• Aucun résultat trouvé

3. Les évolutions du débat théorique et de la confrontation politique autour de la DTE

3.2. DTE et division coloniale du travail

également noter que la première explication met plus l’accent sur les caractéristiques des produits. Elle n’est ainsi valable que pour les produits de base (ou plus généralement pour l’ensemble des produits dont l’élasticité revenu de la demande est faible) ; tandis que la seconde explication porte davantage sur les conditions et lieux de production, en écho à la

question plus large des termes de l’échange des pays initiée par l’approche « marxiste15» du

sous-développement par exemple.

Avec le recul nécessaire, on peut ainsi voir dans le débat théorique sur la validité de la DTE, une évolution parallèle des deux interprétations, avec une mise en avant plus importante de l’une ou de l’autre selon les périodes. Ocampo & Parra (2003, 2010) qui défendent également cette approche distinguent deux phases dans l’évolution du débat. La première s’étend sur les années 1950 et 1960 avec, y compris parmi les soutiens et les critiques, une focalisation sur la nature des produits. La seconde qui s’ouvre dans les années 1970 dans un contexte marqué par la radicalisation des rapports Nord-Sud va consacrer la mise en avant de la deuxième interprétation : la DTE s’explique par la faible capacité de négociation (pouvoir de marché) des pays du Sud, dans leurs relations avec le Nord.

3.2. DTE et division coloniale du travail

Les termes de l’échange des PED se dégradent-ils du fait de leur spécialisation primaire ? Et si oui comment inverser cette tendance ? Dans sa première phase le débat sur les termes de l’échange porte clairement sur la nature des produits échangés. A l’image des travaux de Johnson (1953, 1954), Lewis (1955), Myrdal (1956, 1957), Nurkse (1959, 1967) ou encore Kaldor (1963), la littérature néoclassique et keynésienne des années 1950 et 1960 adopte ainsi les écarts d’élasticité comme principale grille pour analyser la thèse soumise par Prebisch et Singer. L’idée au cœur des stratégies d’ISI est par exemple que la mise en œuvre de remontée de filière basée sur la production de biens manufacturés (d’élasticité- revenu élevée) dans les pays de la périphérie modifierait l’évolution des termes de l’échange. Les travaux de Johnson et Nurkse portent notamment sur les liens entre élasticité – prix de la demande, termes de l’échange et croissance économique ; tandis que ceux de Myrdal faisaient valoir que la spécialisation primaire de la périphérie relevait plus de l’histoire du commerce colonial que d’un véritable avantage comparatif recommanderont l’application de politiques vigoureuses d'industrialisation avec suspension du libre jeu des forces du marché international. Pour

15

Selon l’approche marxiste, la principale cause du sous-développement contemporain est le transfert du surplus économique des pays pauvres vers les pays riches. Ce surplus est transféré sous forme de rapatriement des bénéfices des investissements, du service de la dette, de la détérioration des termes de l’échange, de la fuite des capitaux d’origine locale, dont les détenteurs sont des capitalistes « sous-traitants » des intérêts du Nord dans leurs pays.

39

certains l’hypothèse P-S deviendra ainsi la thèse Prebisch-Singer-Myrdal du développement autarcique ou de l’industrialisation autocentré (Sarkar 2001). Une bonne partie de la controverse née autour de l’hypothèse P-S porte justement sur cette interprétation. Deux formes d’argumentaires sont opposés à l’hypothèse P-S sur cette période ; l'une consistait à nier le déclin séculaire en pointant le caractère trompeur des statistiques, l'autre admettra plus ou moins l’existence d’une détérioration tout en rejetant les interprétations et donc les recommandations de politique économique faites par Prebisch et Singer. Des auteurs comme Mikesell (1954), Aubrey (1955) ou Ellsworth (1956), considéraient ainsi qu’il était analytiquement injustifié de parler de dégradation des termes de l’échange.

