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Chapitre 2 Traitement, Acquisition et Identification des séquences préfabriquées

2.1 Rôle des SP dans le traitement langagier

De nombreuses études d’ordre psycholinguistique démontrent que les séquences préfabriquées jouent un rôle dans le traitement du langage aussi bien chez les locuteurs natifs que chez les non-natifs. Les résultats de ces études ont montré que la connaissance des séquences préfabriquées facilite la compréhension et la production (Nation et Webb, 2011 : 175) et permet le traitement du langage (réceptif et productif) de façon plus aisée, que ce soit en langue maternelle ou en langue étrangère (Kuiper et Haggo, 1984 ; Wray, 2000, 2002 ; Wray et Perkins, 2000 ; Conklin et Schmitt, 2008). Même si la plupart des études entreprises à ce jour se sont plutôt intéressées à un type de SP, les expressions idiomatiques.

En effet, comme les SP semblent être stockées comme un tout dans la mémoire à long terme (Pawley et Syder, 1983 ; Bybee et Scheibman, 1999 ; Schmitt et Carter, 2004 ; Peters 1977, 1983), conformément à la définition psycholinguistique de Wray (2002 : 9), leur connaissance permet aux locuteurs une plus grande aisance à l’oral. En production, les séquences préfabriquées stockées en bloc, peuvent être récupérées avec un minimum d’effort, ce qui facilite la production en temps réel (Underwood, Schmitt et Galpin, 2004 : 153). En compréhension, le destinataire ne peut pas analyser pas chaque mot qu’il entend. Mais même s’il n’entend pas tous les éléments d’un énoncé, il peut en reconstruire le sens, grâce aux mots qui l’entourent et au contexte de l’échange 27

(Hunston et Francis, 2000 : 270). Comme il existe des expressions préfabriquées pour un grand nombre de concepts et d’actes de parole, le locuteur est capable de les récupérer directement de la mémoire à long terme facilitant ainsi le travail de décodage (en réception) et d’encodage (en production) - libérant du temps pour d’autres tâches comme l’interprétation du sens ou la planification d’unités plus larges28 (Pawley et Syder, 1983 : 192).

Le LP présenterait donc un grand avantage, celui de limiter la charge de la mémoire de travail

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« […] we can afford to mishear some words in a dialogue, for example, because we can reconstruct their meaning from the pattern they are used in. » (Hunston et Francis, 2000 : 270).

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« [in the store of familiar collocations] there are expressions for a wide range of familiar concepts and speech acts, and the speaker is able to retrieve these as wholes or as automatic chains from the long-term memory : by doing this he minimizes the amount of clause-internal encoding work to be done and frees himself to attend to other tasks in talk-exchange, including the planning of larger units of discourse. » (Pawley and Syder, 1983 : 192)

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(MdT) qui ne peut traiter que quelques items à la fois (Miller, 1956 ; Baddeley, 2000). En effet, si l’on devait décoder les expressions mot à mot, la charge cognitive sur la mémoire de travail serait trop lourde.

Selon Conklin et Schmitt (2008), Jian et Nebraskova (2007), Miller (2011), les SP semblent être traitées plus aisément que le langage non préfabriqué. Les expériences de Schmitt, Grandage, et Adolphs (2004), Schmitt et Underwood (2004) et, celle de Underwood, Schmitt et Galpin (2004) que nous présentons ici, sont parmi les premières à s’intéresser à la représentation et au traitement des SP.

En compréhension, les recherches récentes étudiant les mouvements oculaires (eye-tracking) chez des locuteurs natifs ont montré que ceux-ci lisent plus rapidement les SP. Mais l’expérience de ces chercheurs s’est surtout focalisée sur le traitement des expressions idiomatiques, et en particulier les figuratives (Grant et Bauer, 2004), qui peuvent être utilisées dans un sens métaphorique (hit the nail on the head, frapper en plein dans le mille) ou un sens littéral (enfoncer le clou dans la tête).

