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Le régime socialiste et la « congolisation » progressive de l’enseignement

3. La technicisation de l’enseignement et la production des compétences qualifiées du développement développement

3.3. Le rôle de l’INRAP dans la réalisation des objectifs de la construction étatique

Se proposer de traiter du rôle de l’INRAP dans la réalisation des idées de progrès socio-économique437 au sein du système éducatif congolais, c’est d’abord accepter de revenir sur le contexte historique de sa création, les modalités de son fonctionnement ainsi que le rôle qui lui a été assigné par les pouvoirs publics. Parlant de son statut, l’INRAP est un établissement public dépendant du Ministère de l’Enseignement Secondaire et Supérieur. Rattaché à la Commission Nationale de l’Ecole du Peuple près le Secrétariat du Comité Central du P.C.T à l’Education par décret n°75-303 du Premier Ministre le 24 juin 1976, il constitue un support

434 Ancien enseignant, il rallia le pouvoir de Marien Ngouabi et fut, en 1975, membre de l’Etat Major Spécial Révolutionnaire (E.M.S.R). En 1977, il occupa le poste de Secrétaire du Parti chargé de la Presse et Propagande jusqu’à la fin du Comité Militaire du Parti (C.M.P).

435 Le mi-temps manuel- intellectuel donne de meilleurs résultats que le plein temps intellectuel. Il présente en outre l’avantage de rentabiliser l’enseignement (la production sert à la consommation des élèves, à l’équipement de l’école en tables et chaises ou même vendue contribue à son financement). Enfin, et ce n’est pas le moins important, il aide à la socialisation du groupe, permet une autogestion de la coopérative scolaire à travers la coopération du maître, des parents et des élèves » (Mbongi, p.66). Voir aussi : Ngombé (J.-P.), « Régime mi-étude mi travail à l’Ecole. Directives pour la rentrée scolaire 1976-1977 », in Revue Mensuelle Ecole du Peuple.

436 Il semble important ici de noter que les journées d’émulation étaient organisées à cet effet dans le but de récompenser les élèves qui auraient bien travaillé et afin de pousser à l’effort ceux qui éprouvaient des difficultés au plan académique. La première journée nationale d’émulation a été organisée le 5 novembre 1980. Cette organisation obéissait au mot d’ordre « Une école, un champ » lancé par Denis Sassou Nguesso au cours du premier trimestre de l’année scolaire 1979-1980.

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Au plan administratif, il est important de rappeler que le service des activités productives au sein de l’INRAP a été crée en 1977. Son champ d’action s’était élargi avec l’organisation des stages de recyclage pour les enseignants du pré - scolaire, la production des fiches techniques aux écoles pilotes ouvertes dans toutes les régions du Congo au cours de l’année susmentionnée, suivi des expériences menées dans le cadre de ces écoles expérimentales.

essentiel pour l’élévation du niveau de vie des populations rurales, tant les missions qui lui avaient été confiées cadrent bien avec les objectifs du développement en milieu rural.

Sur le plan organisationnel, le Directeur de l’INRAP est nommé par décret pris en Conseil des Ministres sur proposition du Ministre de l’Enseignement Secondaire et Supérieur. Exception faite des services administratifs et des bureaux d’études, cette institution se subdivise en sept services, notamment le service des programmes, de matériel didactique, de l’audiovisuel, de langues nationales, des activités productives438 (qui intéressent le présent chapitre), d’évaluation et d’orientation et le service d’éditions scolaires. Cependant, l’histoire de l’INRAP est à rattacher à celle plus ancienne du Centre de Documentation Pédagogique (C.D.P) crée à Brazzaville en 1955 qui à l’origine n’était qu’une cellule de l’Inspection de l’Académie chargée de la supervision des œuvres scolaires. A partir de l’année 1962-1963, le C.D.P a été transformé en Centre National de Documentation et de Recherche Pédagogiques (CNDRP), dont l’organisation avait été confiée à Meunier, consultant à l’Unesco.

