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Le marché est le moment le plus important de la vie d’un produit de base, mais il est aussi le plus bref car il existe généralement en amont et en aval, une filière de production, de transformation et de commercialisation qui évolue sur une dimension nationale et internationale. Pour comprendre le fonctionnement des marchés, il faut donc adopter une

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vision globale qui passe par la caractérisation de la filière internationale du produit ou de sa chaîne mondiale de valeur.

La notion de filière

Rappelons que l’approche globale de type filière de produit est née dans les années 1970 au sein de l'École française d'économie industrielle et s’est notamment incarnée dans les travaux de Malsot (1980), Chalmin (1980, 1984), Morvan (1985) ou Lesage (1985). En termes généraux, la filière d’un bien est constituée par une succession d’étapes qui le conduit de sa production jusqu’à sa mise à la disposition des utilisateurs consommateurs. Lesage (1985) parle ainsi de passage obligé et orienté vers l'utilisation d'une ressource ou d'un produit donné pour la satisfaction d'une demande, tandis que chez Chalmin (1980) l’intérêt va plus

aux acteurs qu’aux étapes. Filière peut ainsi être entendu au sens de « ensembles des

intervenants, des opérateurs concernés par la vie d’un produit de la phase de production à la

phase ultime de consommation ». Mais ainsi que nous le verrons dans la suite (chapitre 3), les

approches plus modernes de type chaîne de valeur mondiale sont une sorte de synthèse de ces deux définitions.

La notion de chaîne globale (ou mondiale)

Contrairement à l’approche filière, a-théorique a priori et renvoyant avant tout aux formes d’intégration et de recomposition des agents dans l’économie nationale, l’approche chaîne globale (ou chaîne mondiale) est un outil séquentiel consistant en une décomposition de la structure internationale de production, commercialisation et consommation de produits entre les différents acteurs la constituant. C’est Hopkins & Wallerstein qui dès 1977 en ont esquissé

la première définition : « Prenez un bien de consommation final et retracez l’ensemble des

entrants qui ont abouti à ce bien – les transformations antérieures, les matières premières, les moyens de transport, la part de travail incorporée dans ces processus matériels, la nourriture consommée par cette force de travail. Nous appelons chaîne de commodité cet ensemble de processus reliés. Si le bien final était, par exemple, un vêtement, la chaîne inclurait la fabrication du tissu, le fil, etc., la culture du coton, ainsi que la reproduction de la force de

travail impliquée dans ces activités productives » (Hopkins & Wallerstein, 1977 p. 128). Les

deux auteurs s’attachaient alors à différencier leur compréhension de la dimension territoriale du capitalisme par rapport à l’approche orthodoxe de la globalisation.

Marché d’une matière première

La plupart des matières premières font aujourd’hui l’objet d’un échange sur les marchés internationaux. En raison de l’existence d’accords de livraison à long terme entre pays ou

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entre firmes (transferts décidés administrativement), d’une consommation importante du produit à l’intérieur même des pays où il est produit, on peut se retrouver avec un marché international très résiduel. Mais dans tous les cas, le marché est généralement défini par le produit et ce sont les caractéristiques de ce dernier qui guident son fonctionnement. Les conditions de sa production, le degré d’intégration des différentes étapes, l’état du système monétaire international et du marché du fret ainsi que les possibilités de spéculation (liquidité) sont également à prendre en compte. La commercialisation d’une matière première présente souvent deux dimensions : nationale et internationale. La dimension nationale peut faire intervenir un producteur (cultivateur, planteur, entreprise), des intermédiaires (qui collectent, regroupent et transportent) et l’exportateur. Ainsi, il existe une différence entre le prix de vente à l’exportation et le prix effectivement reçu par l’agent producteur. Par conséquent, le lien entre prix international et volume de production (national) n’est pas toujours direct. C’est pourtant l’hypothèse implicite que nous ferons, en plus de celle d’existence d’un « prix unique ». La dimension internationale peut en effet faire intervenir l’hétérogénéité du produit de base. Celui-ci recouvre généralement de nombreuses catégories, pour diverses raisons : caractéristiques naturelles (café arabica et robusta), différence de qualité, d’origine… La prise en compte de ces différences dans les transactions commerciales se traduit par une multiplicité des prix pratiqués qui pose alors la question du lien entre les niveaux et les évolutions de ces différents prix.

Prix de référence d’une matière première.

Du fait de l’hétérogénéité des produits, le marché international d’une matière première peut être fortement segmenté. Mais en réalité pour une même famille de produit, il existe une qualité référence donc un prix de référence autour duquel les prix des autres qualités s’alignent, intégrant des « primes », positives ou négatives. Les autres prix lui sont liés de façon d’autant plus forte que le marché mondial n’est pas cloisonné. Ce prix se forme selon diverses modalités qui sont fonction, pour l’essentiel, de la nature des produits et des structures de commercialisation. Schématiquement trois formes de structure de commercialisation existent :

• Le marché physique, effectif ou fait de relations directes.

• Les bourses et leurs marchés à terme ; non physiques mais doublés de marché plus ou

moins matérialisés par des lieux de production, d’importation ou de consommation.

• le marché de firme : possible quand un petit nombre de producteurs détient une part de

marché important et fixe leurs prix, contraignant les autres à s’aligner – le marché des diamants en est un des derniers exemples.

