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Chapitre 2 Traitement, Acquisition et Identification des séquences préfabriquées

2.5 Définitions du LP

Le langage préfabriqué joue, sans aucun doute, on vient de le voir, un rôle important, en L1 comme en L2. Cependant, ce terme regroupe une grande variété d’expressions, de séquences préfabriquées que le chercheur a du mal parfois à identifier. Aussi pour identifier correctement les SP, il est nécessaire d’en avoir une définition précise (Wray, 2008 : 94).

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Cette section est consacrée tout d’abord aux définitions des séquences préfabriquées, d’un point de vue fonctionnel, puis à leur identification à l’oral.

On trouve dans la littérature diverses définitions des SP, selon le point de vue adopté du chercheur. Soit on se place d’un point de vue externe au locuteur et on se contente de décrire de manière formelle les phénomènes phraséologiques à l’oral ou à l’écrit, sans lien avec ce qui se passe au niveau cognitif (chapitre 1) ; soit on s’intéresse au rôle des SP dans la production et on se place d’un point de vue interne au locuteur (Wray, 2008 ; Cordier, 2013). Les définitions les plus connues, axées sur la fonction du LP, expliquent et définissent le phénomène d’un point de vue pragmatique ou psycholinguistique. Les psycholinguistes et les sociolinguistes abordent la préfabrication, entité qui peut regrouper divers phénomènes en plus de ceux évoqués dans le chapitre 1, du point de vue du locuteur.

La définition d’Erman et Warren (2000 : 31), souvent mise en avant, met l’accent sur la préférence native : « Une séquence préfabriquée consiste en une combinaison d’au moins deux mots que les locuteurs natifs préfèrent utiliser plutôt qu’une autre équivalente si la conventionalisation n’existait pas » 32 . Dans cette définition, la suite de mots « préfabriquée » (formulaïc) est une formule conventionnelle que les natifs emploient de préférence à d’autres équivalentes. Ainsi l’expression I’m afraid (je crains de) utilisée pour atténuer une mauvaise nouvelle ne peut être remplacée par un équivalent littéral I am scared

(je suis effrayé), sans que le sens et sa fonction ne soient modifiés. En effet, les séquences

produites en situation de communication sont souvent des séquences choisies par les locuteurs natifs parmi d’autres tout aussi valables linguistiquement mais non-conventionnelles. L’accent est mis dans cette définition sur l’aspect pragmatique des SP. Pawley et Syder (1983) déjà, mettaient en avant les particularités de la sélection native (native-like selection). Si les locuteurs natifs possèdent un répertoire de séquences adaptées à des situations particulières (tous nos meilleurs vœux de bonheur, bonne année, joyeux Noël) en L2, les locuteurs non-natifs doivent se les approprier pour parler comme un natif le ferait. La définition d’Erman et Warren s’intéresse aux expressions conventionnelles en L1 mais ne dit rien des séquences produites en L2. Et même s’ils reconnaissent leur fonction pragmatique

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Notre traduction de : « A prefab is a combination of at least two words favoured by native speakers in preference to an alternative combination which would have been equivalent had there been no conventionalisation. » (Erman et Warren, 2000 : 31).

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dans le discours, Erman et Warren ne disent rien du rôle de ces expressions dans le traitement langagier.

Forsberg (2006 :44) adapte la définition pragmatique d’Erman et Warren dans sa recherche des séquences préfabriquées de locuteurs non-natifs de français langue étrangère.

Une SP est une séquence polylexicale (deux unités minimum) préférée des locuteurs natifs à d’autres moins fréquentes, tout aussi correctes linguistiquement mais non-conventionnelles. Comme le répertoire des SP chez les locuteurs non-natifs est différent de celui des natifs, une séquence préfabriquée peut être une séquence préférée par un locuteur L2, reconnue par son emploi idiosyncrasique et sa fréquence dans l’interlangue d’un locuteur L2. (Forsberg, 2006 : 44)

Cette définition élargit la notion de la préfabrication à l’utilisation du langage préfabriqué en cours d’acquisition. Elle met l’accent sur les différences entre SP natives (attestées) et non natives (idiosyncrasiques).

