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Chapitre 4 : Réflexions issues de l’application du cadre théorique au cas pratique

2. Le consentement

2.1 La liberté de choix

Le « consentement » s’inscrit dans une visée libérale en ce que la légitimité de la pratique qu’il encadre se base sur la capacité de choisir de l’individu autonome : il est l’ « action de donner son accord à une action, à un projet; acquiescement, approbation, assentiment113 ». Que pouvons-nous reprocher à une pratique lorsqu’il y a consentement?

Le consentement est l’action de « consentir à », donner son accord à une proposition qui nous est faite. Dans la documentation destinée à la consultation dont nous avons parlé, le terme « consentement éclairé » a souvent été changé par « choix éclairé ». Aucune explication n’est d’ailleurs donnée sur ce fait sachant que « consentement » et « choix » ne veulent pas dire la même chose. En effet, choisir est le fait de prendre de préférence parmi d’autres (Robert 2011), ce qui implique que plusieurs possibilités sont offertes. Lorsqu’on demande « consentez-vous à? », il n’y a qu’une possibilité offerte, le refus n’étant que

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sous-entendu. Or, on parle de choix dans la consultation mais pourtant, si on se réfère au formulaire remis aux femmes dans le cadre du programme de dépistage, il s’agit bien d’un consentement (voir annexe 1). Il y a donc une incohérence dans les termes utilisés. La notion de « consentement éclairé » implique, pour sa part, que le médecin est tenu de présenter toute l’information eu égard à une intervention médicale, ainsi que les risques encourus. Autrement dit, il se traduit par une approbation donnée à une question fermée en fonction d’une information balisée ou non. Sur ce point, la responsabilité de la neutralité appartient au médecin et au généticien-conseiller; une responsabilité par ailleurs accrue par l’asymétrie qui existe entre un professionnel et son patient. Toutefois, la question qui est posée dans le cas du dépistage, si elle comporte effectivement des données médicales, reste en dehors du champ de compétence du médecin. Les considérations qui orientent le choix de passer ou non un test de dépistage de la trisomie 21, outre les risques encourus et l’information quant au fait biologique, sont strictement en dehors du champ médical.

Il y a une zone (laissée) grise à l’intérieur du consentement qui permet une certaine latitude dans son application. Si l’objectif de l’État était d’uniformiser le programme, en pratique, ce ne sont que les interventions pratiques qui peuvent l’être. Il est vrai qu’une formation est donnée aux professionnels de la santé, notamment par support informatique, mais, comme nous l’avons vu, il n’y a que peu d’information et son acquisition est laissée à la bonne volonté des professionnels – aucune évaluation n’est obligatoire. Or, nous avons l’intuition, sans pouvoir le démontrer autrement qu’en l’analysant par le biopouvoir, que cette zone laissée grise n’est peut-être pas laissé au hasard et qu’il y a peut-être une volonté (soit économique, soit politique, soit sociale, soit médicale, soit toutes à la fois) pour conserver cette marge de manœuvre dans la pratique. Ruwen Ogien, philosophe français s’inscrivant dans la lignée libérale, admet ceci : « Qui pourrait nier qu’il y a des situations où « consentir » ne veut rien dire d’autre que se résigner, accepter ce qu’on ne peut pas refuser114 ? »

Dans le cas du dépistage de la T21, le consentement se déploie suivant une offre systématique, une offre faite par le médecin mais obligatoire par le gouvernement

114 R. Ogien, L’encadrement coercitif de la vie et de la mort est-il justifié?, Université de Genève,

115 québécois. Or, l’idée d’offre vient dissimuler l’implication réelle du gouvernement et répond aux préceptes du libéralisme. L’accent est mis sur la sphère privée dans un contexte social pour un programme financé par le gouvernement. Autrement dit, il s’agit d’un projet politique rendu effectif par la norme sociale et justifié par le pluralisme moral : « L’enregistrement du pathologique doit être constant et centralisé. Le rapport de chacun à sa maladie et à sa mort passe par les instances du pouvoir, l’enregistrement qu’elles en font, les décisions qu’elles prennent115

Cela étant dit, l’offre implique un consentement. L’analogie entre ce cas et l’assujettissement consenti à la norme dont nous avons parlé dans le premier chapitre est frappante. L’offre, en tant qu’offre, s’impose comme une norme sociale prescriptive à laquelle il faut consentir, à défaut de quoi les mécanismes d’exclusion opéreront. L’idée de systématisation s’inscrit, pour sa part, dans la même logique que l’exemple de la vaccination de masse dont nous parlions précédemment. Or, la différence que l’on peut trouver entre la norme sociale et l’offre faite ici, c’est la formalité du consentement par comparaison à l’acceptation sociale habituellement tacite de la norme. En effet, le consentement écrit est avant tout un contrat de décharge de la responsabilité : qu’il y ait eu les conditions nécessaires au consentement, par exemple en donnant l’information nécessaire, n’a plus d’importance à partir du moment où le consentement est signé.

En outre, quel est le sens du consentement lorsque tous font le même choix? La position de Jacques Milliez, Professeur de gynécologie et d’obstétrique et Secrétaire Général d’Equilibres et Populations, dans L’euthanasie du fœtus est, en ce sens, très significative :

Il est généralement admis, par exemple, que sauf conviction ou disposition affective contraire des parents, un fœtus atteint de trisomie 21 peut, légitimement au sens de l’éthique collective et individuelle, bénéficier d’une interruption médicale de grossesse. Il existe une sorte de consentement général, une approbation collective, un consensus d’opinion, un ordre établi en faveur de cette décision, au point que les couples qui devront subir une interruption de grossesse pour une trisomie 21 ne se poseront guère la difficile question de la pertinence de leur choix individuel. La société en quelque sorte, l’opinion générale, même en dehors de toute contrainte, a répondu pour eux. Tout le monde, ou presque, aurait agi de la même façon.

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L’indication paraît même tellement établie que les parents considèrent en quelque sorte que c’est un droit. Qui d’ailleurs songerait à leur disputer ? L’économie sera faite ici de lancinantes interrogations sur la pertinence du choix116.

De ce fait, les femmes ont une pression énorme vis-à-vis de ces tests et du choix qui résultera d’un diagnostic positif, d’autant plus lorsqu’il s’agit de l’emblème même du dépistage, de l’exemple le plus lourd significativement, le cas paradigmatique : la trisomie 21. En ce sens, le conseil du statut de la femme au Québec intervient régulièrement dans les pratiques, craignant les effets négatifs des techniques de diagnostic prénatal sur la santé des femmes, et demande que les techniques soient restreintes « aux situations où elles sont médicalement requises » (conseil du statut de la femme, 1991). Or, peut-on dire que la trisomie 21 fait nécessairement et en tout temps partie de ces situations? Le biopouvoir, dans le cas du dépistage prénatal, s'exerce plus particulièrement sur le corps des femmes.