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Nous rappelons ici brièvement, les différentes étapes du modèle de production de Levelt (1989). Le traitement se fait de manière progressive, étape par étape (en cascade), tout au long de la production. Les quatre étapes se suivent théoriquement dans cet ordre mais les processus étant imbriqués, on peut être dans la phase d’articulation à un moment donné alors qu’on planifie déjà la suite. Concernant le traitement des SP, on peut expliquer comment les SP influencent les différentes étapes du modèle de production de parole.

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Figure 1. Schéma des processus de production orale (A Blueprint of the speaker, Levelt, 1999 : 97, cité par Hilton, 2009 : 80)

 La conceptualisation : étape pendant laquelle on planifie ce que l’on veut dire.

La première phase consiste à préparer la planification du message avant de pouvoir le générer (macro-planning). Le « message préverbal » contient les informations qui permettront de

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transformer le concept en message : (représentation de la situation de communication, activation du thème, prise de perspective sur les informations à communiquer). Pour expliquer ce qui se passe pour le LP, à cette étape de la conceptualisation, un locuteur qui voudrait planifier le concept « mourir » peut déjà choisir le registre dans lequel le concept sera formulé. Ce choix sera déterminé par la situation de communication et la perspective que le locuteur veut adopter sur les événements dont il parle (casser sa pipe sera utilisé dans une interaction où les locuteurs se connaissent et où le langage familier peut être utilisé sans danger). Le message préverbal va ensuite passer dans ce que Levelt appelle le « formulateur ».

 La formulation :

Cette étape concerne la formulation du message préverbal et tient compte des éléments grammaticaux, lexico-sémantiques, pragmatiques et phonologiques. Le lexique mental consiste en unités lexicales composées de lemmes, contenant des informations sémantiques et syntaxiques, et des lexèmes qui sont, eux, composés d’informations morpho-phonologiques. La première étape de l’encodage est la sélection de lemmes qui correspondent le mieux à l’information sémantique de la phase préverbale. Une fois le lemme sélectionné, le locuteur activera sa forme phonologique et morphologique. Le formulateur produit alors une forme syntaxique de surface et une forme phonologique de l’expression. A cette étape, le locuteur active (selon les théories développées au chapitre 2) des ensembles de mots - des séquences préfabriquées - dans le lexique mental, qui vont (de par leur nature pluri-lexicale) permettre une plus grande rapidité dans l’encodage du message (le locuteur n’encodant pas mot à mot mais phrase par phrase). Par exemple, pour formuler « ME PRESENTER » représenté dans le conceptualisateur, je peux activer la forme Bonjour, je m’appelle sans passer par tous les mots et morphèmes qui composent cette SP : l’ensemble des informations (lexicales, syntaxiques et phonologiques) sera traité en bloc. Ces séquences libèrent ainsi beaucoup de ressources qui pourront être utilisées pour la planification d’un prochain message préverbal.

 L’articulateur (ou la production des sons)

Lors de la dernière phase de traitement, l’énoncé passe dans l’articulateur qui produit l’expression. L’articulateur a en mémoire, dans le syllabaire, les gestes articulatoires nécessaires pour transformer le message préverbal en parole ; selon Oppenheim (2000 : 220),

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les suites articulatoires (sous formes de chunks) présentes dans le syllabaire faciliteraient la fluence de production.

 Contrôle ou auto-surveillance ou monitoring

L’auto-surveillance (ou « monitoring ») permet au locuteur de vérifier la correction de ce qui est articulé d’un point de vue lexical, morphologique, syntaxique et phonologique. « Les locuteurs contrôlent ce qu’ils ont à dire et comment ils vont le dire » 45

(Levelt, 1989 : 458) et ceci pour toutes les formes de discours et sans intervention de l’interlocuteur, que ce soit pour corriger leurs erreurs ou pour apporter une précision. Dans le modèle de production de Levelt (1989), trois boucles phonologiques (phonological loop) examinent la production. La première boucle compare le message préverbal et les intentions du locuteur. La seconde boucle concerne la surveillance au plan phonétique (internal speech) avant l’articulation, qui est appelée aussi covert-monitoring. La dernière boucle, qui prend en charge l’acoustique et la phonétique, consiste à vérifier l’expression après l’articulation. Si une erreur ou une approximation est détectée, un signal est alors émis, ce qui déclenche une nouvelle production à partir de la première étape de conceptualisation.

La correction peut servir aussi parfois à lever une ambiguïté. Au niveau conceptuel, si le locuteur s’aperçoit de son erreur avant la formulation du message, cela se traduit par une hésitation ; et après que le message a été formulé, le locuteur se reprend sous la forme d’une reformulation. « Les locuteurs peuvent se corriger presque à tous les niveaux de leur production »46 (Levelt, 1989 : 463). Le signal qu’ils donnent à leurs interlocuteurs peut se traduire par une pause sonore du type euh, mm ou des formules comme je pense, plus

exactement, etc.

Dans le modèle de Levelt, le traitement se fait de manière progressive : dès que le message préverbal passe dans le formulateur, le conceptualisateur commence son travail sur le groupe suivant même si le précédent n’a pas fini d’être traité. Ainsi l’articulation d’une phrase peut commencer bien avant que le locuteur ait terminé de planifier la totalité du message (Kormos, 2006, 7-8) et la planification s’enclenche avant que l’énoncé précédant ne soit complétement articulé. Ceci est possible parce que les activations, notamment dans la phase d’encodage,

45 Notre traduction de : « Speakers monitor what they are saying and how they are saying it. » (Levelt, 1989 : 458) 46 Notre traduction de : « Speakers can monitor for almost any aspect of their own speech. » (Levelt, 1989 : 463)

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sont hautement automatisées. C’est sur ces automatismes que repose la grande vitesse de la parole.

En L1, les opérations formelles - et un certain nombre de traitements sociaux - sont automatiques et le locuteur n’a pas directement conscience des règles sous-entendues qui régissent une interaction (Hilton, 2009). Selon Rehbein (1987 : 99), en L1 les phases de planification et de formulation dans la production doivent être exécutées en partie simultanément par le locuteur47 mais, pour être fluent, l’expression entière doit être planifiée à l’avance48

. En L2, les processus de bas niveau risquent de rendre la production plus lente, voire disfluente. L’étude des variables temporelles peut, dans ce cas, éclairer la fluence cognitive, surtout dans le cas de locuteurs débutants qui ont un lexique limité et peu de pratique de la langue (Derwing, Rossiter, Munro et Thomson, 2004 : 674). Mais ce modèle de production permet de comprendre à quelle étape peuvent intervenir les difficultés rencontrées par les locuteurs d’une L2.