Cependant, la définition la plus largement reconnue est celle de Wray (2002 : 9). Selon ce chercheur, une séquence préfabriquée (SP) est une « séquence continue ou discontinue de mots ou autres éléments qui sont ou semblent être préfabriquées c’est-à-dire mémorisées et extraites de la mémoire au moment de l’usage plutôt que d’être générées ou analysées par le système grammatical de la langue »33. Depuis, Wray (2008 : 12) a complété cette définition, en développant l’idée d’une construction équivalent à un morphème, Morpheme Equivalent

Unit (MEU) qu’elle définit comme « un mot ou une suite de mots, complète ou comportant

une partie fixe et une partie variable, traité comme un morphème, sans recourir à une quelconque relation forme sens que ses unités pourraient avoir »34. Ces deux définitions (Wray, 2002, 2008) d’ordre psycholinguistique renvoient à la structuration du lexique mental. Le locuteur semble activer les séquences telles quelles sans avoir recours à l’analyse grammaticale ni à la traduction mot à mot. La séquence est donc produite d’une manière holistique en bloc et sans avoir recours au sens de chaque élément. Elles semblent être préfabriquées, dit Wray. Ce n’est donc pas une affirmation mais une possibilité. On peut alors se demander si elles ont toutes été mémorisées vraiment comme des ensembles ou construites mot par mot par le locuteur. Rien dans cette définition ne nous permet de l’affirmer car Wray ne dit pas comment on apprend ni comment on mémorise ces ensembles. Cependant, ces

33 Notre traduction de « A sequence continuous or discontinuous, of words or other meaning elements, which is or appears to be prefabricated : that is, stored and retrieved whole from memory at the time of use, rather than being subject to generation or analysis by the language grammar. » (Wray (2002 : 9).

34 Notre traduction de « a word or word string, wether complete or including gaps for inserted variable items, that is processed like a morpheme, that is, without recourse to any form-meaning matching of any subparts it may have » (Wray, 2008 : 12).

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définitions privilégient la thèse de la mémorisation holistique des séquences, qui semble de toute façon évidente pour les formules non-compositionnelles. Le locuteur est ainsi capable de récupérer un ensemble de mots en bloc de la mémoire à long terme (Pawley et Syder, 1983 : 192). Ces définitions concernent les SP en L1 mais on peut les appliquer à la L2. Des chercheurs plus centrés sur la didactique en L2 proposent aussi leurs définitions.

Si Wray définit les SP en L1 comme des suites de mots présentant certains avantages pour le locuteur parce qu’elles sont ou semblent stockées en bloc et récupérées telles quelles de son lexique mental, en L2 elles peuvent suivre un autre schéma d’acquisition. En effet, elles peuvent, par exemple, avoir été automatisées grâce à un emploi fréquent en cours de langue (jeux de rôle, répétitions) ou à force d’avoir été utilisées dans certaines situations (voir les modèles basés sur l’usage, section 2.2). Les définitions psycholinguistiques du LP concernent les séquences que la linguistique traditionnelle a longuement décrites mais aussi toutes les séquences propres au locuteur parce qu’elles font partie de son répertoire. Une séquence pour être reconnue préfabriquée devrait faciliter la production orale en L2, en permettant une meilleure aisance et une plus grande fluidité. Elle présente donc un avantage de traitement pour un locuteur donné (Cordier, 2013 : 21). A l’instar de Cordier (2013 : 84), la définition dans cette thèse sera psycholinguistique, à savoir qu’« une séquence préfabriquée est une suite de mots qui présente un avantage de traitement pour un locuteur donné soit parce qu’elle a été stockée comme un tout dans son lexique soit parce qu’elle a été automatisée35

». Cette définition nous paraît mieux adaptée à un corpus d’apprenants L2 que celle de Wray, car elle met davantage l’accent sur le rôle des SP dans le traitement sans qu’elles soient nécessairement stockées et récupérées de manière holistique. Une définition d’ordre psycholinguistique, tout à fait opérationnelle, comme celle de Cordier met l’accent sur le rôle des SP dans la production, a contrario de celle de la tradition phraséologique française qui reconnaît une séquence préfabriquée par des critères stricts de figement dans une perspective uniquement descriptive et externe au locuteur. Notre définition des SP dans cette recherche sera celle proposée par Cordier (2013).