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Le régime socialiste et la « congolisation » progressive de l’enseignement

1. L’éducation et la formation des cadres locaux du développement national

1.1. Les enjeux de la fondation de l’Enseignement supérieur au Moyen-Congo

Le premier établissement260 d’enseignement supérieur en zone Afrique Equatoriale Française a été fondé à Brazzaville au moment des indépendances. Pour la première fois, le 15 août 1960, un accord avait été signé entre l’Etat français et les Etats de l’Afrique Equatoriale Française à l’exception du Gabon. Sur demande des Etats partie à l’accord, le gouvernement français accepta de maintenir et de développer le Centre d’Etudes Administratives et Techniques de l’Institut d’Etudes Supérieur de Brazzaville261 et de l’ériger en Centre d’Enseignement supérieur. Le Centre d’Enseignement Supérieur de Brazzaville (C.E.S.B) était donc crée.

Le 12 décembre 1961, à Fort Lamy au Tchad, la Conférence des chefs d’Etats de l’A.E.F adopta une convention portant organisation de l’enseignement supérieur en Afrique centrale et un accord de coopération avait été signé entre l’Etat français et ces quatre Etats. La Fondation de l’Enseignement Supérieur en Afrique Centrale (F.E.S.A.C) créée à cet effet avait pour mission d’assurer l’enseignement dans tous les territoires desdits Etats. Elle a été suivie par la signature d’un accord de coopération instituant une Commission mixte de seize délégués à raison de trois pour chaque Etat et de quatre pour la France, et dont l’une des missions principales était d’examiner les plans de développement et les projets de budget élaborés par le Conseil d’Administration de la F.E.S.A.C et de définir les ordres d’urgence. Les résolutions issues de la Commission devaient être envoyées aux Etats signataires de l’accord. Cette Commission avait également pour mission de statuer sur la possibilité de la reconnaissance par la France des équivalences de diplômes délivrés au sein de ces Etats. Cependant, il est intéressant de souligner que dans les années 1960 le champ d’action de cette Commission était encore assez limité parce que le Conseil d’Administration était en majorité constitué des experts français. La F.E.S.A.C regroupait les établissements suivants :

260 Comparée à Dakar qui vit naître son établissement d’enseignement supérieur en 1950, l’on note que Brazzaville a bénéficié tard d’un cycle supérieur d’enseignement.

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« Le Centre d’études administratives et techniques de l’Institut d’études supérieures de Brazzaville est un établissement français rattaché à l’Université de Bordeaux, placé sous la tutelle des autorités françaises, en particulier du point de vue financier. Il a été créé pour satisfaire les besoins des quatre Etats de l’ancienne Afrique Equatoriale Française. Les possibilités de formation qu’il offrait avaient été mises à la disposition du Congo par lettre n°5769/CAB/DIR/G du Haut - Commissaire représentant le Président de la République du Congo, adressée le 28 octobre 1958 à Monsieur le Premier ministre de la République du Congo » (Cf. Rapport au Gouvernement de la République du Congo (Brazzaville) sur la formation et le perfectionnement du personnel des cadres subalternes, O.I.T/T.A.P/CONGO (Braz.)/R.1, B.I.T., Genève, 1962, p.25.).

a)- Le C.E.S.B était composé de l’Ecole de droit, de l’Ecole supérieure des sciences, de l’Ecole supérieure des lettres, de la section médico-sociale pour la formation des sages-femmes et de l’Ecole des assistantes sociales, de l’enseignement par correspondance, de l’Ecole Normale Supérieure d’Afrique Centrale (E.N.S.A.C), dont le fonctionnement était assuré conjointement par l’Unesco et par la République du Congo.

b)- L’Institut d’enseignement agronomique d’Afrique Centrale à Mbaïki en Centrafrique. c)- L’Institut universitaire de technologie polytechnique de Libreville pour la formation des techniciens supérieurs (1er cycle d’études) au Gabon.

d)- L’Institut universitaire de technologie zootechnique de Fort-Lamy pour la formation de contrôleurs d’élevage (1er cycle d’études) et pour la formation d’ingénieurs des Travaux d’Elevage (2è cycle d’études) au Tchad.

Par ailleurs, la création de ces différents établissements d’enseignement supérieur ne doit nullement dissimuler, pour ce qui concerne le Congo, les difficultés auxquels allait se confronter le gouvernement de Fulbert Youlou, dès lors que les masses populaires trouvaient là un moyen pour élever leur niveau d’instruction, améliorer leurs conditions d’existence et donc d’accéder aux différents postes de responsabilité dans l’administration. Plus l’enseignement évoluait, plus la demande262 sociale d’éducation se faisait sentir à tous les niveaux de la société congolaise et plus encore la nécessité de construire de nouveaux établissements scolaires devenait pressante. Cette évolution263 avait placé le Congo en tête du peloton des pays africains ayant le plus haut niveau de scolarisation à côté de l’Ile de la Réunion aux envions de 1963.

