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3. Aversion au risque, erreurs d’anticipations et chaos sur les marchés agricoles

3.2. Le modèle Cobweb standard

Le modèle Cobweb standard est un modèle linéaire d’équilibre partiel décrivant les fluctuations de prix, sur un marché libre, d’une denrée non stockable, produite sur une période (un cycle). Sur la base du prix final mais anticipé en début de période, les producteurs

décident de la quantité à produire pour maximiser leurs profits. Étant donné 𝑝𝑡𝑚 le prix

anticipé, 𝑝𝑡le prix observé, 𝑞𝑡𝐷 la demande et 𝑞𝑡𝑆l’offre, les équations du modèle sont

données dans le tableau 5.1

Tableau 5.1 : Le modèle Cobweb linéaire standard

𝑞𝑡𝐷 = 𝑎 − 𝑏𝑝𝑡 La demande

𝑞𝑡𝑆 = 𝑐+𝑑𝑝𝑡𝑚+𝜀𝑡 L’offre

𝑞𝑡𝐷 = 𝑞𝑡𝑆 L’équilibre

Règles d’anticipations

𝑝𝑡𝑚 = 𝑝𝑡−1 Naïve

Les fonctions d’offre et de demande sont linéaires ; avec 𝑎,𝑏,𝑐 et 𝑑 des réels positifs.

Comme le fait Gouel (2011) par exemple, on peut également ajouter une petite perturbation (bruit blanc) à la fonction d’offre pour prendre en compte les aléas. Dans le modèle d’Ezekiel la règle d’anticipation du prix futur est naïve : l’agriculteur suppose toujours que le prix au moment de la récolte sera égal au prix de la période passée. Ainsi, si suite à un aléa climatique par exemple, le prix à la période initiale est supérieur au prix d’équilibre, les producteurs vont anticiper que le prix sera aussi élevé à la période suivante et produire plus que la quantité demandée. A la troisième période, les producteurs vont donc anticiper un prix bas et produire peu, ce qui va finalement induire une hausse de prix et ainsi de suite. À l’équilibre la demande égalise l’offre et le prix est donné par :

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La dynamique de la partie déterministe de l’équation montre que ce prix peut fluctuer

suivant trois régimes en fonction des pentes 𝑏 et 𝑑 des courbes de demande et d’offre

respectivement (figure 5.5) :

• un cycle à deux périodes avec des fluctuations auto-entretenues pour 𝑑 𝑏⁄ = 1 ,

• des oscillations amorties convergeant vers un état stationnaire

𝑝 = (𝑎 − 𝑐)⁄𝑏+𝑑) pour 𝑑 𝑏⁄ < 1 ,

• des oscillations explosives, divergentes pour 𝑑 𝑏⁄ > 1 .

Figure 5.5 : Régimes de fluctuation du Cobweb linéaire simple.

Fluctuations auto-entretenues

Fluctuations convergentes

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Du fait des conditions de productions décrites précédemment, il semble tout naturel que la pente de la courbe d’offre soit plus grande que celle de la demande sur les marchés agricoles ; ce qui fait du régime explosif la norme plutôt que l’exception.

Les critiques les plus courantes adressées au modèle concernent justement ce régime explosif car il implique une divergence perpétuelle qui peut déboucher sur des prix négatifs. Pour y remédier, Hooton (1950) et Akerman (1957) ont d’abord mis en avant l’existence de stockeurs spéculatifs pour soutenir l’argumentaire selon lequel, l’offre ne serait pas si inélastique qu’on le croît à court terme. Sur les anticipations des agriculteurs, Akerman (1957) note également qu’en fonction du prix anticipé, ils réajustaient peut-être leurs offres avec un certain décalage. Nerlove (1958) a formalisé cette idée en proposant une règle d’anticipation adaptative de la forme :

𝑝𝑡𝑚 =𝑝𝑡−1𝑚 +𝑤(𝑝𝑡−1− 𝑝𝑡−1𝑚 ), avec 0≤ 𝑤 ≤1

Elle signifie que les producteurs révisent leurs anticipations. Ils les corrigent en fonction de

l’erreur de prévision commise sur la période précedente avec un coefficient de pondération 𝑤;

on retrouve la règle précédente si 𝑤 = 1. Sous la règle d’anticipation adaptative les prix

convergent vers l’équilibre pour tout 𝑑 𝑏⁄ < 2⁄𝑤 −1 ; ce qui permet d’étendre

considérablement l’intervalle de stabilité, mais pas d’éliminer les conséquences des erreurs d’anticipations. Pour Muth (1961) ces erreurs systématiques impliquent que les agriculteurs n’ont pas accès à l’information présente, ce qui est incompatible avec les hypothèses fondamentales de la théorie économique. Il utilisa le modèle Cobweb pour illustrer l’intérêt d’adopter une règle d’anticipation rationnelle suivant laquelle, les agents économiques basent leurs décisions uniquement sur les informations du présent :

𝑝𝑡𝑚 = 𝐸𝑡−1[𝑝𝑡]

Sous l’hypothèse d’anticipations rationnelles, les agriculteurs disposent de toute l’information disponible et ont une connaissance complète de tous les facteurs significatifs du marché. La dynamique du système précédent déboucherait alors uniquement sur des

fluctuactions aléatoires autour d’un état stationnaire 𝑝donné par :

𝑝𝑡= 𝑝𝜀𝑏𝑡

Le marché est toujours en équilibre dans cette configuration et les fluctuations de prix dépendent uniquement de l’existence de facteurs aléatoires (chocs exogènes); ce qui remet totalement en cause l’existence de fluctuations endogènes générées par les dysfonctionnements du marché. Mais cette charge de Muth ne suffira pas pour éliminer le

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modèle Cobweb de la boite à outils des économistes. Le modèle reste encore aujourd’hui très populaire et cela pour deux raisons principales. La première tient du fait que le débat sur les véritables schémas d’anticipation des acteurs opérant sur les marchés agricoles est loin d’être tranché ; les données habituellement disponibles pour estimer ces schémas ne permettent en

effet pas de les identifier indépendamment des paramètres de comportement121. Nerlove &

Bessler (2001) considèrent ainsi que l’hypothèse d’anticipations rationnelles est le plus souvent posée car il n’y a pas d’autres hypothèses théoriquement acceptables quand on utilise un modèle de comportements agrégés. Mais pour Just & Rausser (2002), bien que l’hypothèse d’anticipations naïves ne soit pas correcte, celles-ci ne sont pas non plus rationnelles, en raison des coûts d’acquisition et de traitement de l’information. Une autre forme d’anticipations leur semble en fait plus en adéquation avec le comportement des agriculteurs et l’information dont ils disposent. Il s’agit des anticipations quasi rationnelles (Nerlove & Fornari, 1998), c’est-à-dire basées partiellement sur l’information passée.

Les extensions récentes du modèle Cobweb linéaire à la dynamique non-linéaire constituent sa seconde source de longévité. Alors que la dynamique du modèle linéaire standard ne permettait que trois régimes de fluctuations (cycle, convergence et divergence), l’introduction d’éléments non-linéaires va permettre de générer des dynamiques complexes potentiellement chaotiques. Ces extensions permettront également de répondre en partie aux critiques courantes du modèle standard.