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La confrontation aux normes et règles

Les opérations dont il est question ici mettent particulièrement à l’épreuve les cadres législatifs et réglementaires élaborés pour la production courante du logement. Un certain nombre de moments critiques du déroulement des opérations est lié au franchissement de ces obstacles.

1. Les règlements d’urbanisme

Sans se mettre délibérément dans une logique de transgression ni même de dérogation, les groupes jouent plus ou moins aux frontières de la réglementation urbaine ; ainsi le groupe Village Vertical ne souhaite pas intégrer dans son opération les places de stationnement qui lui sont imposées par le règlement de la ZAC. Les options écologistes des habitants, et leurs pratiques de déplacement, rendent ces places non pertinentes dans leur projet. C’est d’ailleurs un problème commun à de nombreux groupes qui allient habitat coopératif et recherche d’un mode de vie moins consommateur d’énergies non renouvelables. Mais alors que d’autres groupes ont répondu différemment, par exemple en concevant ces parkings pour qu’ils soient transformés dès la livraison du bâtiment en salles de bricolage, de musique ou autres, le groupe Village Vertical affronte le paradoxe très ouvertement. Ainsi surgit, tôt dans la programmation, l’idée d’un partenariat avec Lyon Parc Auto44(LPA), afin de profiter

de l’opération pour ouvrir une station d’Autolib’, structure d’auto-partage associée à LPA. L’hypothèse d’une contrepartie, par la construction d’une station d’auto-partage en surface, d’une diminution des places à construire en sous-sol, n’aboutit pas. C’est finalement par la location d’une partie du sous-sol à LPA pour une station Autolib’ de 2 ou 3 véhicules, accessible à tout public, que l’esprit du règlement pourra être recevable par le groupe d’habitants et intégré à son projet.

2. Les règles d’attribution des logements sociaux

Le processus est assez similaire, à Villeurbanne toujours, à propos de l’attribution des logements sociaux en PLAI contenus dans l’opération. Rappelons par ailleurs que, dans le partenariat avec l’organisme coopératif HLM Rhône Saône Habitat qui joue le rôle de maître d’ouvrage délégué pour Village Vertical, a été négocié que devraient s’accoler, dans l’opération mais sous forme de deux copropriétés distinctes, les 15 logements de Village Vertical et 24 appartements en accession sociale. Au sein de Village Vertical, le groupe a souhaité consacrer 4 logements-foyers en PLA-I à des jeunes en difficulté d’insertion. Mais c’est pour la question de l’attribution de ces logements que les règlements existants ont posé problème : la subvention d’Etat implique en effet une réservation de logements dans le cadre des contingents préfectoraux alors que les Villageois voulaient pouvoir intervenir sous forme

de cooptation pour s’assurer de l’adhésion des locataires à leurs valeurs propres et aux règles de fonctionnement de l’unité de voisinage qu’ils avaient adoptées. Le groupe, par ailleurs, se sentait capable d’intégrer ces locataires dans un « environnement aidant » mais ne se sentait pas en capacité d’assumer des personnes en grande difficulté. Mais, comme le note la chargée d’opération de RSH : « dans le cadre d’une commission d’attribution classique, ça ne marche pas. Si vous refusez quelqu’un qui remplit les conditions de ressources, c’est discriminatoire ». Tous les partenaires intéressés par cette expérimentation ont bien compris la difficulté : comment faire évoluer les cadres d’attribution pour que les critères de ressources puissent être complétés par la dimension d’adhésion au projet, avec le flou que cette notion recoupe. C’est finalement par un partenariat avec l'URHAJ (Union régionale pour l'habitat des jeunes) que ce débat s’est résolu : l’URHAJ, structure qui fédère un certain nombre d’associations pour le logement des jeunes en Rhône-Alpes, s’est déclarée prête à assurer le portage financier des logements en PLAI, y compris le prorata des parties communes, et va gérer les logements en direct, en s’orientant vers un logement de type T1 et un grand appartement en colocation. Le statut de ce partenaire lui permet d’adapter les modes d’attribution aux conditions spécifiques du Village Vertical.

3. Le cadre réglementaire du logement des personnes âgées

La bataille réglementaire la plus virulente, parmi les opérations étudiées ici, est probablement celle des Babayagas, elles aussi confrontées aux mécanismes d'attribution des crédits personnes âgées. En effet, la recherche de financements puis le recours au portage par l’OPHLM de Montreuil a nécessité une approche financière conforme à la production réglementée du logement des personnes âgées. Or, le cadre institutionnel actuel prévoit deux types de structures : la maison de retraite et le logement-foyer. Le premier cas représentait, on l’a vu, l’exemple-repoussoir dès l’origine du projet. Dans le second cas, il s’agit d’un groupe de logements autonomes bénéficiant, de manière facultative, d’équipements et de services collectifs mais relevant, en tout état de cause du Code de l’action sociale et des familles. En tant qu’actions relatives au social et médico-social, les logements-foyers relèvent donc des départements et supposent la mise en place de conventions tripartites entre l’Etat, le département et le gestionnaire. Pour la Maison des Babayagas, la Ville de Montreuil ainsi que l’OPHLM se sont adressés au Conseil Général de la Seine-Saint-Denis pour monter la convention et obtenir les subventions adéquates. Paradoxalement, puisque les différents partenaires étaient sur les mêmes positions politiques (le Conseil Général de la Seine-Saint-Denis a une majorité communiste, comme la Ville de Montreuil à l’époque de J.-P. Brard), un désaccord idéologique de fond s’est manifesté, d’une part sur la non-mixité de l’opération et d’autre part sur la revendication à l’autogestion des futures utilisatrices. Sur le deuxième point, les craintes étaient que le groupe d’habitantes ne gère pas bien, sur le plan social comme sur le plan économique, l’entretien des équipements communs et l’évolution du groupe au moment où des logements se libèreraient. Mais c’est le premier point qui a donné lieu aux polémiques les plus violentes : l’argument du Conseil Général était que l’attribution des logements aux seules femmes engendrait un processus de discrimination non compatible avec les règles du financement public de logement. Les contre-feux ont été nourris : quand on réalise un ensemble de logements pour migrants à la retraite, on ne s’adresse bien qu’aux seuls hommes ; et puis la démographie montre que dans les tranches d’âge où elles se trouvent,

les hommes sont peu nombreux, … Mais la sortie de crise est passée par l’intervention, en relais à l’organe technique que représentait l’OPHLM, de la structure mixte Service Etudes- Habitat avec des compétences plus fines et des rapports privilégiés au politique. Le Conseil Régional, en particulier, a débloqué la situation en la sortant du cadre du logement pour personnes âgées et en signalant l’existence de financements pour des opérations de solidarité et d’insertion. Des logements attribués à des jeunes ont été ajoutés au programme pour venir à l’appui de cet autre regard réglementaire sur l’opération : c’est la mixité inter- générationnelle qui finira par « sauver » la maison des Babayagas.