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Contractualisations, dispositifs d’action

Dans le document Habitats alternatifs: des projets négociés ? (Page 114-117)

Concernant le cadre contractuel dans lequel se réalisent ces opérations, du point de vue des concepteurs, primordial pour assurer la pérennisation de la pratique, il semble qu’il ne fasse pas l’objet de réflexions très spécifiques. A moins que ces réflexions existent bien, mais ne nous aient pas été communiquées lors des entretiens ; on connaît la réticence de la plupart des architectes à aborder la trivialité économique et juridique des « coulisses » de leur travail de conception.

C’est essentiellement sur la délimitation des missions d’assistance à maîtrise d’ouvrage, de programmation au sens plus étroit, de maîtrise d’œuvre et de conception que se centrent les conflits et que porte la réflexion.

1. Définition des missions respectives

On l’a vu plus haut, les dispositifs d’action à l’œuvre dans les opérations qui nous occupent ici sont très complexes et souvent proliférants. Les acteurs sont nombreux et l’investissement militant qu’ils déploient les amène souvent à « déborder » des missions qui leur sont attribuées en propre. Pour évoquer le travail de L. Karpik sur « les dispositifs de confiance », on pourrait dire que la confiance fait office de dispositif dans bien des cas.

Au sein du groupe d’habitants tout d’abord, la confiance réciproque se contractualise assez vite par une mise de fonds, qui signe un engagement matériel pour la poursuite du processus. A Nanterre, par exemple, « ils se rendent compte que le groupe peut déraper quand même… alors ils [l’Epasa et la Ville] ont mis des garde-fous dans la mesure où ils ont demandé aux familles de contribuer à hauteur de 800 euros à la formation dans le cadre d’une convention de formation. Pour plusieurs raisons : d’une part, ça a permis… pas d’éliminer mais… dans ce genre de démarches il y a quand même toujours des gens qui sont incertains et là ça a éliminé je pense, une ou deux familles qui à l’approche du versement du chèque de 800 euros qui n’est pas rien, ont dit non bah finalement je vais avoir possibilité d’un logement plus proche de mon travail, etc… C’est aussi un peu l’écueil des projets d’habitat groupé, c’est qu’on ne sait jamais l’équilibre et la pondération de ce que peut impulser quelqu’un dans un groupe, les directions qu’il peut lui faire prendre, surtout si ces personnes en viennent à quitter le groupe en cours de route. » H. Saillet

L’ampleur de l’opération de Toulouse, et le souci d’en faire un prototype pour des répliques ultérieures ont amené les initiateurs à raisonner en termes de « fusibles » : à qui confier le surplus de travail engendré par la participation des habitants pour ne pas mettre en difficulté les intervenants professionnels. Ainsi l’AERA, qui bénéficie de crédits recherche-

expérimentation du Puca, veille-t-elle à maintenir le contrat de l’architecte dans un périmètre ordinaire.

« L’idée de départ c’était que le fait que le programme soit coopératif ne devait pas représenter une charge supplémentaire de travail pour les architectes. Et c’était aussi de mon point de vue la meilleure façon de rendre l’opération reproductible. Le marché est classique, le contrat avec les architectes est classique, la mission est classique. Le surplus de travail, c’est notre motivation, enfin nous ou quelqu’un d’autre mais, c’est la structure » (entretien avec P.-E. Faure).

L’échec du partenariat avec la première équipe d’architectes a d’ailleurs conduit à affiner le contenu de cette mission et, en particulier, à y introduire un volet « élaboration d’une stratégie ». Le cahier des charges des architectes contenait une clause de flexibilité (de manière à ce que, par exemple, une chambre puisse passer d’un appartement à l’appartement contigu par la suite). L’AERA se réservait la plupart des interfaces : elle s’interposait entre la société HLM et les architectes pour la validation des principes distributifs, puis s’érigeait en AMO pour assister les familles dans l’attribution des appartements, puis devenait maître d’œuvre de détail pour faire avec les ménages les adaptations qu’ils souhaitaient apporter à leur logement et pour enfin remettre l’ensemble de ces schémas partiels aux architectes en titre de manière à ce qu’ils en dressent la synthèse.

2. Programmation ou conception participative ?

En premier lieu, les professionnels n’ont pas la même position par rapport à l’envergure de la participation. Pour S. Gruet, il ne faut pas confondre programmation participative et conception participative : « Nous [dans le contexte de la coopérative Arbram, La Reynerie] on ne fait pas de la conception participative, c’est vraiment de la programmation participative. Il faut être architecte et il faut avoir pratiqué du logement de sorte à anticiper le plus possible au fur et à mesure de l’élaboration de la programmation en disant ‘Oui ça c’est possible, ça ce n’est pas possible, ça ça va coûter trop cher…’, savoir comment poser les problèmes… Mais les gens doivent dire ce qu’ils veulent mais pas comment ils le veulent, ce n’est pas eux les architectes. Il ne s’agit pas de protéger les architectes. C’est une compétence spécifique et c’est un bon programme qui permet à des architectes de trouver des bonnes réponses. Bon donc il faut rester vraiment à la programmation et il s’agit pas d’intervenir dans le premier niveau en tant qu’architecte ». C’est sans doute dans cet esprit qu’il conçoit un acteur nouveau pour l’accompagnement des initiatives coopératives, les OMPC, « organismes de médiation et de programmation coopérative », qui associeraient des compétences juridico-financières avec des compétences architecturales, mais au sens de l’intervention d’un architecte expérimenté dans le domaine du logement, agissant en tant que promoteur et non pas en concepteur.

