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Justine nous indique que l’alimentation familiale est perturbée par des allergies et des intolérances alimentaires pour plusieurs membres de la famille : « ma maman elle a eu heu, enfin beaucoup d’intolérances alimentaires d’un coup », « moi aussi j’ai pas mal de, d’allergies ». Pour faire face à ces complications, la famille s’est depuis quelques années mise à cuisiner des produits frais alors qu'elle recourait de temps en temps aux plats préparés auparavant : « maintenant c’est vrai qu’on cuisine plus ». Les parents cuisinent beaucoup, les enfant également mais spécifiquement sur les produits sucrés : « chez moi bah comme j’ai dit on cuisine beaucoup les desserts etc… Enfin ouais les produits sucrés on les cuisine ». La famille a également adapté son alimentation : « ça fait quelques temps quand-même que

179 notre alimentation dans ma famille elle a changé », « Tout le monde a changé son mode d’alimentation en même temps (d’accord) et du coup oui on a, enfin y’a eu une réflexion autour de l’alimentation de la part d’abord de ma maman et puis du coup tout le monde a, a suivi ». Elle opte désormais pour des produits moins raffinés et transformés : « le pain blanc on n’en mange quasiment plus, enfin on prend tout le temps des pains noirs etc (d’accord), pour ce qui est du lait c’est pareil on en mange moins enfin on fait attention à ce que ce soit du lait de brebis ou des trucs plus faciles à digérer (d’accord), pâtes c’est plutôt des pâtes complètes enfin vraiment tout est devenu un peu… Ouais. Moins travaillé qu’avant je pense, enfin comment on dit, raffiné ». Par ailleurs Justine est allergique aux légumineuses et fruits à coque ce qui est pris en compte dans l’adaptation des repas. La socialisation alimentaire primaire de Justine, bien qu’elle ne se revendique pas comme telle semble assez respectueuse du modèle alimentaire recommandé à travers la communication du ministère de la santé sur le sujet en privilégiant une consommation importante de fruits et légumes, une variété alimentaire et en limitant la consommation des produits les plus gras, sucrés et salés.

En dehors du domicile familial, Justine estime suivre une alimentation « assez proche » de celle qu’elle a chez ses parents.

Lorsqu’un aliment est consommé « plusieurs fois par jours » il est codé 5, « une fois par jour » il est codé 4, « une à deux fois par semaine » il est codé 3, « une à deux fois par mois » il est codé 2 et s’il n’est jamais consommé il est codé 1.

180 Effectivement, d’un point de vue quantitatif sa consommation de nourriture est même quasiment identique à celle du domicile. Justine consomme en tout et pour tout légèrement plus souvent des produits sucrés (une à deux fois par semaine) et de fast-food (une à deux fois par mois), mais reste strictement fidèle à sa socialisation alimentaire primaire pour le reste de la fréquence de ses consommations. Elle note cependant une différence d’ordre qualitative qui n’apparaît pas sur notre modélisation. En effet, elle déclare se tourner par défaut vers les desserts les moins sains lorsqu’elle se trouve au lycée car elle trouve que les autres desserts (yaourts, fruits) ne sont pas bon, ou moins bons : « je pense que au lycée enfin c’est je pense plus des trucs déjà préparés qu’ils réchauffent enfin ou des gâteaux heu… plus industriels et du coup c’est pas, enfin… je pense que c’est un peu moins sain, à la cantine et j’ai plus tendance à en prendre à la cantine que… Que chez moi », « en fait c’est meilleur que les autres desserts qu’il y a donc en général je prends ça même si je sais que c’est moins sain », « les yaourts ils sont pas très bons, les fruits pareil, du coup heu ouais c’est un peu je pense par manque de, enfin par manque de choix que je vais vers ça…». Toutefois Justine est consciente de ses choix et les assume : si des alternatives existaient comme chez elle, « chez moi je trouve qu’il y a enfin, oui y’a plus de choix et donc heu… C’est plus facile d’aller sur autre chose », elle opterait moins souvent pour ces produits jugés peu sains : « comme le choix est plus restreint heu… J’ai ouais j’ai plus tendance à aller vers des gâteaux etc », « Même si oui hein j’ai conscience que c’est forcément moins sain ». En dehors de cela, Justine ne mange quasiment jamais en dehors du lycée : « tous les midis je mange au self, je mange quasiment jamais à l’extérieur, c’est très très rare quoi ».

