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L'obtention d'un terrain

Dans les opérations situées en contexte urbain dense, la première épreuve est de trouver un terrain, à prix abordable et rassemblant les caractéristiques convenant aux membres du groupe (localisation, desserte, commerces, équipements scolaires, vues, orientation, confort sonore, …). Ainsi donc la question foncière est-elle prise entre deux types de négociation : une négociation avec les élus et les services administratifs locaux pour qu’ils manifestent

40 Selon l’expression de Michael Fenker « Expérience et coopération au sein de la maîtrise d’ouvrage », La

fabrication de la ville ; métiers et organisations, pp.153-164, V. Biau et G. Tapie (éd.). Marseille, Parenthèses,

leur appui de principe en aidant le groupe d’habitants à obtenir un terrain ; et une négociation interne au groupe d’habitants sur la localisation de leur immeuble, les inconvénients qu’ils sont prêts à supporter, le coût qu’ils peuvent assumer.

1. Le portage politique du foncier

En principe, dans les opérations initiées par des acteurs publics, ceux-ci se chargent eux- mêmes de mettre le terrain à disposition. C’est le cas à Nanterre où l’initiative coopérative prend « naturellement » place au sein de l’éco-quartier Hoche. C’est aussi, en première phase, le cas de Toulouse-Reynerie, opération pour laquelle un terrain est attribué par la municipalité de Toulouse dans le périmètre de la ZUS ; ce terrain est négocié par le tandem AERA- Sté HLM Patrimoine avec la Ville à un moment où cet organisme HLM est pleinement investi dans l’opération et envisage d’établir des synergies entre l’opération coopérative en projet et l’immeuble locatif « le Satie » dont elle est propriétaire-bailleur et qui est limitrophe du terrain convoité. A l’étape actuelle du processus, c’est bien cette localisation qui pose problème puisque le terrain accordé, sur lequel un avant-projet détaillé a pu être élaboré, engendre des réactions de rejet des habitants du Satie, qui s’inquiètent de devoir partager espaces verts et stationnement avec ces nouveaux habitants et met l’opération en stand by, dans l’attente d’études proposant une autre localisation et peut-être une taille inférieure pour la coopérative Arbram. C’est du côté de la Ville et des services d’urbanisme que la résolution de l’impasse devrait survenir : une nouvelle étude d’implantation et de gabarit est en cours, la Ville tente simultanément de garder le contact avec le groupe d’habitants pour éviter la démobilisation.

Les opérations ayant pour origine un groupe d’habitants peuvent « mesurer » leur soutien politique à l’aune de la réactivité des services pour leur proposer un terrain. Ainsi les Babayagas, qui bénéficient d’un fort appui municipal, se sont vues proposer deux terrains, de bonne qualité l’un et l’autre, et entre lesquels elles ont arbitré en faveur du terrain de centre ville, dans la ZAC des Ilots de l’Eglise.

Le cadre est le même au Village Vertical où le groupe sollicite la municipalité de Villeurbanne, commune dans laquelle les membres moteurs habitent et auprès de laquelle ils ont une écoute bienveillante. L’hypothèse de friches industrielles est étudiée en premier lieu puis c’est finalement la ZAC des Maisons neuves, en cours d’élaboration et dont le cahier des charges développe de fortes ambitions en matière de développement durable qui a fourni le terrain à la coopérative Village Vertical. En fin de négociation, deux hypothèses de transfert du foncier ont été étudiées : le bail emphytéotique et la vente. Cette dernière solution a été préférée et le terrain a été cédé à Rhône Saône Habitat au coût du logement social (150 €/m² au lieu de 700 €) en vue d’une rétrocession à la coopérative Village Vertical ultérieurement.

On le voit, les périmètres opérationnels de type ZAC sont particulièrement propices à ces opérations : d’une part, ils témoignent du portage politique de l'opération par les collectivités locales concernées, d’autre part ils offrent le moyen pour les acteurs publics de fournir du terrain, aux groupes qui les sollicitent, rapidement et hors prix de marché. La question qui se pose alors, pour les décideurs comme pour certains habitants impliqués dans les opérations, est de savoir s’il est légitime de faire profiter une opération qui prendra à terme un statut d’accession privée, de prix fonciers aussi avantageux. Pourquoi faire bénéficier des ménages à potentiel économique important de terrains moins chers sous le seul prétexte qu’ils réalisent leur projet immobilier sous une forme expérimentale ? La Société d’Economie Mixte, la Semavip, met ainsi formellement le groupe Diapason en concurrence avec des promoteurs-constructeurs « classiques » et avec un autre groupe d’habitat autogéré, Hesp’ère 21, pour la formulation d’une offre d’achat pour le lot n°10. Et au moment de négocier la vente du terrain, la Semavip assortit son accord d’un certain nombre de clauses plus ou moins impératives : garantie de parfait achèvement, mise en concurrence des concepteurs, ...

Dans le cas très différent du groupe Lo Paratge, les enjeux fonciers semblent très secondaires puisque la localisation est rurale et que le terrain à bâtir en Dordogne est une denrée moins rare que dans les zones urbaines denses dans lesquelles les autres opérations se situent. Le choix d’un terrain a pourtant été à l’origine d’un conflit, mais chez les élus cette fois : comme on l’a écrit plus haut, la pression de l’urgence a amené le maire de Saint-Julien de Lampon à donner un accord favorable à l’AMO de l’opération, sans consulter ses adjoints et conseillers, dans le cadre d’un dossier de montage financier qui devait rester confidentiel ; un concours de circonstances a fait qu’un journaliste du Monde en vacances à Saint-Julien de Lampon entende parler de cette initiative d’habitat coopératif, en fasse un article au creux de l’été 2008 et que les conseillers municipaux de la bourgade apprennent alors qu’un terrain avait été octroyé à cette initiative sans qu’ils aient été consultés. La résolution du conflit est passée par une réunion extraordinaire, publique, qui a eu un tel succès que les élus locaux ont perçu différemment l’intérêt qu’attirait cette initiative et que le malentendu à propos du terrain a pu être résolu.

