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B. Analyse des données

V. Analyse des questionnaires

2. L’origine sociale

La littérature rapporte à de nombreuses reprises l’influence de l’origine sociale sur l’alimentation des individus (N. Darmon, 2015b; Laisney, 2015; Poulain, 2015b; Tavernier, 2015). Nous avons choisi d’analyser les consommations à travers deux catégories alimentaires que nous avons construites sur la base de produits représentant des « marqueurs sociaux » (Laisney, 2015) 2. La première catégorie est

2Parmi les familles d’aliments que nous avons utilisées, nous considérons les fruits et légumes comme

connotés positivement à l’idée d’une alimentation saine et a contrario, nous évaluons les sodas, les snacking, les produits sucrés et les fast-food comme positivement connotés à l’idée d’une alimentation malsaine.

Pour effectuer cette classification nous nous basons sur les recommandations présentées dans « Le guide ado, « Je mange mieux, je bouge plus » », un des huit guides d’information auprès du grand public du Plan national nutrition-santé (PNNS). Il précise que « Limiter la consommation de produits sucrés, de matières grasses ajoutées et de sel est recommandé ». Il contient également des messages de prévention à l’égard des sodas, notamment concernant leur taux de sucres, et met en avant l’importance d’une consommation de fruits et légumes à hauteur de cinq prises par jour. Nous nous appuyons également sur son équivalent britannique : le « eatwell guide » qui fait office de recommandation nationale pour une alimentation saine au Royaume-Uni. Son objectif principal est d'aider les individus à comprendre les proportions relatives des différents groupes d'aliments dans une alimentation saine et équilibrée. À cet égard, il conseille de consommer « au moins cinq portions de fruits et légumes par jour » (« at least five portion of fruit and vegetables a day ») et de se contenter de « juste une petite quantité d'aliments et de boissons riches en graisses et/ou en sucre » (« just a small amount of foods and drinks high in fat and/or sugar »).

Le guide ado, « Je mange mieux, je bouge plus » disponible en ligne :

https://www.mangerbouger.fr/PNNS/Guides-et-documents/Guides-et-documents

52 connotée négativement avec l’idée d’une alimentation saine et se rapporte aux aliments les plus riches en graisses ou en sucres : les sodas, les snacking, les produits sucrés et les fast-food. La seconde catégorie est au contraire connotée positivement avec l’idée d’une alimentation saine et comprend comme seuls produits les fruits et légumes. Nous avons donc mesuré ces paramètres en distinguant l’appartenance de nos sujets à trois catégories : jeunes issus d’un milieu populaire ou d’origine modeste, jeunes appartenant aux classes moyennes (ou intermédiaires) et jeunes issus d’un milieu aisé3. Les sujets ont été répartis quand cela était possible dans ces

catégories sur la base du croisement de la profession et catégorie socioprofessionnelle et du niveau de diplôme de la profession exercée par chacun des deux parents. Lorsque les données étaient manquantes ou incomplètes nous avons pris le parti d’exclure les sujets de nos échantillons afin de ne pas risquer de les fausser.

Un premier constat peut être fait quant à la moyenne de variation de l’alimentation entre la consommation au domicile et à l’extérieur. Avec 7,8% d’écart en moyenne, les adolescents issus des milieux défavorisés sont ceux qui s’écartent le moins de l’alimentation familiale lorsqu’ils mangent en dehors de chez eux. Les adolescents issus des milieux intermédiaires enregistrent les plus grands écarts avec 11,1% tandis que les adolescents issus des classes favorisées ont un écart moyen de 9,3% lorsqu’ils s’alimentent à l’extérieur du domicile familial. Les écarts respectifs par rapport à l’écart moyen de la totalité de notre échantillon mesuré à 6,4% sont donc respectivement de 1,4 points, 4,7 points et 2,9 points. Toutefois ces écarts varient à l’intérieur de chaque échantillon de classe sociale selon le type d’aliment considéré.

3 Jeunes issus d’un milieu populaire : un ou deux parents sans emploi ou occupant des professions

d’ouvrier (PCS n°6) ou d’employé (PCS n°5). Jeunes issus des classes moyennes : un ou deux parents occupant des professions intermédiaires (PCS n°4) ou une profession d’Artisan, commerçant chef d’entreprise (PCS n°2) selon le niveau d’études et/ou de revenu estimé ou hétérogamie sociale forte avec un des deux parents occupant une profession de cadre et professions intellectuelles supérieures (PCS n°3) et l’autre une profession d’ouvrier (PCS n°6) ou d’employé (PCS n°5). Jeunes issus d’un milieu aisé : deux parents occupant une profession de cadre et professions intellectuelles supérieures (PCS n°3) ou panachage avec un parent occupant une profession intermédiaire (PCS n°4) ou une profession d’Artisan, commerçant chef d’entreprise (PCS n°2) selon le niveau d’études et/ou de revenu estimé. Aucun des sujets n’a déclaré avoir de parents occupant une profession d’agriculteur exploitant (PCS n°1).