Cette élévation du taux de scolarisation avait également été l’objet d’une récupération politique de la part du gouvernement de Fulbert Youlou qui, bien que reconnaissant l’importance de l’enseignement dans la formation des cadres, ne faisait par contre aucun effort pour tenter de l’adapter aux réalités socio-économiques du pays. Ce qui avait abouti par la suite à une situation de surscolarisation au regard de l’inadéquation entre l’investissement en matière d’éducation et la capacité de l’Etat à employer tous les produits formés. Ce qui

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Les témoignages recueillis lors de nos entretiens à Brazzaville concourent tous à montrer comment à cette époque chaque village construisait son école, chaque district ou PCA son collège. Les parents d’élèves pouvaient se cotiser pour doter les établissements en tables bancs, les manuels scolaires et pour construire les logements des enseignants.

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avait fait de l’école congolaise « une usine à chômeurs »264 du moment que les projets de développement économique conçus par le Gouvernement de Fulbert Youlou n’avaient guère dépassé leur simple énonciation et les tentatives pour orienter les sans emplois vers les campagnes dans la crainte des effervescences sociales avaient également échoué à cause de la carence des structures agricoles adéquates.

A cause de l’insuffisance des établissements scolaires, donc par manque de possibilités de poursuivre leurs études, la majorité d’enfants sortis du primaire venait gonfler les rangs des mécontents. Ces problèmes concernaient également la F.E.S.A.C où la majorité de ceux qui demandaient à intégrer l’enseignement supérieur ne disposait pas de diplôme de baccalauréat. C’est, finalement, l’Ecole de droit qui était envahi par les candidats à la capacité. Du côté de la section médico-sociale, les recrutements s’effectuaient à partir de la 4è année des collèges. Quant à l’E.N.S.A.C, les recrutements étaient opérés parmi les élèves adjoints qui avaient servi depuis trois ans et, ensuite, des élèves de niveau de la classe de première dans les lycées ou les collèges au lieu de s’en tenir aux bacheliers qui constituaient une ressource rare.

Ces recrutements avaient abouti à la frustration de ceux qui arrivaient à obtenir leur baccalauréat, jetant ainsi le discrédit sur le métier d’enseignant. Tout cet ensemble de choses avait eu des conséquences graves sur la qualité de l’enseignement, car à un moment donné l’enseignement primaire n’arrivait même plus à jouer son rôle, alimentant insuffisamment l’enseignement secondaire qui, à son tour, devait compliquer la situation dans l’enseignement supérieur. D’où le niveau élevé des déperditions et des abondons scolaires. Ces phénomènes vont conduire à la formation des foyers de tension alimentés quotidiennement par les mécontentements. A ceci il faut ajouter le prestige de l’enseignement classique et le mépris des jeunes pour des travaux agricoles, annihilant ainsi les possibilités d’extension des établissements d’enseignement technique.

Suite à ces nombreuses difficultés de management du domaine de l’enseignement, le gouvernement sans préparation, avait décidé de recopier le système d’orientation scolaire de l’ancienne métropole qui, du reste, avait été considéré comme étant un système trop élitiste. A cette époque, on avait assisté à des départs massifs d’étudiants congolais en France contribuant, de ce fait, à remettre en cause les politiques de formation des cadres mises en

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œuvre depuis la création de la FESAC. Le manque de réforme des programmes de l’enseignement secondaire, conformément, à l’esprit d’Addis-Abeba avait également compliqué cette situation. Les manuels d’histoire de l’enseignement secondaire de l’A.E.F, contrairement à ceux de l’A.O.F, ne faisaient aucunement référence à l’héritage culturel africain et l’on continuait de glorifier l’œuvre des explorateurs français comme si avant l’occupation du continent le Congo ne disposait d’aucune culture. Cette situation avait contribué à ternir l’image du gouvernement de Fulbert Youlou dans les milieux scolaires congolais où peu à peu les élèves commençaient à s’organiser en associations (comme l’Association Scolaire Congolaise « ASCO » ayant à sa tête Martin M’béri, l’un des meneurs les plus influents des groupuscules laïques) pour revendiquer leurs droits. Massamba - Débat, à l’opposé de Youlou, s’appuya sur ces jeunes et profita de leur mécontentement pour bâtir sa ligne politique qui mit en avant la consécration sociale par le diplôme.