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Des méthodes de travail spécifiques

Dans le document Habitats alternatifs: des projets négociés ? (Page 111-114)

Que cela procède d’une démarche méthodologique spécifique ou que cela soit engendré par le modus operandi du travail en collectif, les architectes inventent à l’occasion des opérations coopératives et autogérées des méthodes de travail particulières. On notera tout d’abord cette allégation, chez plusieurs d’entre eux, de ne « pas avoir la science infuse » : en opposant cette situation de commande avec celle des concours publics de maîtrise d’œuvre, J.-P. Cordier dit : « il y en a qui se croient la science suffisamment infuse pour imposer leur manière de voir et de vivre aux gens. Et bah ceux-là, évidemment, en coopérative, ils ne sont pas faits pour ça. Mais tous les autres, oui. Il n’y a pas de raisons… et l’enseignement dans les écoles d’architecture apprend un petit peu à dialoguer. Et puis je crois, que c’est une évolution de la société… maintenant, on peut rien faire… de moins en moins faire de choses sans concertation… ». C’est la même formulation qui vient à F. Coderc quand elle énonce : « Je crois que notre métier, moi c’est bien la notion que l’on a pas la science infuse, que l’on doute toujours et donc qu’il est important de pouvoir confronter et faire valider toutes nos idées par ceux qui vont vivre après. Heu… c’est vrai qu’entre ça et une démarche de conception participative bon il y a une marche … ».

1. Les jeux de rôle

La technique du jeu de rôle, très usitée dans la formation permanente ou dans la gestion des ressources humaines, a ici toute sa place pour amener le groupe à progresser vers une décision complexe tout en donnant à cette dynamique une forme ludique. En voici trois exemples.

Le premier vise à dédramatiser la prise de parole en réunion, surtout quant à des sujets ardus ou à des situations tendues, à des moments où certains pourraient se censurer dans leurs interventions de peur d’avouer qu’ils n’ont pas compris, ou encore de formuler une opinion qui leur vaille des oppositions. « Quand le juriste intervient… Bon il a beau enseigner à l’université, il a beau y mettre du charisme, des formes, ça reste des choses assez indigestes pour les familles en terme de présentation de notions de droit…on a l’impression de retourner à l’école quand même et même plus parce que c’est… Alors il illustre bien, il essaye de jouer le jeu puis on essaye d’être pour lui des contradicteurs dans la salle. De manière implicite on a un peu un jeu de rôle qui s’installe comme ça, pour la simple et bonne raison que les familles qui n’oseraient pas poser telle ou telle question, nous on les pose même de manière un peu provocante, ce qui fait qu’elles se sentent aussi soutenues dans le fait de « Bon bah j’ai pas compris » ou « je pense qu’il exagère » ou « il fait trop le Père Fouettard »… (entretien avec H. Saillet, à propos du Grand Portail, Nanterre).

Le deuxième se situe au moment délicat de disposer les ménages dans les divers logements contenus dans l’opération. Plusieurs opérations ont instauré une sorte de jeu de rôle métaphorique par lequel les proximités instaurées ou confirmées lors d’une soirée conviviale donnaient la trame des proximités spatiales des ménages dans leur futur appartement. Ainsi à Yzeure, dans les années 80 : « Donc on [les deux architectes] dîne avec les gens tous les quinze jours, on fait de la pédagogie et un jour on leur dit : ‘Bah voilà…on fait une grande table et on va imaginer que la salle dans laquelle nous sommes, c’est le préau de l’école, voilà la partie centrale où il y a le vide, c’est l’endroit où il y aura le boulingrin’ … car on avait décidé qu’il y aurait un boulingrin et où il y a la rue circulaire qui va distribuer les cinq îlots de logements et on met des tables rondes, avec des chaises autour et on leur dit : ‘Bah voilà, vous allez vous asseoir et dîner avec qui vous allez habiter’. Donc là, c’est intéressant parce qu’il y a des gens qui veulent vraiment être ensemble et il y a des gens qui auraient bien aimé être avec un tel et finalement ils voient que…etc, etc. Tout le monde se place déjà comme ça et donc on formalise le projet de manière un peu plus précise et il faut faire des arbitrages sur qui à la maison au premier étage, au rez-de-chaussée, qui a un duplex… voilà et puis il faut formater en fonction, des deux pièces, des trois pièces…Et là se double un truc qui va jouer encore dans le contexte suivant à Gennevilliers, c’est qu’en même temps qu’ils trouvent leur place, leur groupe, la taille de leurs logements, l’office HLM calcule leurs loyers, ce qui parfois les freine un peu… » (entretien avec D. Tessier).