2. Un consensus des habitants sur le terrain

Le choix du terrain a un volet interne : c’est le premier élément de caractérisation spatiale de l’opération, sur lequel le groupe a à débattre. L’accord a été très vite trouvé, chez les Babayagas, entre les deux propositions que leur a faites la Ville : une parcelle dans le secteur des murs à pêche, l’autre sur un terrain de plus petite taille, en centre-ville, à quelques mètres de la Place Jean Jaurès, du métro Mairie de Montreuil, du nouveau théâtre et à l’arrière de la Maison des femmes. La priorité va sans grand débat au second, le premier étant jugé trop loin des infrastructures ordinaires et quotidiennes. Le terrain du centre-ville, au 6-8 rue de la Convention, malgré une plus petite superficie, présente l’immense avantage d’être pleinement inséré dans le tissu urbain et bénéficie ainsi de toutes les commodités, infrastructures et équipements de proximité. C’est donc ce dernier qui est retenu, au cœur de la Zac « Ilots de l’Eglise ». Le transfert du foncier se fait en faveur de l’office public qui agit

comme maître d’ouvrage, sous le contrôle étroit de la Ville de Montreuil d’une part et du groupe des Babayagas, « utilisatrices », d’autre part.

Au sein de la ZAC des Maisons Neuves, le groupe Village Vertical a aussi présenté une grande unité pour négocier la parcelle qui lui serait octroyée. Alors que le Grand Lyon offrait un choix entre deux parcelles, c’est une troisième qui était convoitée par les habitants parce qu’elle permettait une meilleure efficacité énergétique dans le cadre d’une architecture bio- climatique du fait de son orientation plein sud. Cette parcelle étant dédiée à l’accession privée, le groupe a dû mettre toutes ses ressources dans la négociation, obtenir par ses propres moyens des études comparatives sur les trois localisations pour démontrer la pertinence de la troisième localisation pour maximiser les apports solaires hivernaux. En contrepartie de cette « victoire » qui entraînait un manque à gagner pour l’aménageur, le comité de pilotage rassemblant les principaux partenaires publics a posé la condition selon laquelle l’opération s’adosserait à un opérateur social (Rhône Saône Habitat) de manière à favoriser la capitalisation de l’expérience.

Mais c’est pour l’opération Diapason que les questions de terrain ont pris le plus d’acuité. Tout d’abord, le débat s’est porté sur la localisation : Paris intra-muros ou Paris-métro (la couronne autour de Paris desservie par le métro) ? Très rapidement le groupe, pour lequel les coûts fonciers n’étaient pas des obstacles à l’accession à la propriété, dont la plupart des membres avaient déjà fait, pour leur résidence actuelle, le choix de vivre dans Paris intra- muros et qui par ailleurs ont des pratiques culturelles et sociales privilégiant Paris, s’est déterminé pour Paris intra-muros, en se centrant sur des arrondissements moins coûteux comme le 19ème, le 10ème, etc. Puis, quand, en mai 2009, le groupe centre sa prospection foncière sur la ZAC Ourcq-Jaurès, les caractéristiques mêmes de ce terrain et sans doute le fait que cette étape suppose un nouveau degré d’engagement juridique et financier des ménages, laissent derrière eux une partie des membres du groupe. Un couple se désengage du fait du bruit qui risque d’être engendré non seulement par les voies de circulation (la parcelle est petite et le développé de façade sur rue sera nécessairement important) mais aussi par la présence d’un restaurant ou d’un café coopératif qui entre dans la programmation de l’opération en réponse au souhait de la Semavip et de la mairie du 19ème

arrondissement d’organiser un linéaire attractif sur le canal de l’Ourcq. D’autres personnes et ménages sont inquiets de la complexité dans laquelle l’opération s’engage : outre la gestion du collectif d’habitations neuves vont s’ajouter non seulement ce restaurant-café mais aussi les logements gérés par la SIEMP existants sur la parcelle. D’autres encore ne sont pas attirés par cet environnement en voie de requalification mais assez hétéroclite actuellement ou réalisent que les conditions financières ne vont pas leur être possibles. L’ambiguïté que représente cette négociation en termes d’engagement politique est relevée par l’un des ménages, qui quitte le groupe à cette étape : « Militer pour que collectivement on trouve des

formes qui soient anti-spéculatives parce qu’on se décroche du marché par exemple par des formes coopératives, etc… je suis à fond pour. Pour que nous-mêmes notre petit bénéfice, on profite de prix inférieurs au marché, je ne vois pas la dynamique ».

Il s’est alors trouvé qu’à la faveur de cette recomposition lourde du groupe d’habitants, sont entrés des ménages plus solvables et aussi des « sachants41 » (architectes principalement)

qui ont pu conforter les rapports de négociation engagés avec la Semavip. L’enjeu a alors été de faire montre d’un véritable professionnalisme pour présenter une offre recevable et comparable à celle des candidats promoteurs (ce que le groupe Hesp’ère 21 ne parvient pas à accomplir semble-t-il) ; cet épisode a représenté une dure épreuve pour le groupe.