Ellsworth soutiendra notamment que si un déclin relatif a pu effectivement être observé sur la période 1976 – 1913, ce déclin n’était qu’apparent car imputable à la baisse significative des coûts du transport (ferroviaire et maritime). S’il reconnaît tout de même l’existence d’un réel déclin entre 1913 et 1933 et qu’il imputera selon les cas à la rigidité à la baisse des salaires du secteur industriel, à l’évolution technologique ou à la découverte de produits synthétiques, rien ne justifiait à ses yeux la persistance de ce déclin. Ellsworth s’opposera donc à l’idée de l’industrialisation comme solution contre un déclin inexistant, rejoignant du même coup, la longue liste d’auteurs dressée par Toye & Toye (2004) et en tête de laquelle se trouve Jacob Viner. A l’image de Haberler (1959, 1961), ou Morgan (1957), Viner (1952) ne niaient pas vraiment l’existence d’une dégradation des termes de l’échange. Ces auteurs rejetaient par contre le caractère systématique de la T-P-S, préférant se référer à un mouvement cyclique des termes de l’échange des matières premières. Ils considéraient ainsi que même si une dégradation existait, le phénomène était susceptible d’évoluer et d’être compensé par d’autres facteurs favorables tels que l’accroissement du volume des échanges, la baisse des coûts réels des exportations. Meier & Baldwin (1957), abondant dans le même sens, pointeront également du doigt les propres relations internes des pays de la périphérie. Les termes de l’échange des produits primaires s’amélioraient selon eux dans les périodes de prospérité, mais comme les pays pauvres connaissaient généralement une inflation considérable au cours de ces périodes, cela conduisait à une mauvaise affectation des investissements nationaux et à de graves problèmes de balances des paiements.

40

Tableau 2.1 : Positions et arguments de différents auteurs sur l’évolution des termes de l’échange.

Positions

Arguments

Auteurs

Augmentation des Termes de l’Échange (ATE)

Rendement d’échelle croissant dans l’agriculture et dans

les industries extractives

Régulière augmentation de l’offre de produits

manufacturés (progrès techniques) + limite à celle des produits primaires (rareté naturelle)

Ricardo, Malthus, Torrens, Mill, Jevons, Marshall, Keynes, Aubrey Lewis (1952) ;

Détérioration (cyclique/apparente) des Termes de l’Échange

La baisse n’est qu’apparente car imputable à la baisse

significative des coûts du transport.

Les baisses sont ponctuelles et généralement

compensées par des hausses.

Mikesell (1954) Ellsworth (1956),

Viner (1952) ; Haberler (1959, 1961), Morgan (1959),

Meier & Baldwin (1957) Détérioration (systématique) des Termes de l’Échange (DTE)

Du côté de l’offre

o Accroissement des salaires des ouvriers syndiqués

dans les PD ; fixation monopolistique des prix.

o Les salaires et revenus des secteurs d’exportation

des PED demeurent stables en raison de l’offre illimitée de la main d’œuvre.

o Manque de flexibilité pour un ajustement

économique dans les PD ; rigidité structurelle dans l’industrie primaire

Du côté de la demande

o Baisse de la demande dans les PDEM en raison des

progrès technologiques permettant d’incorporer des substituts artificiels à la place des intrants de base.

o Le protectionnisme des PDEM qui réduit les

importations en provenance des PED.

o La loi d’Engel (l’élasticité de la demande

alimentaire par rapport au revenu décroît proportionnellement à l’accroissement des revenus)

Prebisch (1950) ; Singer (1950) ; Myrdal (1956, 1957) ; Kaldor (1963) Lewis (1954), Prebisch (1950) Kindelberger (1956); Myrdal (1956, 1957) Bernstein (1960), Singer (1950), Kaldor (1963); CNUCED (1982) Prebisch (1964), CNUCED (1982) Kindelberger (1943, 1950); Prebisch (1964), Shultz (1961), Nurkse (1959), Porter (1970)

41

Pour ces auteurs, l’industrialisation et les changements structurels dans les activités d’import-export ne pouvaient par conséquence pas constituer une solution. Viner, rejetant l’argument de Prebisch d’un progrès technique qui serait plus rapide dans l'industrie que dans l’agriculture, considérait notamment qu’il était mieux pour les PED de suivre une politique de développement agricole plutôt qu’une politique d’industrialisation subventionnée. Cela n’empêchera toutefois pas de nombreux pays d'Amérique latine d’emprunter le chemin de l’industrialisation autocentrée (ISI) tracé par la CEPAL. Indépendamment de l’implication politique de l'hypothèse P-S beaucoup d'autres pays comme l'Inde ont également suivi ce chemin, guidés par le nationalisme économique.