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Le régime socialiste et la « congolisation » progressive de l’enseignement

1. Le Congo, un pays aux composantes agraires et hétérogènes

1.3. Les faiblesses du développement en milieu rural congolais

Il est nécessaire de faire remarquer que, malgré la constance des appels politiques en concernant l’intégration de l’enseignement à la vie au village et au-delà des perspectives de modernisation rurale, les réformes engagées étaient confrontées à des résistances dont la première s’explique par les conditions climatiques peu propices à l’assolement. Plusieurs régions du Congo se situent dans des zones climatiques en dessous de l’équateur ou dans des zones marécageuses peu propices à l’agriculture, voire forestières. A cela il faut ajouter la persistance de la pratique de l’agriculture sur brûlis (couvrant uniquement les besoins de l’économie de subsistance) par les paysans, ce qui empêche la régénération des sols. L’agriculture pratiquée par les paysans n’est pas une agriculture basée sur la variabilité des cultures, c’est-à-dire que presque partout sur toute l’étendue du territoire national on retrouve les mêmes cultures. Malgré son rôle dans l’économie congolaise, l’agriculture dans les campagnes est demeurée peu valorisée, d’où sa tendance à l’uniformisation365. Les paysans souffrent d’un manque d’engrais et de semences, dont les prix d’achat dépassent de loin leurs possibilités matérielles, puisque ne bénéficiant guère des aides de la part de l’Etat. Cependant, à ces difficultés, il faut ajouter l’échec des tentatives visant la mise en place des moyens nécessaires pour rendre effective l’application des réformes.

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« L’arrière-pays brazzavillois présente des tendances à une uniformisation culturale : des champs de manioc du Pool - Congo, surplombant quelques paysages verdoyants, où viennent se greffer quelques cultures vivrières ou à vocation industrielle (maïs, arachides, légumes divers, courges, piments) aux immenses plateaux, collines et savanes herbeuses ou renaissantes du pays Batéké (comparées aux griffons espaces verts pâles aux sols fortement lessivés, érodés ou sablonneux du Sud-Ouest Congo), jusque dans les recoins reculés du Centre - Sud (où ne subsistent que quelques paysans, vieux ou « vieux - jeunes » qui n’ont, soit pas eu la chance d’aller en ville, soit à qui la chance n’a pas souri pour y faire modique fortune, et qui, tristement, y attendent le dernier jour social), se dégage l’image d’une société à structures « désarticulées », amorphes » (Matsimouka (F.), op. cit., p.114).

Ces difficultés avaient souvent conduit les paysans à interpréter à leur manière les directives et les mots d’ordre lancés par le P.C.T. Le mot d’ordre «Tout pour le Peuple, rien que pour le Peuple» lancé par Marien Ngouabi devenait « Tout pour l’Etat, rien pour le Peuple ». De même, l’imprécision des réformes avait continué à amplifier au sein des populations jeunes des campagnes l’idée selon laquelle le retour à la terre n’est qu’une manière de vouloir les mettre dans un « état de nature » ou d’obscurantisme, contribuant ainsi à l’accentuation de l’exode rural. L’amélioration des conditions de vie en milieu rural implique la construction des pistes agricoles permettant aux paysans ou aux agriculteurs d’écouler leurs produits. Or, malgré des efforts entrepris dans ce sens, il s’avère que le monde rural congolais est toujours demeuré coupé de la ville comme le note Germain Bertrand : « (...) L’impulsion révolutionnaire venant des villes, la paysannerie fut en fait négligée et même laissée pour compte. Oubliés ou méconnus par les militants urbains, les paysans se replièrent sur eux-mêmes, tandis que l’approvisionnement des villes en alimentation à bas prix reposait largement sur des produits importés (…)»366.

