a beaucoup joué sur ce projet. On ne va pas forcément le retrouver sur un autre. Mais ça leur a fait très peur d’avoir quelque chose d’assez dense comme construction, sur 2 niveaux. Et par ailleurs il y avait un aspect collectif qui les a rebutées. C’est assez amusant parce que d’un côté elles sont dans cette démarche collective et en même temps elles ont refusé ce côté-là. Il faut dire que nous on l’appliquait dans notre démarche environnementale et parce qu’on pensait que pour des personnes qui veulent vivre ensemble ça coule de source de vivre vraiment ensemble. Mais on s’est un peu plantés en tant qu’architectes parce qu’elles elles voyaient ça comme un hameau, un village, chacun chez soi mais avec des espaces communs. Vu leur âge on leur a bien montré qu’il ne fallait surtout pas qu’elles tombent

dans ce qu’on a fait dans les années 70 où les architectes faisaient des barres comme l’unité d’habitation de Le Corbusier où on avait un étage à disposition de tout le monde mais qui n’a jamais été utilisé. La collectivité ce n’est pas ça, il faut avoir un dessein commun mais il faut savoir comment l’appliquer. Par rapport à ça, il y a eu au départ des compromis de part et d’autre puisqu’on est arrivés à faire des logements regroupés par 2 ou 3, ça fait des ensembles de 5 de part et d’autre d’une cour ouverte Nord-Sud. Ca a été le compromis entre elles et nous. On aurait construit certainement beaucoup plus dense, on ne leur aurait pas fait une barre d’habitation mais deux ou trois bâtiments, bien intégrés dans la nature mais sur deux niveaux. Alors que là on a 8 bâtiments sur le terrain au lieu de trois. » (entretien avec C. Pialat, architecte du groupe Lo Paratge)

Il semble d’ailleurs que l’expression graphique ait permis de désamorcer en partie la tension : « Il y a eu une esquisse une fois, mais très basique, de l’organisation que pourrait avoir leur projet. C’était assez amusant parce qu’il y avait les logements sur deux rangées, 7 à 8 logements qui se faisaient face et ça ressemblait un peu à Versailles, si vous voulez, et il y avait les locaux collectifs dans l’axe de ces deux rangées de logements. C’est la seule esquisse qui a été faite, et qui n’a pas été retenue bien entendu, d’abord parce que ça ne tenait pas compte du terrain, ensuite parce que les logements étaient isolés les uns des autres et au niveau environnemental on leur a bien expliqué qu’on ne pouvait pas faire ça et que nous en tant qu’architectes on était là pour travailler par rapport au terrain, par rapport à l’orientation. Donc on a réussi à les convaincre par rapport à ça. Mais cette esquisse c’est parti d’une seule personne. Ca ne représentait pas l’avis de la majorité » (entretien avec C. Pialat). La comparaison ironique à la symétrie de Versailles montre bien comment la naïveté de l’expression graphique de l’habitante (isolée ?) qui s’y était essayée, a pu disqualifier cette option.

La posture habituelle de l’architecte semble être de tenir la maîtrise de la volumétrie d’ensemble et des façades, comme relevant de sa compétence exclusive. « Nous, on a dit tout ce qui est de l’extérieur, c’est nous. Ça a été discuté, mais on n’a jamais lâché là- dessus. Mais il y en a qui trouvaient ça injuste car : « La couleur que vous mettez dehors est la même que l’intérieur et donc vous m’imposez une couleur à l’intérieur, par exemple sur la couleur des profils de fenêtres » (…). Et donc parfois, ils trouvaient que cela faisait contradiction avec leurs goûts à l’intérieur du logement. Oui, et puis parce qu’en qualité d’architecte, on a fait valoir qu’on était porteur d’un projet qui était le projet organisateur » (entretien avec D. Tessier).

Il y a sans doute des positions médianes à trouver pour exprimer des variations individuelles sur une trame très affirmée.

« Le fait que ça soit coopératif ça peut peut-être se jouer au dernier niveau. Au dernier niveau il y a des duplex qui sont taillés sur mesure et donc… on va avoir un profil de toiture qui ne sera pas dessiné par l’architecte, sur sa simple intention. Il épousera les demandes en fait. Et je pense que quand on va la regarder, on va lire ça. Alors il y a des architectes qui sont très forts pour simuler ça, qui y arrivent. Il y en a d’autres qui essayent et qui n’y arrivent pas du tout, on devine tout de suite que c’est l’architecte qui a essayé de simuler. Heu… l’archétype ça pourrait être la ville médiévale, ou une place urbaine médiévale qui n’a pas été dessinée. L’idée c’est une architecture qui naîtrait d’elle-même, c'est-à-dire de la simple formulation du programme… » (entretien avec P.-E. Faure).

La question de l’expression d’une diversité dans l’unité, dans le dessin des façades comme dans les choix typologiques, reste posée.

Dans le document Habitats alternatifs: des projets négociés ? (Page 117-122)