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Dès le départ, Pierrick annonce que son rapport à l’alimentation est particulier : « je mange pas beaucoup de vrais repas », « je mange beaucoup assez mal », témoignant par là-même qu’il est conscient que son comportement alimentaire est en décalage avec l’injonction normative d’une alimentation saine et équilibrée. Ses parents étant séparés, Pierrick passe alternativement une semaine chez sa mère et une autre chez son père, et les styles alimentaires diffèrent beaucoup entre les deux foyers : « quand je suis chez ma mère je vais mieux manger, que quand je suis chez mon père ». Chez son père, l’alimentation est basée en grande partie sur des fast food et des produits riches ou gras : « Chez mon père heu… Je vais manger bah raclette, hamburger des trucs comme ça ». À l’inverse, la nourriture devient plus saine lorsqu’il rejoint le domicile maternel : « chez ma mère c'est un peu mieux, enfin je mange mieux », « son copain il cuisine beaucoup et du coup bah il fait de la cuisine, il fait des repas assez équilibrés tout ça ». Néanmoins, il met d’emblée en perspective le fait que cela ne représente au final qu’une portion congrue de la totalité des repas qu’il prend sur une moyenne de deux semaines (soit un cycle complet chez son père puis chez sa mère) : « du moins le soir j’ai une

156 alimentation correcte. (hmhm) Mais ça reste une semaine sur deux et que les repas du soir ». En dehors des comportements alimentaires à proprement parler, l'alimentation constitue un sujet de conversation seulement occasionnel avec son père, et plus régulier en revanche avec sa mère. Cette dernière estime que l'absence de prise de poids de son fils n'est pas une raison de penser que la malbouffe n'agit pas sur son organisme : « ils étaient en train de me dire parce que j’étais content de pas prendre du poids justement, (ouais ?) ils m’ont dit bah ouais mais enfin là tout ce que tu manges ça reste en toi les graisses et tout, un jour tu vas prendre du poids. Et ils me disaient que… ça continuerait pas comme ça hein ». Si Pierrick se voit être averti par ses parents et notamment sa mère, pour autant l’inquiétude n’est pas de mise : « on en parle comme ça, fin’ ça inquiète personne… ».

En dehors de chez lui, Pierrick ne se restaure pas au self le midi mais exclusivement chez sa grand-mère qui habite tout proche du de son établissement. À ce titre, il déclare que son alimentation à l'extérieur est « assez proche » de celle à domicile.

Lorsqu’un aliment est consommé « plusieurs fois par jours » il est codé 5, « une fois par jour » il est codé 4, « une à deux fois par semaine » il est codé 3, « une à deux fois par mois » il est codé 2 et s’il n’est jamais consommé il est codé 1.

À cette représentation graphique dont les proportions d’aliments peuvent sembler faibles au regard du nombre de repas à assurer dans la semaine, il est nécessaire d’ajouter la consommation de plats préparés à la maison à raison d’une à deux fois par semaine. Une différence notable saute d’abord aux yeux au sujet des

157 sodas, qui sont consommés plusieurs fois par jour à domicile tandis que l’occasion ne se présente qu’une à deux fois par mois à l’extérieur. En dehors de cela, on observe comme le disait Pierrick une alimentation « assez proche », que l’on considère les repas pris à domicile ou ceux à l’extérieur si toutefois l’on considère cette déclaration au regard plutôt de son alimentation au domicile du père. En effet, Pierrick nous livre que « ma mamie elle me fait à manger que ce que j’aime donc je mange des frites (rire), enfin c’est des.. des repas… », « tous les midis c’est des repas que j’aime et du coup de la nourriture pas forcément très saine ». Les seules exceptions qui le conduisent à ne pas manger chez sa grand-mère sont d’occasionnels repas dans des fast-food partagés avec ses amis. Ces derniers partagent d’ailleurs des régimes alimentaires peu sains, similaires au sien, ce qui le rassure dans ses habitudes : « ça me conforte, je me dis que voilà bah on est tous pareils donc voilà c’est pas très grave hein ».

Il est intéressant de voir dans ce contexte que pour Pierrick, la représentation du « bien manger » se base sur les recommandations alimentaires qu’il connaît de manière plus ou moins floue : « pas très gras, pas très sucré... C’est rester dans les fruits – légumes, faire des repas équilibrés », tandis qu’au contraire mal manger se limite tout simplement à « manger gras ». Ces recommandations dont il a une connaissance lointaine (il connaît une partie de leur contenu mais ne sait pas les citer) ne sont pour autant pas synonyme d’une méconnaissance des éventuels effets néfastes sur la santé qui peuvent être occasionnés par une mauvaise alimentation. Toutefois Pierrick, en conscience, ne les respecte pas pour autant dans la mesure où il ne prend pas de poids et que cette situation n’est d’après lui pas propice à ce qu’il puisse se rendre compte des effets réels d’une telle alimentation : « je sais que c’est pas forcément bon pour ma santé de pas respecter, après vu que je suis quelqu’un qui prend pas de poids en fait eh bah je me rend pas compte, j’ai l’impression que ça me fait rien ». Bien qu'il se doute que ses pratiques alimentaires puissent être néfastes pour sa santé, il met alors en avant le fait que ce soit « rentré dans [s]es habitudes alimentaires » pour justifier qu’un changement de celles-ci seraient difficiles. Il exprime en effet la contrainte majeure que constituerait le changement de ces habitudes qui correspondent exclusivement à ce qu'il apprécie manger : « je mange que ce que j'aime ». Or, ce qu’il aime, c’est justement selon lui surtout de la nourriture qu’il considère comme malsaine, c’est-à-dire riche en graisses ou en

158 sucres. Les occasions de manger sainement sont rares et se limitent aux repas pris chez sa maman : « ça m’arrive mais globalement je trouve que je mange pas très sainement ». Au final, l’alimentation ne représente donc pas de contrainte particulière dans la mesure où justement il ne se contraint pas et ne mange que ce qu'il aime. Cependant, s'il devait être amené à manger sainement d'après la définition qu'il en donne (pas très gras, pas très sucré, des fruits et légumes, équilibré) cela deviendrait effectivement une contrainte très importante. La norme alimentaire véhiculée à travers les recommandations du ministère de la santé et se traduisant par une forme d’injonction à manger sainement est complètement occultée par la socialisation alimentaire primaire de Pierrick qui se base sur la consommation de produits à la palatabilité élevée, et selon une répartition qui ne fait pas la part belle aux aliments connotés comme les plus sains à savoir les fruits et légumes. Le rapport à l’alimentation de Pierrick est donc uniquement piloté par la notion de plaisir, et cet hédonisme n’entrevois aucune entrave, même sanitaire, quand bien même il soit conscient de la possible dégradation que son mode d’alimentation est susceptible d’entraîner.