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Quelle peut-être la place de l’exploitation des ressources naturelles dans le processus de développement et de croissance économique au sein des pays en développement ? Cette question a été centrale dès l’origine même de l’économie du développement et le plus souvent les économistes ont considéré que les activités liées à l’exploitation des ressources naturelles (en particulier les non renouvelables) avaient un impact négatif sur le développement économique d’une nation. Plus généralement, trois grands types de raisons sont traditionnellement avancés pour justifier le caractère négatif de l’exploitation des ressources naturelles :

a) Le mal hollandais :

Bien que touchant principalement les pays pétroliers, la notion de mal hollandais (ou syndrome hollandais ou malédiction des matières premières), inspiré du cas des Pays-Bas dans les années 1960, est utilisé par extension pour décrire un ensemble de mécanismes par lesquels une forte dotation en ressources naturelles peut influencer négativement la croissance

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à long terme d’une économie (Voir par exemple : Corden, 1984 ; Corden & Neary, 1982). Le terme a été introduit pour expliquer la stagnation de l’activité aux Pays-Bas durant les années soixante-dix comme le résultat de la découverte d’un large gisement de gaz naturel. L’exploitation de ressources naturelles génèrerait habituellement de larges profits conduisant au développement de l’activité minière au détriment des autres secteurs de l’économie. L’accroissement du revenu national et de la demande entraînerait ensuite des pressions inflationnistes, tandis que l’afflux de capitaux se traduirait par un excédent commercial s’accompagnant d’une appréciation du taux de change réel. C’est la surévaluation du taux de change par rapport à ce qu’induiraient autrement les performances du pays qui va finalement réduire la compétitivité des autres entreprises exportatrices, hypothéquant à long terme le

développement économique. Pour de nombreux auteurs (voir Arezki & al. 2012), la

malédiction entourant les ressources naturelles n’est toutefois pas systématique et semble dépendre amplement du capital institutionnel de l’économie.

b) Le voracity effect :

Une autre conséquence néfaste qu’aurait les activités d’exploitation des ressources naturelles concerne un supposé affaiblissement du tissu institutionnel. Il existerait ainsi au sein des pays concernés une compétition entre les différents groupes sociaux afin de s’accaparer de la rente économique provenant de l’exploitation des ressources naturelles

(surnommée le voracity effect en référence aux travaux de Lane & Tornell 1996).

Les tenants de ce courant essaient de démontrer qu’il existe une différence entre deux types de matières premières : celles provenant des ressources non renouvelables ou de la mise en pratique de la monoculture (de rente) et les autres types de produits agricoles. Les premiers sont censés avoir des effets plus pernicieux que les seconds.

c) La dégradation des termes de l’échange :

Factuellement, les termes de l’échange désignent en économie internationale, le pouvoir d'achat des biens et services importés qu'un pays détient grâce à ses exportations. Ils sont un élément essentiel pour déterminer l'intérêt de la réciprocité en politique commerciale internationale et sont censés mesurer l'égalité ou l'inégalité de l'échange. On en construit généralement trois types :

les termes de l’échange net : c’est un indice représentant le rapport de l'indice des

prix des exportations à l'indice des prix des importations. Il s'agit d'un indice des termes nets car il prend seulement en compte les variations de prix et néglige les volumes.

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Les termes de l'échange de revenu : contrairement à l’indice des termes nets, celui-ci

inclut les quantités, ce qui permet de mesurer le pouvoir d'achat des exportations ou encore la capacité d'importation générée par les exportations.

Les termes de l'échange factoriels : Les deux indices précédents pèchent par le fait

qu'ils ne tiennent pas compte de l’évolution différentielle des productivités. Or, si la productivité d'un pays croît rapidement et que la croissance de la production induite se traduise par une baisse du prix des exportations, il apparaît hasardeux d'en déduire une détérioration des termes de l’échange si, par ailleurs, la rémunération des facteurs de production s'est élevée. La mesure des termes de l’échange factoriels permet donc de combler cette lacune.