53 a. Les aliments connotés négativement à l’idée d’une alimentation saine : les plus riches en graisses ou en sucres (les sodas, les snacking, les produits sucrés et les fast-food)

En s’intéressant aux écarts alimentaires entre le domicile et l’extérieur au sujet des quatre catégories d’aliments les plus riches en graisses ou en sucres (les sodas, les snacking, les produits sucrés et les fast-food), on s’aperçoit que les adolescents issus des PCS défavorisées enregistrent un écart légèrement moindre avec 7% seulement (0,8 points de moins), ceux issus de milieux intermédiaires voient leur écart croître et atteindre 12,9% (1,8 points de plus) tandis que les écarts alimentaires par rapport au domicile de leurs camarades les plus favorisés stagnent à 9,5% (0,2 points de plus).

Concernant les adolescents les plus favorisés, la variation d’écart n’est donc pas significative concernant spécifiquement les produits riches en graisses ou en sucres. Cependant, on peut observer un décalage de la périodicité de prise alimentaire vers des prises mensuelles ou bimensuelles qui caractérisent 46% de l’effectif contre seulement 36% à domicile. La consommation tend donc à être plus occasionnelle à l’extérieur qu’à domicile au sein du groupe d’adolescents favorisés. Les adolescents issus des classes moyennes enregistrent quant à eux la variation d’écart la plus importante entre le domicile et l’extérieur concernant les produits riches en graisses ou en sucres (+1,8 point d’écart par rapport à l’écart alimentaire global). On peut notamment observer un décalage des périodicités de consommation dans deux directions opposées. Soit celles-ci deviennent quotidiennes (+1,7 points) à multi-quotidiennes (+5,4 points), soit au contraire elles s’espacent atteignant une fréquence de consommation de l’ordre d’une à deux fois par mois (+7,1 points). La donnée la plus significative concerne la régression des consommations hebdomadaires ou bihebdomadaires lorsque les adolescents passent du domicile familial à l’extérieur (+14,3 points). En somme, alors que les prises sont occasionnelles dans la semaine à domicile pour un tiers de l’échantillon issu des classes moyennes, elles ont tendance à l’extérieur soit à se rapprocher en profitant sans doute de cet espace libre de contrainte, soit à s’éloigner ce qui peut traduire

54 par exemple une difficulté d’accès à ces produits qui nécessitent un achat sur ses deniers propres.

Les adolescents les moins favorisés enfin montrent un faible écart de consommation concernant ces produits riches en graisses ou en sucres lorsqu’ils mangent à l’extérieur de leur domicile. Ils s’éloignent même moins de leur alimentation de référence concernant ces produits spécifiques qu’en considérant la totalité de leur alimentation avec respectivement 7% d’écart moyen contre 7,8%. Ce résultat s’explique notamment à travers la composition de l’alimentation de référence dans les classes populaires laquelle offre une plus grande fréquence de consommation de ces produits riches en graisses ou en sucres que dans les autres catégories sociales (N. Darmon, 2015b). Dès lors l’espace de liberté que peut constituer l’extérieur du domicile pour certains, signifie moins pour les adolescents de milieux populaires une occasion de consommer des produits rares ou absents du domicile familial que pour les autres catégories sociales. Néanmoins, et même si les écarts sont faibles, on observe une augmentation de 10 points des prises quotidiennes qui passent de 5 à 15%.

10% 9% 5,4% 5% 5,4% 10% 15% 7,1% 4% 30% 33,9% 35% 31% 19,6% 35% 40% 39,3% 36% 33% 46,4% 46% 15% 21,4% 19% 13% 21,4% 15% 0% 10% 20% 30% 40% 50% 60% 70% 80% 90% 100%

PCS défavorisées PCS moyennes PCS favorisées PCS défavorisées PCS moyennes PCS favorisées

A domicile A l'extérieur

Consommation d'aliments riches en graisses ou en sucres

(sodas, snacks, produits sucrés et fast-food) selon l'origine

sociale et le contexte d'alimentation

Plusieurs fois par jour Une fois par jour Une à deux fois par semaine Une à deux fois par mois Jamais

55 b. Les aliments connotés positivement à l’idée d’une

alimentation saine : les fruits et légumes

En revanche, en ce qui concerne la catégorie des aliments présentés comme les plus favorables à la santé (notamment à travers le PNNS) à savoir les fruits et légumes, on s’aperçoit que la direction des écarts est exactement inverse ! Les adolescents issus des classes populaires enregistrent un écart moyen de 10% par rapport à leur consommation au domicile (soit 2,2 points de plus que les écarts enregistrés sur l’ensemble de l’alimentation), ceux issus des classes moyennes voient leur écart moyen se réduire à 8,6% (soit 2,5 points de moins que pour l’ensemble de l’alimentation) tout comme les adolescents issus des classes favorisées qui révèlent un écart moyen spécifique à cette catégorie de seulement 6% (soit 3,3 points de moins que l’écart à l’alimentation totale).

