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2. Système chaotique : concepts et implications pour la décision économique

2.3. Chaos : implications théorique et pratiques

Pour comprendre l'intérêt des systèmes chaotiques dans l’analyse des marchés de matières premières, il faut partir du paradigme qui a longtemps dominé l’analyse économique. Il s’agit

du paradigme de Frisch–Slutsky99

suivant lequel les fluctuations résulteraient de chocs aléatoires, exogènes, dont les effets sur les variables économiques seraient temporaires

99 Dans les années 1930, le premier (R. Frisch) établira clairement la distinction entre le mécanisme de propagation du cycle, conforme aux caractéristiques structurelles de l'économie et les impulsions qui sont des chocs aléatoires et qui décrivent les frictions qui empêchent l'économie d'atteindre sa position d'équilibre. Le (E. Slutsky) second démontrera que les cycles peuvent être entièrement causés par un cumul d'évènements contingents.

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(amorties). Les modèles retenus pour décrire ces fluctuations étaient alors tous linéaires pour refléter la façon dont devaient se propager les chocs au sein du système économique ; mais, ils ne permettaient pas d’expliquer leur caractère auto-entretenu. En l’absence de chocs exogènes, la dynamique du système ne pouvait ainsi suivre que quatre trajectoires possibles : non oscillatoire et stable (convergence monotone), non oscillatoire et instable, oscillatoire et stable (fluctuations amorties), oscillatoire et instable (fluctuations explosives). Or comme le soulignent Ladric & Mignon (2002), cette représentation linéaire de l’économie est insuffisante à plus d’un titre.

L’existence de fluctuations totalement amorties est par exemple irréaliste au vu de la fréquence des chocs intervenant sur les économies actuelles. L’existence de fluctuations explosives n’est pas non plus réaliste en raison de contraintes techniques ou institutionnelles affectant les variables. Un stock est par exemple nécessairement positif ; ce qui implique que les variables viendront buter contre des valeurs plancher et plafond. Des fluctuations dont l’amplitude ne cesserait d’augmenter ne peuvent donc être pertinents. De plus, on sait depuis Beaudry & Koop (1993) que les chocs défavorables sur la dynamique des variables économiques ont généralement des conséquences plus importantes et plus durables que les chocs favorables. Les modèles linéaires ne permettent évidemment pas de capter de tels phénomènes d’asymétries ; toutes choses qui ont rendu nécessaire le recours aux modèles non-linéaire. En dehors des difficultés qu’ils posaient pour l’analyse économétrique, ceux-ci offraient en effet toute la flexibilité nécessaire pour reproduire les interactions en œuvre dans

les variables économiques100

.

Dans les études empiriques le recours aux modèles non-linéaires a d’abord consisté à chercher des extensions aux dynamiques linéaires existantes (ARMA pour l’essentiel). Le développement des processus bilinéaires, des modèles à seuil, des modèles de type ARCH ou encore des processus à mémoire longue participe de ce mouvement. D’ailleurs, ces modèles connaissent encore aujourd’hui des succès importants dans leurs applications en finance, en économie et corrigent assez bien certaines insuffisances des modèles linéaires (la symétrie notamment). Toutefois, la présence de fluctuations et leur persistance dans le temps restent dans ces modèles, uniquement attribuée à la survenue de manière aléatoire de chocs exogènes.

100Selon Dam (1998) la linéarité n’est qu’une vision, une hypothèse approchée et simplifiée d’une réalité où

finalement tout ne semble exister que grâce aux interactions. Dans le mouvement linéaire, c’est la simplicité, alors que la non-linéarité est synonyme de complexité ; dans l’analyse linéaire, le comportement du tout est égal à celui de somme des parties ; dans celle non-linéaire les comportements collectifs sont différents de ceux des parties individuelles…

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Une explication insuffisante à bien des égards et qui a nourrit la recherche par de nombreux économistes, de processus non-linéaires capables de produire des oscillations auto-entretenues. L’idée d’une possible présence de processus chaotique dans les variables économiques est donc tombée comme un coup de main inattendu pour relancer la recherche dans ce sens. Dans les systèmes chaotiques, il n’y a en effet, nul besoin de chocs, ou de perturbations extérieures pour avoir des oscillations car c’est du fonctionnement même de celui-ci que naissent les fluctuations constatées. En plus d’être capable de reproduire les principales caractéristiques des séries réelles (asymétrie par exemple), ces systèmes pourraient donc permettre de réhabiliter l'idée du caractère fondamentalement endogène des fluctuations conjoncturelles. En pratique, des actions publiques correctrices allant dans le sens d'une modification de l'environnement institutionnel dans lequel évoluent les agents économiques ne seraient alors plus à exclure.