Mais à Toulouse comme dans la plupart des opérations, la conception des logements est, sinon participative mais du moins négociée. Dans la majorité des cas, cette négociation est encadrée par de fortes contraintes de départ : trame constructive, localisation des arrivées d’eau, parfois même cellule-type pour laquelle seules des modifications à la marge sont

négociables, un peu à la manière de la vente en état futur d’achèvement de la promotion immobilière classique.

La démarche se développe souvent en deux temps assez marqués : dans une première phase, l’architecte travaille sur la volumétrie et le plan-masse de l’opération, en tenant compte des contraintes d’urbanisme, donne un schéma de circulation et d’affectation des espaces, etc. Dans cette première phase, le dialogue avec les habitants repose surtout sur des questions de programmation, dans un aller-retour programme-projet affinant le programme initialement acté. C’est seulement dans la deuxième phase, quand les ménages se sont répartis les logements, que s’engagent des discussions plus serrées avec eux sur la mise en forme des espaces.

« La première partie, on a fait quasiment un bâtiment en blanc. Il y a des divisions, mais des divisions quasiment structurelles ou des distributions et après commence la participation vraiment avec les habitants, où chacun dit vraiment où il veut être » (entretien avec D. Tessier à propos du Buisson-St-Louis où l’opération reprend un bâtiment existant avec des contraintes techniques et réglementaires fortes).

La démarche est la même à la Maison des Babayagas, dans laquelle prime le groupe sur l’individu, tant du point de vue des habitantes que du concepteur auquel elles ont fait appel : « Pour l’instant si vous voulez, les appartements n’ont pas été attribués… Donc, elles réfléchissent de façon collective… Je suppose que certaines se voient plutôt ici que là… C’est normal, (…). Mais non non, moi je ne veux pas rentrer dans ce débat. Je n’ai pas vingt clients, je traite avec un groupe. Et puis après, elles voient comment elles les attribuent et comment elles analysent et comment elles occupent chacune les logements » (entretien avec S. Tabet, architecte de La maison des Babayagas). S’en suit d’ailleurs un travail très fin avec chacune d’entre elles sur l’aménagement de leur studio : « On est en train de retravailler un peu les appartements, en leur proposant différents types d’habiter… Ce sont des choses toutes petites mais ce sont des choses importantes. Donc, elles ont entre 30 et 38 m2, donc dans cet espace, il faut faire ce qu’on appelle une entrée, donc un seuil de

maison, un lieu où l’on peut cuisiner, un lieu où l’on dort sans obligatoirement recevoir le lit dans la figure quand on rentre… un lieu où l’on puisse un peu écrire, recevoir des amis, manger…une table avec deux, trois, quatre chaises… Ça fait beaucoup de choses pour 38 m2, donc nous travaillons beaucoup sur ces espaces, afin de leur proposer différents types et

essayer… cela fait partie du désir des architectes depuis toujours… essayer de faire en sorte que ces différentes propositions tournent toujours autour de cloisons modulables, enfin… Donc, le but n’est pas du tout, et je l’avais dit dès le début aux Babayagas… de produire une cellule absolument égalitaire et reproductible …De toute façon on n’y arriverait pas, la géométrie du terrain ne le permettrait pas. Mais par contre, il y aura un tronc commun qui sera absolument présent partout, c'est-à-dire que l’on essaiera dans la mesure du possible, dans tous les appartements, on essaiera de trouver tous ces espaces de façon à donner à chacune, un peu d’une maison » (S. Tabet).

La même scansion du processus s’observe pour Lo Paratge, à propos duquel l’architecte décrit deux modalités de travail : un travail avec l’ensemble du groupe, dans lequel les habitants font des propositions, essentiellement verbales et que les architectes « illustrent »

avec l’imagerie la plus accessible possible ; puis un travail plus long et plus en profondeur sur les logements. « Il y a toujours des choses qui viennent de part et d’autre. Certaines ont dessiné leurs plans. Ce n’est pas à l’échelle mais elles ont des idées, c’est plutôt verbal. Il y a eu de très nombreuses réunions où chacune s’est exprimée (…). Nous, comme tous les architectes, nous avons nos moyens graphiques, nos plans en 2D et en 3D, nos perspectives, on travaille avec des logiciels. On essaie de leur montrer le plus possible à quoi ça va ressembler. Et de ce côté-là elles n’ont pas de souci à l’imaginer, surtout si on va sur le terrain et qu’on leur montre. Par contre, au niveau de leurs logements, le rendu 3D des architectes, on voit bien que ça ne suffit pas. Et il y a un travail de longue haleine. »

Dans le document Habitats alternatifs: des projets négociés ? (Page 114-117)