Suivant la thèse développée par Raoul Prebisch et Hans Singer les termes de l'échange des produits primaires (produits de l'agriculture et matières premières) face aux produits manufacturés tendraient inéluctablement à se dégrader au cours du temps. Cette thèse née au début des années 1950 dans un contexte marqué par l’apparition de nombreux doutes sur les vertus du libre-échange et de la spécialisation dans les exportations de produits primaires, structure encore aujourd’hui la pensée de l’économie internationale du développement. Elle structure en particulier les idées suivant lesquelles : (i) l’exploitation des ressources naturelles ne permettait qu’un progrès technique et des gains de productivité marginaux ; (ii) quels que soient le lieu et le secteur où se produisent des gains de productivité dans les PED, ils entraînent inexorablement l'augmentation du revenu réel des pays développés au détriment de celui des premiers. La thèse de la détérioration des termes de l’échange justifiera ainsi l’intérêt de la mise en place de politiques commerciales protectionnistes et de stratégies industrielles actives visant à réduire l’impact des activités primaires sur la structure économique des PED.

Pour les partisans comme pour les détracteurs de cette thèse, l’essentiel du débat a consisté, à partir des années 1950, à décrire les mécanismes permettant d’infirmer ou de confirmer la détérioration. La controverse soulevée est ainsi au cœur d’une abondante littérature tant théorique, empirique que pratique, dont le décryptage et la synthèse font justement l’objet du chapitre suivant.

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Encadré 1.3 : Tiers monde, PED ou pays du Sud : des frontières mouvantes.

Dans ce travail, nous avons choisi d’utiliser de manière indifférente les notions de tiers monde de Sud et ou de PED pour désigner par défaut, l’ensemble des pays non riches, par opposition aux pays dit riches. Mais la notion et le niveau de richesse sont par principe soumis à évolution dans le temps. On comprend dès lors que le Sud ne constitue non seulement pas un ensemble homogène, mais que ses frontières avec le Nord (PDEM) soient assez mouvantes. La Corée du Sud et le Chili ont par exemple rejoint récemment le club des pays riches, l’OCDE, dont pour des raisons essentiellement géopolitiques, la Turquie est un membre fondateur. Dans des classements tels que celui de la CNUCED, Chili, Corée du Sud comme Turquie sont pourtant répertoriée comme pays en développement. Suivant ces classements, les frontières du Sud sont ainsi généralement définies comme celles du monde diminué de : UE-28, Suisse, Norvège, États-Unis, Canada, Japon, Australie, Nouvelle-Zélande et Israël.

Il faut alors distinguer dans ce vaste Sud (plus de 87% de la population mondiale en 2010 selon Chaponnière & Lautier (2012)), les pays émergents de première génération (les quatre dragons communément appelés Nouveaux Pays Industrialisés : Corée du Sud, Taïwan, Singapour et Hong Kong), ceux de seconde génération (Malaisie, Indonésie, Thaïlande, Philippines, Viêt-Nam, Mexique, Chili, Colombie, Turquie, Chine, Inde, Brésil Afrique du Sud) et finalement les pays dit les moins avancés (PMA) dont une grande partie se trouve en Afrique.

Cette dernière catégorie fait l’objet (contrairement aux autres) d’une définition très précise par les Nations unies depuis 1971, avec des critères clairement définis. Au titre de cette définition, la catégorie PMA rassemble ainsi les pays les plus pauvres et les plus faibles du monde, structurellement handicapés dans leur développement, vulnérables au niveau économique et méritant de ce fait un soutient particulière de la part de la communauté internationale (préférences commerciales, aides au développement, allègement de dette..). Afin d’être reconnu comme tel, un pays doit remplir trois critères : (i) niveau de revenu bas, calculé en fonction du PIB par habitant sur 3 ans; (ii) retard dans le développement humain, mesuré en tenant compte de la malnutrition, du taux de mortalité des enfants, de la scolarisation et du taux d’alphabétisation; (iii) vulnérabilité économique, calculée en fonction de la taille de la population (ne doit pas excéder 75 millions), du degré d’isolement, des exportations, des différentes cultures agricoles, des catastrophes naturelles et de leurs incidences. Sur les 48 pays figurant actuellement dans cette catégorie, 34 sont africains. La liste est régulièrement révisée par les Nations unies (tous les trois ans) mais elle évolue très peu.