Underwood, Schmitt et Galpin (2004) constatent que les séquences, qu’elles aient un sens littéral ou un sens métaphorique, sont lues plus rapidement que les phrases contrôles (ayant seulement un seul sens). Ils utilisent en particulier la technique des mouvements oculaires pour mesurer le nombre et la durée des pauses fixes de l’œil sur le dernier mot des vingt séquences choisies. Ils se sont aperçus que les locuteurs natifs fixent avec l’œil moins souvent et moins longtemps sur le dernier mot des SP que s’ils lisaient ces mêmes mots dans un contexte non préfabriqué. Ces résultats semblent montrer que les expressions idiomatiques sont représentées et traitées de manière holistique par les natifs (Underwood et al. 2004 : 167). Les séquences joueraient donc un rôle dans le traitement du langage en le rendant plus efficace. Cependant rien ne dit à quel sens, littéral ou idiomatique, les lecteurs ont accès en premier, ce qui corrobore les conclusions de Gibbs et al. (1997) (cité par Sinayova et Schmitt, 2008 : 433)29 et celles de Conklin et Schmitt (2008) plus récemment. En d’autres termes, les séquences préfabriquées présenteraient un avantage de traitement pour les natifs comme pour les non-natifs quel que soit leur sens, idiomatique ou littéral (Conklin et Schmitt, 2008 : 85). Si le traitement holistique est avéré pour les natifs, les résultats ne semblent pas aussi nets pour les locuteurs non-natifs car rien ne permet d’affirmer, en effet, si le traitement se fait de

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« For example, Gibbs, Bogdanovich, Sykes,and Barr (1997) show that idiomatic expressions in story contexts (He blew

his stack) are processed just as quickly as their literal paraphrases (He got very angry ) but faster than control phrases (He saw many dents ). » (Siyanova et Schmitt, 2008 : 433)

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Signalons également le paradigme expérimental de l’amorçage lexical (lexical priming), pendant lequel on peut mesurer le temps de réaction à un stimulus verbal. Dans une expérience en anglais langue maternelle (Hoey, 2005), les sujets doivent choisir entre les deux réponses proposées : disputes (B) ou meanings (B’) pour compléter la phrase the dictionary

editor tried to resolve (A). Le digramme AB ayant une plus forte probabilité d’apparition que

AB’, le sujet mettra plus de temps pour réagir sur B’ en AB’. Le cerveau étant capable de traiter l’information de façon à estimer rapidement les probabilités lexicales d’apparition, l’œil est moins fixé lorsque le mot attendu est le bon. Hoey considère que l’emploi d’un mot est en quelque sorte déterminé, « amorcé », par son environnement qui peut être lexical, mais aussi sémantique, syntaxique, pragmatique et/ou discursif.

L’expérience en oculométrie et celle de l’amorçage lexical montrent que le traitement d’une SP en compréhension demande moins d’attention que celui d’une expression libre, créée mot à mot (Conklin et Schmitt, 2008 : 72). Cependant, elles ne s’intéressent qu’à un type de SP, les expressions idiomatiques et, seulement à l’écrit. Elles n’apportent pas la preuve que ces séquences sont stockées comme un tout dans le lexique, bien que Underwood, Schmitt et Galpin (2004) l’affirment. Elles ne nous disent pas ce qui se passe pour des locuteurs non-natifs en situation de production orale.

Si ces études se sont focalisées sur le traitement des expressions idiomatiques d’une manière générale, une autre étude, plus récente, s’est intéressée au traitement des expressions conventionnelles (Edmonds, 2013). « Une fois un acte de langage reconnu (en production ou en compréhension), toute expression conventionnelle pouvant réaliser l’acte en question serait activée, ce qui expliquerait les avantages psycholinguistiques associés à de telles séquences, avantages qui se limiteraient aux contextes déclencheurs » (Edmonds, 2013 : 130). Si celles-ci jouissent d’avantages psycholinguistiques, ils se manifesteraient différemment chez les natifs et les non-natifs d’après Edmonds (2013). En fait, Edmonds nuance la thèse d’un traitement holistique « indiscutable », tout comme Wray (2002) qui évoque seulement la « possibilité » d’un traitement holistique des SP. Edmonds donne une autre explication à la rapidité de traitement des expressions conventionnelles, qui semble confirmée par les résultats de l’expérience qu’elle a menée et qui concerne le traitement des expressions conventionnelles. En L2, par exemple, une grande partie de l’apprentissage est basée sur la répétition de séquences permettant de réaliser un grand nombre d’actes de parole (s’excuser, se présenter,

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s’informer, etc.). A force de les avoir entendues et répétées, il peut se produire « une plus grande automatisation dans l’appréhension des séquences fréquentes – phénomène qui peut être tout-à-fait indépendant d’une inscription mémorielle » (Edmonds, 2013 : 133-34). Si Edmonds ne nie pas le traitement holistique des expressions idiomatiques non-compositionnelles, les expressions conventionnelles, en revanche, bénéficieraient plutôt d’un traitement automatique.