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Rapport du Commissaire à la santé et au bien-être

Chapitre 3 : Programme québécois de dépistage de la trisomie 21

2. Processus en vue du Programme québécois de dépistage prénatal de la trisomie 21

2.4 Rapport du Commissaire à la santé et au bien-être

Les problèmes de discrimination déjà présents dans la société face à la trisomie 21 de même que la médicalisation accrue de la grossesse représentent, entre autres choses, des considérations importantes à prendre en compte avant la mise en place du programme. Pourtant, comme la « grande majorité des personnes consultées pense qu’il serait difficile, sinon impossible, de faire marche arrière en retirant les services actuellement offerts88 », la

possibilité de penser les implications d’un tel programme sont évacuées sur la base de l’argument d’une égalité d’accès aux services; argument qui ne peut être réfuté. De même,

87 Ibid. 88 Ibid., p. 93.

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comme nous l’avons déjà souligné, les questions fondamentales telles que « pourquoi dépister la trisomie 21? » ne trouveront pas réponse dans ce rapport de par leur niveau de complexité et par le fait qu’elles dépassent le mandat du Commissaire qui consistait à évaluer le programme en lui-même, soit l’universalisation de l’offre de dépistage. Néanmoins, le rapport fait état des pistes d’explications qui ont motivés un tel programme que nous avons déjà présenté plus tôt et qui tournent autour de la liberté, de l’égalité, de la prévalence et de l’existence ailleurs de programmes semblables.

Cela étant dit, nous sommes d’avis que cette question, malgré sa complexité, aurait dû être plus largement considérée par le Commissaire, même si cela retardait le processus. Il est absurde d’admettre un programme gouvernemental d’ « offre systématique » de dépistage pour une condition sans savoir pourquoi cette condition devrait être dépistée. Le fait que le Commissaire n’ait pas cherché de réponse creuse ce malaise et fait de ce problème « l’éléphant dans la pièce89 ». S’il ne pouvait le faire conséquemment à une limite

de temps ou à certaines pressions, nous ne pouvons alors pas reconnaître la neutralité ni le sérieux de son travail. En ce sens, le Forum a émis un avis, qui pourrait aussi prévenir la « pente glissante », selon lequel « il faudrait élargir le débat sur cet enjeu et demander aux instances concernées de définir un code d’éthique qui explicite les valeurs et les critères selon lesquels il faut étudier l’introduction de dépistages90 »; avis qui, de toute évidence,

n’a pas été pris en compte ni par le Commissaire, ni par le ministère.

Or, la grande majorité est également d’avis qu’il doit y avoir un bon nombre de conditions à la possibilité de ce programme, tels que l’accès à une information complète. Pourtant, vu le manque de professionnels actuel dans le système public de santé, il semble impossible de remplir ces conditions. Nous entrons dans une sorte de fatalisme moral où nous « devons » malgré nous aller de l’avant tout en sachant que nous ne pourrons le faire en réglant les problèmes sociaux que peut engendrer une telle nouvelle technique; nous pourrons le faire, dans le meilleur des cas, en tentant de minimiser les impacts. La norme, dans ce cas, prend une forme des plus élastiques et perd tout caractère régulateur. Il y a en effet un chevauchement entre le souci de normalisation des pratiques et l’urgence d’une

89 Traduction littérale de « an elephant in the room ». 90 Ibid., p. 78.

97 normalisation biologique à un tel point que le dernier semble prendre le dessus en dépit de tout le reste. En ce sens, la synthèse du commissaire utilise la formulation suivante pour décrire les nouvelles conditions proposées par une majorité des personnes consultées : « si des tests de dépistage sont offerts au Québec, ils doivent au moins répondre aux normes cliniques minimales, lesquelles sont par ailleurs évolutives91 ». C’est dire qu’on appliquera

des normes cliniques (médicales) à un programme répondant à des normes strictement sociales. L’articulation entre Foucault et Canguilhem commence à apparaître très clairement.

En outre, le Commissaire reconnait que les personnes présentant une trisomie 21 connaissent une situation précaire et qu’il est possible qu’elle s’aggrave avec le programme. Or, malgré qu’il souligne que la consultation ne portait pas (non plus) sur cette question, il a tout de même tenu à formuler quelques recommandations à cet égard. Il incite donc le MSSS à favoriser davantage l’intégration sociale de ces personnes, notamment dans les services de garde et le milieu scolaire. Il propose aussi d’augmenter l’accès à des services spécialisés de sorte que les enfants puissent être pris en charge le plus tôt possible et, ainsi, les aider à développer leurs capacités. En dernier lieu, l’amélioration de la réponse aux besoins de soutien et aux besoins de ressources financières additionnelles est nécessaire pour répondre aux exigences de l’égalité. En effet, d’un côté les personnes aidantes, et c’est un problème qu’elles ont généralement, n’ont que peu de soutient et choisir d’être une de ces personnes impliquent de nombreux sacrifices alors qu’elles sont essentielles dans notre société. De l’autre côté, la pauvreté constitue un handicap supplémentaire pour les familles ayant en leur sein une personne présentant un handicap.