7. Conclusion

Pour de nombreux PED, la situation de dépendance vis-à-vis des recettes d’exportation se double – et c’est l’un des enseignements à tirer des turbulences observées sur les marchés agricoles – d’une insécurité alimentaire et qui témoigne de l’extrême vulnérabilité de ces pays face aux dynamiques de court, moyen et long terme des prix internationaux des matières premières. Cette situation pointe une des principales limites des spécialisations primaires impulsées à marche forcée via l’ajustement structurel en Afrique notamment et qui n’a laissé de place ni à l’amélioration de rendements des produits vivriers, ni à la transformation des structures de production. Alors que, tirée pour grande partie par une conjoncture favorable sur les marchés des produits de base, la croissance repart dans de nombreux PED depuis le milieu des années 2000, ceux-ci devrait saisir l’occasion d’exploiter au mieux leurs potentialités pour s’affranchir de cette double dépendance, véritable entrave pour leur développement.

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Chapitre 2 : M

ATIÈRES PREMIÈRES ET DÉVELOPPEMENT

:

ÉTAT DU DÉBAT

THÉORIQUE ET POLITIQUE SUR LA DÉGRADATION DES TERMES DE L

ÉCHANGE

1. Introduction

Les pays les moins avancés (PMA) ne sont ni les plus gros producteurs ni les plus gros consommateurs de matières premières. Mais ainsi que nous l’avons illustré dans le chapitre précédent, ceux-ci se distinguent généralement par une forte dépendance de leur économie à l’exportation d’une ou de quelques matières premières (spécialisation primaire). C’est ainsi que dès l’origine même de l’économie du développement s’est posée la question du lien entre croissance, niveau de développement et mode d’insertion dans le commerce international. En d’autre termes, les PMA exportent-ils principalement des matières premières parce qu’ils sont pauvres ou est-ce le fait d’avoir construit leurs économies sur l’exploitation de matières premières qui les appauvrissent ; et dans ce cas de quels leviers disposent-ils pour se sortir de leur situation ? Alors que du fait du niveau actuel des prix des matières premières le climat est plutôt à l’euphorie dans certains PMA, la question reste légitime car rares sont parmi ces pays, ceux qui ont su tisser une structure économique leur permettant de s’affranchir de la dépendance.

Dans la littérature sur l’économie internationale du développement, cette question a historiquement été abordée à travers la notion de « terme de l’échange » qui dans son sens premier désigne le rapport de l'indice de la valeur unitaire des exportations et de l'indice de la valeur unitaire des importations. Il s’agissait donc d’un indicateur du pouvoir d’achat des exportations et sa baisse pour un pays à spécialisation primaire signifiait que ce pays devait en fournir un panier de plus en plus important en échange d’un même panier de produits non primaires. Or en s’appuyant notamment sur l’idée d’une augmentation régulière de l’offre de produits manufacturés (du fait des progrès techniques) et d’une limite à celle des produits primaires (du fait de la rareté naturelle des ressources du sol), les économistes classiques (Smith, Ricardo…) ont longtemps estimé (sans être contredits) que les termes de l’échange des produits primaires devaient augmenter au fil du temps. Cette hypothèse impliquait que les pays à spécialisation primaire (les PMA) n'avaient pas besoin de s’industrialiser pour profiter des avancées technologiques survenant dans le secteur manufacturier ; le libre jeu des forces du marché international se chargeant via les termes de l’échange, de distribuer les gains des pays industrialisés vers les pays à spécialisation primaire (logique des avantages comparatifs). Mais au début des années 1950, Prebisch et Singer en examinant les termes de l’échange (prix