Mais encore fallait-il démontrer, sur le plan théorique, l’efficacité de telles actions. Or contre toute attente, la propriété de sensibilité aux conditions initiales des systèmes chaotiques le permet. On comprend dès lors tout l’intérêt d’une mise en évidence de processus chaotique sur les marchés de matières. L’intérêt réside tout d’abord dans la simplicité des équations qui régissent les systèmes chaotiques et cela malgré la complexité des trajectoires qu’ils sont capables de produire. Le détail est important car la recherche de modèles d’analyses et de prévisions performantes peut conduire à des modélisations structurelles complexes incorporant toujours plus de facteurs. Étant donné les nombreux facteurs nationaux et internationaux susceptibles d’affecter les prix des matières premières, des informations précises sur ces facteurs feraient cruellement défaut, rendant impossible une modélisation

structurelle précise des variables (Chatrath & al. 2002). Les modèles chaotiques pourraient

alors offrir une certaine latitude pour une caractérisation de la dynamique des marchés en utilisant simplement les séries chronologiques de prix. Ces modèles sont de plus déterministes. Ils sont par conséquent prévisibles, même si les échéances (horizons) de

fiabilité peuvent être réduites du fait de la propriété de sensibilité aux conditions initiales101.

Ces modèles permettent enfin d’illustrer les possibilités d’actions efficaces en présence d’une instabilité de nature endogène.

En effet, alors qu’à première vue, la propriété de sensibilité aux conditions initiales pouvait donner du chaos l’image d’un processus indésirable, elle en fait contre toute attente un outil intéressant car elle rime aussi avec possibilités de contrôle. Cela transparaît notamment à

101

Il n’en demeure pas moins vrai que par leurs applications en météorologie, ces modèles ont d’ores et déjà révolutionné les méthodes de prévisions, avec des échéances de fiabilité plus en plus importantes.

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l’examen d’une autre propriété moins bien connue des systèmes chaotique : l’ergodicité102

sur attracteur. Alors que dans un attracteur chaotique sont imbriquées une infinité de trajectoires

instables, l’ergodicité signifie qu’une trajectoire issue d’un point typique de l’attracteur passe,

si l’on attend suffisamment longtemps, arbitrairement près de tout point de l’attracteur, y

compris du point de départ (Lefranc & al. 1997). Une conséquence intéressante de cette

propriété est que les dynamiques chaotiques peuvent être appréhendées à travers une succession de sauts irréguliers sur différentes orbites périodiques. En théorie, une des idées du contrôle du chaos consiste alors, quand on approche de manière ergodique une orbite périodique, à appliquer de petites perturbations qui auront pour effet de nous déplacer sur celle-ci. Par le choix judicieux d'une telle perturbation on peut en principe modifier la trajectoire sur l'attracteur à chaque fois que l'on désire, afin de produire l’état dynamique souhaité.

La sensibilité aux conditions initiales, propriété qui rend les systèmes chaotiques

imprévisibles à long terme se trouve alors être finalement un atout du fait de l’ergodicité ; le

comportement du système pouvant être modifié à l'aide de petites perturbations. Toute la délicatesse de la démarche réside toutefois dans le choix de la perturbation. En pratique, cela signifie qu’il faudrait tout d’abord prouver l’existence du chaos dans le système économique étudié ; et ensuite d’identifier précisément les facteurs et mécanismes en œuvre. Dans les sections qui suivent, nous présenterons puis illustrerons les différentes méthodes permettant de mettre en évidence le chaos dans les variables économiques. La question des facteurs et mécanismes susceptibles d’expliquer l’existence de processus chaotiques sur les marchés de matières premières sera quant à elle examinée dans le chapitre suivant.