La mission dévolue à cette nouvelle institution était de « (…) mettre à la disposition des fonctionnaires et des cadres de l’enseignement officiel et privé les moyens de connaissance et de perfectionnement nécessaires dans le domaine pédagogique et administratif »439. A la demande de la France, et ce à partir de l’année 1969-1970, le CNDRP a été transformé en Centre National de Recherche et d’Action Pédagogique (C.N.R.A.P) à l’image des centres d’autres pays tels que le Cameroun, la Côte d’Ivoire et le Togo. Tous ces Centres étaient dirigés par les experts français. La disparition du terme de « documentation » sous-entend que le C.N.D.R.P se consacrait plus à l’activité de recherche qu’à la conservation des documents ou des archives. Cette mission se précisa plus clairement en 1963 à la suite de l’expérience malheureuse de la télévision scolaire et, partant, en 1969440 de l’échec de la Radio éducative dite encore « bain sonore ». C’est dans ce contexte que ce Centre avait entrepris des recherches consistant à mesurer l’efficacité des méthodes d’enseignement à distance ainsi que

438 Il est important de rappeler que ce service a la mission particulière de suivre les expériences pédagogiques menées au sein de toutes les régions du Congo. Il est aussi chargé de la transformation des structures éducatives ayant fait l’objet d’une étude approfondie sur le terrain, ainsi que du développement de la coopération avec les institutions internationales et certains pays amis en vue d’échanges dans ce sens.

439 Cf. Ministère de l’Education Nationale (République Populaire Du Congo), Historique de l’Institut National

de Recherche et d’Action Pédagogiques, Brazzaville, Imprimerie Nationale, 1977, p.19.

440 Cf. Richard (J.), « Un système de radio - éducative en République Populaire du Congo », in Recherche,

celle des supports pédagogiques. Ces recherches visaient la réalisation de nouvelles brochures pour la réviviscence des émissions radiotélévisées.

Pendant l’année 1970-1971, le Congo avait bénéficié d’une aide accordée par l’Unesco. Ce qui avait permis aux gouvernants de créer une structure autonome et moins dépendante de la France, à savoir l’Institut Pédagogique National (I.P.N) qui fut placé cette fois-ci sous l’autorité d’un Congolais, Jean-Blaise Albert Kololo. Jusqu’à cette époque, les Centres de recherche pédagogique demeuraient toujours liés au Ministère de l’Enseignement Primaire et Secondaire. Cependant, dans le but d’acquérir son autonomie, l’I.P.N a été transformé en Direction de Recherche et d’Action Pédagogique (D.R.A.P) qui, par la suite, avait cessé de fonctionner au terme du décret n°72-87 du 10 mars 1972 portant en même temps création de l’Institut National de Recherche et d’Action Pédagogiques (INRAP). Alors quel rôle joue véritablement l’INRAP dans cette dynamique de recherche de voies et moyens de développement socio-économique de la nation congolaise?

Au regard des analyses réalisées ci-dessus, il est à retenir que cette nouvelle institution a pour missions essentielles441 de répondre aux nécessités de la formation, de la promotion ainsi que de la vulgarisation des outils pédagogiques de développement des connaissances scientifiques dans le domaine de l’enseignement au Congo. Par ailleurs, il semble également important de souligner que cette institution est la seule autorisée à produire442 des livres et autres matériels pédagogiques et didactiques destinés à l’enseignement primaire au Congo. Le rôle de l’INRAP est donc de traduire concrètement les décisions prises par les instances politiques dirigeantes à partir des programmes scolaires, la promotion et de la vulgarisation des outils pédagogiques qu’il élabore.

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Cf. Ministère de l’Education Nationale (Rép. Pop. Du Congo), Historique de l’Institut National d’Action

Pédagogique, p.25. Le Parti et l’Etat lui avaient assigné en tout neuf tâches.

442 L’article 3 de l’arrêté n°8206 du 19 octobre 1977 stipule : «Toute production, édition, publication, vente et distribution des manuels scolaires et matériel pédagogique par un service autre que l’INRAP est interdite » en République Populaire du Congo.