Le troisième exemple qui relève du jeu de rôle est une manière de donner corps et échelle à l’espace du logement en gestation entre un ménage et le(s) concepteur(s) par le geste, le déplacement dans l’espace : « Il est arrivé qu’une fois une maquette terminée, on travaille sur les plans. Moi j’ai un mètre avec moi et on prend les dimensions, on l’utilise beaucoup pour les cuisines. Et puis on se lève aussi : « On dit je rentre, je mets la porte là… » On fait des gestes. L’idéal, ce serait de rencontrer les gens chez eux, où ils habitent actuellement. Il faudrait y aller et dire voilà, votre séjour va être un peu plus petit que le vôtre, la cuisine va être un peu plus grande. Ça serait l’idéal. Ça demande une logistique autre. Donc vous voyez on essaie de dessiner sur les plans avec les meubles, etc… parce que c’est … par exemple le lit c’est une dimension que tout le monde maîtrise. Je leur dis : ‘Rentrez chez vous prenez un mètre et puis… la chambre que vous avez en ce moment, vous la mesurez et puis vous allez voir ce que ça représente par rapport à celle dont on a parlé’. Ça n’est pas évident » (entretien avec P.-E. Faure). On notera à ce propos, l’importance d’ « étalons » : la porte, le lit, l’élément de cuisine, éléments suffisamment standardisés et familiers pour qu’ils soient utiles au dimensionnement des espaces tant sur les plans, et avec le savoir-faire des concepteurs, que par rapport aux usages et à la perception concrète qu’en ont les habitants.

2. Les cours et les « travaux pratiques »

On l’a vu plus haut, la dimension pédagogique est toujours présente dans l’échange entre professionnels de la conception et habitants. Il s’agit de doter les habitants des instruments et des connaissances qui vont leur permettre d’intervenir activement dans le processus, d’intégrer un certain nombre de contraintes aussi. C’est bien sûr l’apprentissage de la lecture de plans et le travail sur maquette. Les maquettes sont importantes en phase amont, au

moment de la définition de l’implantation, de la volumétrie et de la répartition des logements. Elles sont conçues le plus souvent comme des maquettes d’études, sur lesquelles on travaille ensemble : « J’essaie de me souvenir, les maquettes à Yzeure c’était uniquement sur la volumétrie il me semble, cela permettait de les déplacer. De réorganiser et on venait avec des cutters, de la colle et tout quoi… on travaillait ensemble, on leur montrait comment on travaillait… A Gennevilliers pareil » (entretien avec D. Tessier).

Les « travaux pratiques » sont diversifiés et gagnent à l’être au maximum pour soutenir l’intérêt des ménages. « A différentes étapes on leur avait donné des travaux pratiques et le premier truc c’était de coller des images de comment ils se verraient plus tard, avec des références de magazine. Ça c’était au début, sur l’expression des désirs. Après on les faisait travailler sur les plans aussi. On leur donnait les contraintes, par exemple pour les cuisines, les salles de bain et on leur demandait de nous préciser… parce qu’au départ, on avait une prestation générale pour tous sur de la surface libre et puis ils avaient leurs prestations individuelles, leur lavabo de la marque machin, leur carrelage de truc, etc… Donc ces suppléments-là, ils se les payaient. Donc il y avait des prestations de base de groupe et des prestations individuelles. Donc là aussi il fallait qu’ils travaillent » (entretien avec D. Tessier). Ces travaux pratiques portent le plus souvent sur les logements et correspondent à un travail de l’architecte avec un ménage.

Et le bureau d’études CUADD qui a l’ambition de formaliser et de capitaliser une méthode à partir des ateliers hebdomadaires de « formation » (Grand Portail, Nanterre) et des démarches qu’il a développées antérieurement, prévoit aussi des activités à développer en leur absence, pour maintenir un rythme constant de « travail ».

H.S. « C’est des choses qu’on pratique beaucoup dans le cadre de projets concertation-participation où on essaie en permanence de rythmer… vous savez, dans tout dispositif de concertation il y a des grands creux où il ne se passe rien. Donc là, à un autre niveau, on a mis en place ce qu’on appelait les cahiers de l’habitant ou les cahiers de vacances. Et sur plein de temps pendant l’année où il ne se passe pas grand-chose, on maintient l’intérêt pour un sujet et on fait travailler les gens dessus. Donc là, de la même façon on a proposé ça pour que les personnes ne redécouvrent pas tout en septembre en rentrant de leur vacances et puis ça nous a permis de cibler quelques grands points sur lesquels ils vont avoir à se mettre d’accord et à se voir forcément pendant l’été avec un objectif de nous ramener des décisions et des rendus, sur tel et tel aspect qu’on a proposé.

Intervieweuse : Ils ont des séances de travail entre eux donc ?

H.S. : On leur a proposé de se voir entre eux indépendamment de nous … en fait ça a même pas été imposé, c’est eux qui spontanément ont demandé là sur la dernière séance, c’est intéressant. On va voir comment ça évolue sachant que visiblement, dans le groupe y en a qui voudraient, conscients de l’importance de l’implication de ce type de projets, se voir toutes les semaines » (entretien avec H. Saillet, CUADD)

Dans le document Habitats alternatifs: des projets négociés ? (Page 111-114)