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relatifs) des exportations de produits primaires en provenance des PED vis-à-vis de leurs importations de produits manufacturés en provenance des pays industrialisés, vont simultanément (mais séparément) contester le caractère mutuellement avantageux d’une telle division internationale du travail. Leurs analyses montreront en effet l’existence, entre 1876 et 1938, d’une tendance négative dans l’évolution des termes de l’échange des pays exportateurs de produits primaires. La thèse dite Prebish-Singer (T-P-S) d’une tendance séculaire à la dégradation des termes de l’échange (DTE) des produits primaires, formulée à partir de ce constat, va très vite servir d’argumentaire dans l’explication du niveau de développement des PMA.

La T-P-S s’est appuyée avant tout sur une représentation de l’évolution des prix des matières premières supposant l’existence d’une tendance de long terme, autour de laquelle s’exprimeraient des fluctuations cycliques. Les controverses empiriques qu’elle a suscitées et qui portaient – d’abord sur la qualité des données (voir Ellsworth, 1956), ensuite sur le signe de la tendance et enfin sur la validité de la représentation retenue (Cuddington & Urzua, 1989) – ont souvent conduit à reléguer au second plan l’argumentaire développé. Or la T-P-S a joué un rôle central, à la fois sur le plan théorique et stratégique. Théorique car elle a fourni un cadre d’analyse pour penser la répartition mondiale et sociale des gains de productivité et l’absence de diffusion du progrès technique ; stratégique car c’est elle qui a fondé la nécessité d’une stratégie de développement tournant le dos aux avantages comparatifs et orientée autour de l’industrialisation (Treillet, 2001). Ces deux aspects constituaient à l’époque le cœur de l’analyse structuraliste du développement.

A la lumière de la nouvelle dynamique observée sur les marchés de matières premières, les deux questions qui peuvent alors être mises en avant concernent : (i) l’actualité de la DTE dans un contexte marqué par d’importants changements dans la structure des échanges mondiaux, (ii) la portée d’une stratégie d’industrialisation par substitution aux importations,

particulièrement autour de questions de technologies. In fine se trouve aussi posée la question

de la validité d’une analyse de type « centre-périphérie7 » paradigme fondamentale du

structuralisme, comme grille de lecture d’une économie désormais mondialisée. C’est essentiellement à ces aspects théoriques et stratégiques (politiques) de la T-P-S que nous nous intéressons dans ce chapitre. Les travaux y afférents montrent en effet une évolution de

7Le modèle « centre-périphérie » décrit le monde comme un ensemble opposant des structures sociales, territoriales, économiques dominants, à d’autres, dépendants et dominés. Les termes de centre et de périphéries pointent souvent les inégalités entre pays développés et pays en développement ou entre le Nord et le Sud. Mais ils peuvent aussi être déclinés à toutes les échelles territoriales pour décrire, par exemple, les liens entre une ville et son espace environnant, entre une métropole et les autres villes du même État (voir Cattan, 2006)

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l’argumentaire développé ; alors que les travaux empiriques toujours plus techniques donnent

l’impression de déboucher sur une impasse8.

Nous débutons ainsi par une présentation du paradigme « centre-périphérie » du

structuralisme comme cadre de formulation de la DTE dans une première section. La présentation des deux formes d’explications fournies à l’origine par Prebisch-Singer donne ensuite une grille de lecture intéressante pour suivre l’évolution jusque dans les années 1990, de la question de la DTE dans la littérature théorique. Le renouveau de cette question est finalement analysé à l’aune des travaux sur une répartition mondiale des gains de productivité prenant en compte la transnationalisation productive et financière (Gereffi, 1999 ; Kaplinsky, 2000 ; Humphrey 2003). Il semble alors que le surplus économique, passe essentiellement par d’autres mécanismes que les échanges de marchandises, qu’elles soient primaires ou manufacturées.