En conclusion, avec l’accession de leur pays à l’indépendance, les dirigeants politiques congolais avaient décidé de restructurer tous les secteurs sociaux de production de manière à enclencher une véritable dynamique de développement. Pour ce qui concerne le domaine de l’enseignement, beaucoup de réformes avaient été initiées dans le but d’adapter la formation des compétences aux réalités locales, notamment la réforme instituant l’« Ecole du Peuple ». Cette réforme ambitieuse par son contenu devait faire du système éducatif congolais un véritable moteur du développement social, économique et politique c’est-à-dire un grand laboratoire d’expérience au service des idées progressistes. De ce fait, l’école congolaise devait s’inscrire dans la ligne politique du socialisme scientifique définie par le Parti - Etat qui était de savoir servir comme instrument de formation des masses laborieuses tournées vers le développement de leur pays. Elle devait donc permettre d’élever le niveau d’instruction des populations en insistant sur l’apprentissage des connaissances pratiques en relation immédiate avec les réalités du terroir.

Cette recherche a, non seulement permis de comprendre les caractéristiques du milieu rural congolais, les faiblesses du développement liées à son état d’enclavement, mais également les possibilités de mettre en place un système d’enseignement de manière à former les compétences capables de soutenir ce développement. D’où l’idée d’un enseignement socialement intégré se caractérisant par l’introduction au sein des programmes scolaires des activités comme le travail productif. Le mot d’ordre « Une école, un champ » qui a fait l’objet d’une analyse dans ce chapitre a permis de comprendre l’élan de changement social qui a été impulsé par les autorités marxistes-léninistes congolais.

L’« Ecole du Peuple », dont l’un des objectifs majeurs était de former les citoyens de type nouveau, devait permettre de soutenir le développement économique du Congo de manière à réduire sa dépendance extérieure. D’où l’idée de la création des écoles de métiers devant former les « cadres rouges » et « experts » de la nation, c’est-à-dire des cadres techniques capables de soutenir la Révolution socialiste et de promouvoir la politique de modernisation rurale pour le bien des masses populaires. Cependant, ces réformes ne pouvaient réussir qu’à la condition de promouvoir l’enseignement des langues véhiculaires locales comme support de ce progrès. La mise en place de la réforme « Ecole du Peuple » nécessitait donc au préalable un grand travail d’étude sur les langues du moment que, pour les marxistes, la langue constitue un moyen par lequel la bourgeoisie capitaliste véhicule ses

idées de domination. Dans le cas présent, il fallait aboutir au choix du lingala ou du munukutuba, soit des deux à la fois comme moyen de vulgarisation des réformes auprès des populations. L’enseignement de ces langues devait également constituer un enjeu important pour la formation de la conscience nationale tant est vrai que, pour les pouvoirs publics, la prééminence de l’enseignement de la langue française dans les écoles congolaises constituait encore la preuve de la dépendance culturelle du Congo par rapport à l’ancienne métropole.

Toutefois, au-delà de cette dynamique de transformation globale, la présente étude a également essayé de démontrer les difficultés rencontrées par les pouvoirs publics pour mettre en œuvre la réforme radicale du système éducatif. Plusieurs facteurs avaient constitué autant de forces d’inertie à la réalisation du projet « École du Peuple ». D’abord, au plan financier, il faut dire que ce projet nécessitait d’énormes moyens. Or, il a été dit tout au long de ce chapitre que l’État congolais ne pouvait pas financer ce projet. Au plan organisationnel, le projet « École du Peuple » manquait un cadre juridique approprié. Au plan pédagogique, sa mise en œuvre n’a pas été précédée par une volonté politique de formation des enseignants dans les domaines typiquement techniques, ainsi que la création de structures viables du développement au plan national. En dernière analyse, il faut reconnaître que le projet de réforme de l’enseignement était une idée noble. Seulement, il était trop ambitieux pour être réalisable dans le court terme.