Dans la conception de Justine, manger sainement revient à diversifier son alimentation tout en veillant à ce que celle-ci reste équilibrée : « manger diversifié, enfin de manger heu, plein de choses : des fruits, des légumes, des… enfin, des protéines etc… ». On reconnaît bien ici le cadre du modèle alimentaire familial qu’elle semble adopter et appliquer tant à l’extérieur de chez elle que d’un point de vue conceptuel. Des aliments riches en graisses ou en sucres ne sont pas complètement exclus de cette conception et peuvent selon elle faire partie d'une alimentation saine dans la mesure où leur consommation est régulée et ponctuelle : « Se faire plaisir en mangeant ça peut être je sais pas, une fois dans la journée heu…

181 Quelque chose qui nous fait plaisir mais pas forcément heu… Enfin ça veut pas dire qu’on est des… Qu’on mange pas sainement ou (bien sûr que non) ou enfin pas bien ou… Pour moi c’est plus ponctuel quoi ». Mal manger en revanche revient à consommer de la nourriture industrielle, toute prête et sans certitudes quant à leur composition. Justine complète cette définition en référence à certaines recommandations : « très sucrés, très gras, enfin un peu dans les extrêmes et heu, en variant pas forcément ce qu’on mange ». Cette connaissance des recommandations alimentaires (elle en cite plusieurs), ne guide pourtant pas ni même n'influence son rapport à l'alimentation selon elle : « oui je les connais parce que oui, j’ai vu sur gulli à la télé quand j’étais petite (oui ?) mais ça me… Non. Enfin j’en prends pas… J’ai pas du tout ça en tête… ». On peut postuler que la consonance de ces recommandations avec le modèle alimentaire issu de la socialisation primaire de Justine lui permette de prendre la liberté de ne pas les considérer dans la mesure où son habitus alimentaire intègre déjà en grande partie les préceptes qu’elles contiennent. De son point de vue et d’après ces définitions, Justine estime en effet déjà manger sainement dans la mesure où elle a le sentiment de faire attention à ce qu'elle mange. Elle évite le sucre sur lequel elle a des connaissances fines ainsi que les produits industriels : « le sucre en général. Enfin le sucre raffiné plus particulièrement mais tout ce qui est… Oui enfin les gâteaux, les trucs heu… Très sucrés, industriels j’évite ». De surcroît elle cuisine beaucoup dans l’objectif de contrôler ce qu’il y a dans son assiette. Elle considère ainsi que l’alimentation « prend une place assez importante dans [s]a vie ».

En effet, cette attention accrue résulte du fait que Justine a vécu une période de troubles vis-à-vis de son alimentation il y a un peu moins d’un an. Cette période a duré plusieurs mois et s’est déclarée suite à un arrêt de sa pratique sportive dans le cadre du sport étude, sur lequel nous reviendrons plus tard. Justine a alors perdu ses repères alimentaires, que ce soit en termes de répartition quantitative de sa nourriture ou qualitative entre les familles d’aliments, et a vu sa fréquence de prise alimentaire être très perturbée. Dans ce cadre, et bien que sa période de trouble soit derrière elle depuis cinq à six mois maintenant, elle estime encore aujourd’hui que l’alimentation représente une contrainte : « Heu oui oui c’est contraignant oui ! (rire) Enfin, ma petite période de trouble est, passée hein (oui), de façon générale mais je pense que je garderais toujours une relation avec l’alimentation qui est un