La paysannerie congolaise a été faiblement « capturée » au sens où l’entend Goran Hyden367. La majorité des pistes construites grâce à la création de la Régie Nationale des Travaux Publics (R.N.T.P) n’ont presque jamais été entretenues; leur état témoignait de la mise en œuvre disproportionnée des réformes entreprises dans la précipitation par l’état-major révolutionnaire marxiste. La réalisation de l’idéal du progrès social en milieu rural, outre qu’elle nécessitait la création des infrastructures adéquates, ne peut en aucun cas faire l’économie de la formation des acteurs du développement. C’est dire l’urgence de former des techniciens, des ingénieurs, des auxiliaires agricoles capables de donner aux populations des connaissances pratiques, ainsi que des techniques nouvelles leur permettant de diversifier les cultures et d’insérer leur production dans un large réseau de distribution qui ne se limite plus seulement à la subsistance.

Il est possible de dire que l’amélioration des conditions économiques dans le monde rural continue dangereusement de subir les effets néfastes des politiques publiques de développement trop ambitieuses et mal assimilées qui, selon Germain Bertrand, étaient

366 Bertrand (G.), « Problèmes de développement rural en République Populaire du Congo », in Africa Spectrum, n°86/3, Institut Für Afrika-Kunde, Hamburg, 2000, p.303.

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conduites sous l’emprise de l'euphorie révolutionnaire368. Il semble également important de souligner que le problème du Congo n’est pas celui de la formation des compétences dans le domaine de l’agriculture mais, plutôt, celui de la gestion de ces compétences, c’est-à-dire de leur orientation dans les secteurs agricoles prioritaires. Ce qui pose un véritable problème de planification des ressources humaines : les besoins en formation des citoyens n’ont pas été en adéquation avec les possibilités de leur insertion socio-professionnelle. La majorité des techniciens, des moniteurs agricoles ou des ingénieurs formés ne sont presque jamais opérationnels dans les campagnes. On les retrouve le plus souvent dans les ministères ou d’autres administrations publiques, remettant ainsi en cause les objectifs pour lesquels ils ont été formés.

C’est curieux de constater, au-delà même des problèmes de planification des ressources humaines au plan national, combien la majorité des cadres formés dans le domaine de l’agriculture répugnent le travail de la terre, sinon se trouvent contraints de le faire par manque de structures ou à cause de conditions de travail assez précaires. Mais à qui incombe cet état de choses ? Est-ce aux cadres formés ou à l’Etat ? Cette interrogation permet une fois de plus de rappeler le devoir de l’Etat qui est celui de la répartition rationnelle des ressources et des compétences dans les secteurs clés de son économie. Le développement rural prôné au Congo est demeuré le parent pauvre des réformes entreprises en vue de la construction de l’Etat. Ce qui justifiait la mise en place des politiques de modernisation369 des structures d’encadrement du progrès en milieu rural; lequel progrès doit d’abord passer par la réforme de l’enseignement qui tienne compte de la liaison profonde existant entre l’école et la vie des populations.

368 Germain Bertrand considère l’idéologie marxiste-léniniste comme étant l’un des facteurs du retard économique du Congo : « L’idéologie marxiste, telle du moins qu’elle a été appliquée au Congo, me paraît la seconde cause de l’échec des politiques de développement agricole. Toute la fécondité d’un marxisme vivant vient de son aptitude à observer et à rendre compte des faits, mais ce sont largement des stéréotypes, ceux de la vulgate d’Europe de l’Est, qui ont été appliqués au Congo. Le Parti Congolais du Travail n’a produit aucune analyse originale de l’agriculture congolaise (…) Au Congo, le marxisme a servi de justification aux salariés des villes, largement dépendants de la fonction ou du secteur public; le marxisme a été le paravent du secteur d’Etat, présenté comme une conquête de la révolution, un acquis du peuple. Il était normal que ceux qui contrôlent l’appareil d’Etat, adeptes de cette conception du marxisme, renforcent les entreprises agricoles étatiques. Malheureusement, celles-ci ont donné un résultat pitoyable » (Idem, p.311).

369 Cette problématique est à approfondir dans les pages suivantes qui essayent de démontrer les multiples tentatives de modernisation de la vie en milieu rural congolais.

2. La nécessité d’un enseignement socialement intégré : le travail productif et