Cinquième chapitre : L’enjeu éducatif des langues véhiculaires et la promotion des cultures nationales au Congo

En dépit des controverses443 suscitées au sujet de l’intégration des langues africaines dans des projets socio-éducatifs visant la construction des Etats, on ne peut nier que des progrès réels aient été enregistrés. De nos jours, rares sont encore les pays africains qui, d’une manière ou d’une autre et à un moment donné de leur histoire, n’aient eu à inscrire la question linguistique à l’ordre du jour de leurs préoccupations politiques concernant l’enseignement. Cette prise de conscience générale n’est pas liée à une fatalité de l’histoire et ne concerne pas uniquement la convergence des volontés politiques, puisque l’évolution des connaissances en linguistique appliquée, les multiples acquis de la didactique des langues et, surtout, la psychologie appliquée à l’éducation ont mis en exergue le rôle des langues endogènes dans la dynamique de construction nationale.

Toutefois, les modèles d’analyse choisis pour aborder ce problème, les moyens mis en jeu ainsi que les rythmes d’évolution possibles de ces réformes ont été différents d’un pays à un autre. Si, dans certains Etats l’introduction des langues véhiculaires dans les programmes scolaires avait été décidée avant l’octroi des indépendances (c’est le cas de la Guinée de Sékou Touré) ou après (comme en Tanzanie, à Madagascar, en Somalie, au Rwanda et au Burundi) il reste que d’autres Etats comme le Mali, le Sénégal et le Zaïre étaient confrontés à un véritable problème de choix à cause du caractère multilingue de leurs sociétés. Pour ce qui concerne le Congo cette question est d’apparition récente (l’analyse des dispositions linguistiques des constitutions congolaises le démontrera en profondeur).

En fait, la question des choix de langues se recoupe avec celle de leur enseignement. Ces choix qui se ramènent à un seul demeurent très souvent hypothétiques. Subordonnés au

443 La question de l’insertion des langues locales africaines dans les systèmes nationaux d’enseignement avait déjà fait l’objet des débats à l’occasion de bien de rencontres d’experts. Le livre publié sous le titre Langues et

politiques de langues en Afrique noire : l’expérience de l’Unesco (édité par Alfâ Ibrahim Sow, Paris, Nubia,

1977, 476 pages), rend bien compte des recherches effectuées dans le but de cerner les aspects pratiques et opérationnels des problèmes linguistiques et culturels qui se posent aux différents Etats africains. Certes, les travaux qui y sont présentés ne répondent pas à toutes les interrogations que suscitent les langues et les politiques de langues. Toutefois, ils marquent une rupture par rapport aux stéréotypes et l’indifférence d’une époque, et permettent également de remettre en cause l’énonciation d’un certain type de discours en faveur d’une francophonie progressivement dominante. Plus fondamentalement, ces travaux permettent de rompre avec une vision sociolinguistique prêchant l’inéluctable naufrage des langues vernaculaires africaines. Mais à côté de l’ensemble desdits travaux, il faudrait, bien sûr, mentionner bien d’autres expériences.

développement de l’une des langues, ils sont soumis aux contraintes de temps et aux aléas de l’histoire de chaque société. Au bout de combien de temps, par exemple, ce développement sera t-il possible pour prêter à un choix équitable de langues au Congo? Aucune décision politique n’a été prise au Congo dans le but de mettre sur pied une politique linguistique structurée au plan national. Alors, comment entrevoir un développement rapide des langues nationales dans un tel contexte, si aucune stratégie ne garantit leur véritable promotion ?

L’objectif poursuivi dans ce chapitre consiste à se demander si le problème de l’intégration des langues nationales dans le système éducatif congolais avait réellement été considéré comme l’une des priorités des gouvernements successifs dans l’optique de la construction de l’Etat ? Dans ce sens, l’analyse élucidera d’abord la nécessité de l’enseignement des langues nationales au Congo (1). Ensuite, il s’agira de comprendre la manière dont l’enseignement des langues véhiculaires pouvait constituer un facteur significatif pour la construction nationale (2). Enfin, l’on tentera de souligner quelle a été l’importance de la formation des enseignants dans la réalisation des réformes du système éducatif congolais (3).