Le fait que les adolescents issus des catégories sociales favorisées enregistrent à l’extérieur du domicile les écarts alimentaires les plus faibles de notre population concernant la catégorie des fruits et légumes par rapport à leur consommation de référence peut s’expliquer par la puissance de leur socialisation alimentaire primaire. En effet, alors qu’ils sont les plus nombreux à consommer multi-quotidiennement des fruits et des légumes chez eux, la reproduction de ce modèle constitue une moindre contrainte pour eux que pour leurs camarades issus de classes moins favorisées. On note toutefois un décalage de 10 points des fréquences de consommation vers des prises hebdomadaires à bihebdomadaires ou mensuelles à bimensuelles.

Les adolescents issus des classes sociales intermédiaires quant à eux sont les plus grands consommateurs quotidiens de fruits et légumes que ce soit à domicile (78,5%) ou à l’extérieur (57,1% et bien qu’ils devancent à peine leurs camarades plus favorisés qui sont 55%). Toutefois, étant moins nombreux que leurs camarades les plus favorisés à être habitués à consommer quotidiennement des fruits et légumes à domicile (50% n’en mangent qu’une fois par jour), cette consommation apparaît donc comme potentiellement plus contraignante que pour leurs camarades favorisés tout en le restant moins que pour leurs camarades les moins favorisés.

Les adolescents issus des classes populaires pour finir se révèlent être les moins grands consommateurs quotidiens de fruits et légumes avec seulement 50%

56 d’entre eux en mangeant au moins une fois par jour à domicile et seulement 40% à l’extérieur. On peut interpréter cette baisse de fréquence de consommation comme une réponse à ce qu’ils vivent comme une contrainte dès lors que le contexte d’alimentation se retrouve moins sujet à l’imposition d’une norme et expliquant que leurs écarts à la consommation de référence se creusent spécifiquement sur cette catégorie d’aliments.

En définitive, on observe effectivement un effet de la classe sociale d’appartenance sur les prises alimentaires. Toutefois les écarts relevés sont moins criants que ce qui peut être relevé au sein de la littérature4 et s’éloignent quelque

peu de la caricature selon laquelle les aliments les plus sains seraient l’apanage des catégories sociales favorisées tandis que les moins sains seraient plus prisés des catégories sociales défavorisées.. La variation des écarts de consommation de

4« certains produits constituent de véritables marqueurs sociaux. Les cadres mangent davantage de fruits et

légumes et de poisson, tandis que les ouvriers consomment plus de pommes de terre ou de riz, de boissons sucrées, de sandwichs ou de pizzas » (Laisney, 2015). À titre d’exemple, Darmon (2015) rapporte les chiffres d’une étude de la DRESS selon lesquels les enfants d’ouvriers (5-6 ans) sont deux fois plus nombreux que les enfants de cadres à consommer plus de 4 fois par semaine des boissons sucrées.

35% 28,57% 45% 15% 21,43% 35% 15% 50% 20% 25% 35,71% 20% 40% 21,43% 30% 35% 28,58% 25% 10% 5% 15% 7,14% 15% 10% 7,14% 5% 0% 10% 20% 30% 40% 50% 60% 70% 80% 90% 100%

PCS défavorisées PCS moyennes PCS favorisées PCS défavorisées PCS moyennes PCS favorisées

A domicile A l'extérieur

Consommation d'aliments connotés sainement (fruits et

légumes) selon l'origine sociale et le contexte d'alimentation

Plusieurs fois par jour Une fois par jour Une à deux fois par semaine Une à deux fois par mois Jamais

57 certaines familles de produits selon le contexte de prise alimentaire suggère malgré tout que les jeunes sont soumis à certaines formes d’injonctions qu’ils peuvent plus ou moins se permettre de négocier. Nous allons donc tenter de voir si les normes alimentaires héritées de la socialisation primaire ainsi que celles issues de la communication institutionnelle paraissent suffisamment établies pour permettre de postuler leur emprise sur les pratiques de nos sujets.

C. Poids des normes sociales et homogénéisation des pratiques