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Pour les grandes matières premières, des marchés physiques d’importance mondiale ont existé dans l’histoire : la bourse du coton de Liverpool, fondée en 1842, par exemple. Aujourd’hui, sauf exception, les marchés boursiers sont désormais des réseaux dont les nœuds sont les sièges et les agences locales des grands négociants, producteurs et consommateurs (La Cotton Outlook par exemple). Alors que seulement 1 à 5% du commerce international des produits agricoles, moins de 10% de celui des produits miniers passe par ces réseaux, les cours qui y sont déterminés servent de référence pour le commerce international des matières premières concernées. Les séries sur lesquels nous travaillerons sont constituées de tels prix ; et on pourrait se demander s’ils sont vraiment représentatifs de la situation du marché international. Il faudra alors se référer aux arguments apportés dans ce sens par des auteurs comme Calabre (1990) qui confèrent aux marchés boursiers, un rôle d’ajustement à la marge du marché international. On peut considérer en effet que c’est sur ces marchés que les producteurs essaient d’écouler les excédents qu’ils n’ont pas vendus par contrats directs et que les utilisateurs y ont également recours pour compléter leurs approvisionnements. Les marchés boursiers reflètent ainsi les tensions du marché international (excédent ou pénurie) et traduisent l’évolution du rapport entre production et consommation mondiales du produit. Leur caractère marginal peut toutefois conduire les cours à réagir excessivement aux écarts entre production et consommation du produit ; et le rôle de la spéculation qui progressivement s’est accrue avec la financiarisation (voir encadré 1.1) rend plus que légitime le questionnement sur la représentativité des prix des cours de références.

Encadré 1.1 : Les matières premières sous l’emprise de la financiarisation.

La financiarisation de différents secteurs de l’économie réelle est le processus par lequel les investisseurs institutionnels, collecteurs d’épargne longue, mais aussi les hedge funds ou les fonds de private equity, diversifient leurs portefeuilles d’actifs. En sus des placements standards que sont les actions et les obligations, ils ont investi dans les années 2000 des actifs dits alternatifs : immobilier, infrastructures, matières premières. Il s’agit d’une démarche purement financière qui consiste à acquérir des titres financiers adossés à ces actifs réels. Les investisseurs institutionnels ont été poussés à pénétrer ces classes d’actifs pour accroître le rendement total de l’épargne qu’ils ont la responsabilité de faire fructifier et pour mieux diversifier le risque porté par leurs portefeuilles. Ils ont été particulièrement motivés à engager cette stratégie au début des années 2000 à cause des mauvaises performances des actifs traditionnels ; les taux d’intérêt à long terme étaient très bas et les bourses subissaient le contrecoup de l’éclatement de la bulle des valeurs technologiques. En 2008 par exemple, les investisseurs avaient placé près 200 milliards de dollars sur des instruments financiers de matières premières qui n’existaient pratiquement pas en 2004. Environ 15 % de cette somme était investis sur des produits agricoles, céréales, soja, sucre, café, cacao, coton ou encore bovins et porcins (Cordier & Gohin, 2011).

Selon Aglietta & Emlinger (2011), pour prendre position sur les marchés de matières premières, les investisseurs ont trois possibilités :

ils peuvent acheter et vendre des contrats à terme sur les marchés dérivés. Ces marchés ont pour principal avantage d’être liquides, mais ce sont des marchés de spécialistes, pas des marchés boursiers ouverts à tous les investisseurs ;

ils peuvent également détenir des actions des entreprises productrices. Celles-ci sont négociables sur toutes les grandes places boursières, mais leurs cours ne retracent pas

25 étroitement les prix des matières premières ;

ils peuvent, enfin, acquérir des parts d’indices ETC (Exchange Traded Commodities) qui offrent une exposition directe sur des marchés de type boursier en reproduisant l’évolution du prix d’un panier de matières premières.

C’est cette dernière possibilité qui a aujourd’hui la faveur des investisseurs. Les ETC, produits de l’innovation financière, sont des véhicules d’investissement très liquides, négociables avec des coûts de transaction très bas et qui donnent une large représentation de différentes matières premières provenant de différentes régions du monde. Pour Cordier & Gohin (2011), cet avantage doit cependant être rapporté aux objectifs visés par les instruments respectifs et aux services proposés pour chercher à les atteindre. Les fournisseurs (sponsors) de ces instruments financiers achètent en effet des contrats à terme dont ils tentent de répliquer les performances sous formes d’indices vendus aux investisseurs. A l’instar des véhicules de titrisation des crédits subprime, ces instruments peuvent ainsi porter des risques financiers que les investisseurs ignorent.

Aglietta & Emlinger (2011) le soulignent à juste titre, bien que le sous-jacent des indices soit constitué de produits physiques, les sponsors n’opèrent pas sur le marché physique. Ils revendent les contrats à terme avant l’échéance et renouvellent leur position en achetant l’échéance suivante ; c’est la technique dite de roll over des positions longues. Ces positions sur les marchés à terme sont donc sans lien avec l’équilibre de l’offre et de la demande sur les marchés physiques ; c’est la raison pour laquelle elles peuvent perturber la relation existant entre les marchés au comptant et les marchés à terme.