L’argument qui se trouve au fondement de l’argumentaire du Commissaire trouve sa source dans les problèmes que soulève la situation présente et s’oriente donc en vertu de la nécessité de changer le statu quo. Dans cette optique, il évoque deux voies possibles :

[Soit] que les conséquences et les risques associés au dépistage prénatal de la trisomie 21 sont importants, inacceptables et impossibles à minimiser [ou] que, malgré l’importance des risques associés à l’implantation de ce programme, il est possible de diminuer à la fois leur probabilité d’occurrence et leur impact, tout en favorisant l’avènement des effets positifs d’un tel

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programme. Dans ce deuxième cas, il pourrait être considéré comme une meilleure option d’améliorer les services existants92.

Posées ainsi, disons seulement qu’il n’y a aucune chance que nous favorisions la première voie.

Cela étant dit, le retrait des services déjà offerts nécessite, selon le Commissaire, la démonstration que les risques soulevés de part et d’autre soient suffisamment importants et impossibles à minimiser. Or, le libre-arbitre doit pouvoir se faire valoir au Québec, dans les limites des lois et selon les valeurs socialement partagées. D’abord, la réalité du libre choix des parents a déjà été maintes fois remise en cause et ne peut être pris pour acquis. En outre, dans un contexte social de valorisation de la performance qui est « socialement partagée », plusieurs ont affirmé que la pression pouvait être grande. Le programme ne pourra qu’accentuer cette tendance à la valorisation de la performance qui, elle, a probablement créé le besoin de ce programme. D’autre part, le principe de libre arbitre des parents en matière de reproduction demeure une zone grise qui crée certainement un malaise. Il ne s’agit pas du droit de vouloir ou non un enfant, ni du pouvoir de la mère sur son propre corps, mais d’un droit de regard des parents sur l’état de l’enfant lorsqu’il sera né et aura des droits. Pour faire valoir ce droit, il est possible de mettre à mort l’enfant à l’intérieur de l’utérus puis de l’accoucher ensuite (le contraire ne pouvant légalement pas être fait) et ce, jusqu’au dernier jour anténatal – du moins au Canada et en France. Sur quoi ce droit se base-t-il et comment pourrait-on le limiter? Certes, les parents d’un enfant trisomique ont une lourde responsabilité et l’auront probablement longtemps; c’est sur ces considérations présentées dans la consultation que le Commissaire se base. Pourtant, il n’est pas rare que ces personnes survivent à leurs parents, particulièrement depuis que leurs conditions ont accru leur espérance de vie. Ces personnes sont soit indépendantes et bénéficient d’un soutient extérieur, soit en foyer d’accueil. Avoir un enfant en soi est une lourde tâche pour les parents, avoir un enfant qui présente un handicap quel qu’il soit est une lourde tâche, avoir un enfant avec des problèmes comportementaux, avec des problèmes d’apprentissage, etc. Ils représentent tous une prise en charge des parents, souvent 24h sur 24 dépendamment du soutient qu’ils reçoivent de l’entourage et

99 dépendamment de leur niveau d’acquisition de l’autonomie. Il en va de même pour les enfants avec une trisomie.

Le commissaire recommande donc la mise en place du programme tel qu’il a été proposé en appuyant à nouveau sur les conditions d’application du programme qui doivent être appliquées autant que faire se peut :

1. Assurer le consentement libre et éclairé des parents par la qualité et la complétude de l’information transmise.

2. Offrir un soutien psychologique aux parents

3. S’assurer que les services de dépistage sont offerts de manière à ce que tous ceux qui veulent les obtenir y aient accès en temps opportun.

4. Instaurer un mécanisme de suivi pour s’assurer du respect des normes de pratique et de la bonne conduite du programme

5. Allouer suffisamment de ressources au programme pour que les conditions requises puissent être mises en place.

6. Rendre l’information relative au programme de dépistage instauré disponible à l’ensemble des citoyens québécois de manière officielle, dans un souci de transparence et afin de permettre qu’une délibération citoyenne puisse avoir lieu à ce sujet93.

Des recommandations sont également formulées indépendamment de la mise en œuvre du programme :

1. Évaluer les besoins actuels des personnes qui présentent une déficience intellectuelle et de leurs proches, ainsi que le soutien qui leur est accordé, afin de pouvoir ajuster ce soutien en fonction des besoins.

2. Sensibiliser les citoyens québécois à ce que peuvent apporter des personnes présentant la trisomie 21 à la société.

3. Encourager la formation de professionnels pouvant informer les parents et les professionnels de la santé chargés du suivi de la grossesse, comme les conseillers en génétique, afin d’accroître les ressources humaines dans ces domaines d’expertise.

4. Soutenir la recherche sur la trisomie 21 et les manières de soigner les problèmes de santé qui l’accompagnent, ainsi que sur les autres options de dépistage et de diagnostic94.

Il est à noter que ces remarques, bien que très significatives, sont comprises comme des suggestions d’actions à entreprendre et non comme étant conditionnelles au programme.

93 Ibid., p. 95-96. 94 Ibid., p. 97.

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