182 peu spéciale ». Elle estime attacher beaucoup d'importance à l'alimentation, « démesurément je pense par rapport à ce qui… Enfin ouais la norme quoi ». En effet, elle a « engrangé pas mal de connaissances sur le sujet » ce qui la rend très consciente de la valeur nutritionnelle de chaque aliment, « trop consciente » même, et lui donne l'impression d'intellectualiser chaque prise alimentaire au point que cela soit gênant, contraignant. Par rapport à cette période de trouble en particulier, et à son alimentation de manière plus générale, Justine a assez naturellement cherché à trouver des repères dans les pratiques alimentaires de ses propres amis. Ces derniers ont ainsi occupé, et occupent toujours une place particulière dans le rapport à l’alimentation de Justine, que nous allons donc explorer.

Alors que Justine était donc perdue dans la gestion de sa sélection alimentaire durant sa période de trouble, ses amis ont été une sorte de déclencheur lui faisant prendre conscience que son rapport à l’alimentation avait dévié de sa trajectoire : « au self j’étais vachement, enfin… Je me prenais un peu tout le temps des réflexions par mes potes, ils comprenaient pas trop… […] « ha ouais mais tu manges trop sain, nin-nin » ». Elle a donc cherché à prendre exemple sur ses amis afin de déterminer dans les grandes lignes ce qu'elle pouvait se permettre de manger. Le choix de ses amis était essentiellement motivé par l’homolalie (Héran, 1990) tel qu’elle nous l’a expliqué : « je me disais « il est autour de mon âge, ok, il mange ça, il fait à peu près autant de sport que moi donc c’est bien » quoi. « Ça c’est sain », enfin c’est instinctif ». Justine précise d’emblée qu’elle ne se plaçait pas dans une démarche de reproduction sans filtre des comportements qu’elle pouvait observer chez ses amis : « je recopiais pas forcément ce qu'ils mangeaient mais... Je vais un peu dans le même sens de ce qu'ils mangeaient ». Encore maintenant elle se compare souvent à eux et prends régulièrement des produits qu’elle juge « moins sains » pour « être un peu dans le groupe » dans la mesure où elle estime que si ses camarades dont elle juge qu'ils entretiennent un rapport sain à l'alimentation se le permettent, elle le peut également : « Je pense que maintenant, des fois je fais limite exprès de pas prendre des trucs trop sains pour ben peut-être être un peu dans le groupe si je sais pas, y’a un gâteau au chocolat ça va être l’évènement du midi (rire) et donc pour être un petit peu dans le côté groupe je vais prendre un petit peu la même chose que les autres quoi ». Le repère que lui fournissent ses amis importe à tel point que les périodes de vacances sont des moments compliqués dans la gestion alimentaire

183 de Justine. Elle trouve dans le contexte du self un espace de consommation plus rassurant lui permettant de se détacher un peu plus de son rapport complexe à la nourriture : « manger au self pour moi c’est un moment où heu… Ben comme je suis avec mes amis je suis plus… Enfin, et que c’est pas moi qui prépare ce que je mange (hmhm), c’est plus simple en fait. De… De, de moins réfléchir à ce que mange parce que je me dis, bah tout le monde le fait donc c’est normal, alors que justement on fait plutôt gaffe à ce qu’on mange […] ça fait comme si j’étais moins responsable en fait heu… De ce que je vais manger, donc c’est moins grave, je me laisse plus aller… ». Cette socialisation secondaire par les pairs ne consiste au final pas en la proposition d’un modèle alimentaire qui serait consonant ou dissonant par rapport à celui hérité de sa socialisation primaire, mais représente un outil lui permettant de retrouver son équilibre alimentaire au regard de la quantité de pratique sportive hebdomadaire qu’elle a, dans le respect continu du modèle alimentaire familial.