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Le régime socialiste et la « congolisation » progressive de l’enseignement

3. La technicisation de l’enseignement et la production des compétences qualifiées du développement développement

3.1. La création des Instituts et des Centres de métiers

1. La nécessité444 d’enseigner les langues nationales dans les écoles congolaises

Au début des indépendances, presque tous les Etats africains étaient confrontés au problème de leur développement et de la construction de l’unité nationale, car à l’époque coloniale la préoccupation essentielle des colons était de répondre aux besoins de la métropole dans tous les domaines. Au plan culturel l’imposition aux populations africaines de la langue française comme instrument linguistique exclusif de communication était l’un des moyens privilégiés pour gagner leur esprit à la cause de défense des intérêts de la métropole. C’est ce que Louis Jean Calvet qualifie de « colonialisme glottophage »445, car pratiqué au mépris des cultures locales.

444 Pour l’Abbé Gaspard Kajiga, ancien Professeur de langues et d’histoire bantoues : « Aujourd’hui, c’est un fait acquis, chaque nation libre veut se construire à base de sa culture propre. Les langues occidentales en Afrique restent des langues d’emprunt » (Cf. Pour une langue nationale congolaise, République Démocratique du Congo, Centre National de Production du Ministère de l’Education nationale 11è Rue de Limeté, sd, p.9).

445 Louis Jean Calvet utilise ce terme pour caractériser la situation coloniale qui considérait que les langues africaines étaient un obstacle au développement : « Le premier dogme est celui selon lequel les colonisés ont tout à gagner à apprendre notre langue, qui les introduira à la civilisation, au monde moderne. Le second stipule que, de toutes façons, les langues indigènes seraient incapables de remplir cette fonction, incapables de véhiculer des notions modernes, des concepts scientifiques, incapables d’être des langues d’enseignement, de culture ou de recherche. Se développe ainsi un discours élaboré par des blancs pour des blancs et pour ceux que leur éducation et leurs intérêts poussent à se considérer et à se comporter comme des blancs, discours qui a bien sûr son versant

Dans sa thèse de doctorat de 3è Cycle en Sciences de l’Education, Jean-Pierre Mbakidi dit : « Pour les pays africains francophones, tel le Congo, il ne s’agit nullement d’une volonté délibérée d’emprunter, il s’agit plutôt d’une domination culturelle, d’un envahissement d’une civilisation sur une autre avec la conséquence bien connue de la mort lente de la civilisation dominée »446. On mesure là le caractère déculturant447 d’une telle politique car, si les Anglais et les Belges s’appuyaient sur l’administration indirecte des colonies en simulant la préservation des langues locales, il demeure que du côté de la France les méthodes utilisées étaient différentes448. Au-delà de cette différence de méthodes, François Lumwamu pense que les effets induits par les politiques de colonisation en Afrique étaient analogues :

Les effets de la politique de colonisation, directe ou indirecte, ont été dans la majorité des cas, les mêmes. La méthode de colonisation indirecte pratiquée par les Belges et les Britanniques donnait un semblant d’existence à quelques langues africaines : mais cette politique constituait, en réalité, un moyen pour mieux utiliser les chefferies locales et donner aux colonisés l’impression d’être respectés et d’être demeurés eux-mêmes malgré la présence de l’envahisseur. La colonisation directe ne manqua plus de pudeur à ce sujet449.

théorique, ou se prétendant tel : on cherche à montrer que la glottophagie est un fait d’évidence, inéluctable, et de plus souhaité par les colonisés eux-mêmes » (Calvet (L.-J.), op. cit., pp.123-124).

446 Mbakidi (J.-P), Langues maternelles et langue française au Congo. Contribution à l’étude sociologique des

situations langagières en Afrique centrale, Université de Bordeaux II, 1978, p.130. Cette thèse démontre que

l’assimilation française au plan socio - culturel avait gagné l’univers mental des Congolais, allant des couches sociales inférieures (les pêcheurs, les maraîchers, etc.) jusqu’aux classes sociales supérieures (les fonctionnaires, etc.). Eliou Marie est également de cet avis : « Les principaux éléments de l’idéologie transmise par les systèmes d’enseignement qui ont démarqué en Afrique l’enseignement français sont : la conviction de la supériorité de la culture et de la langue française et par conséquent celle de l’infériorité des cultures et des langues africaines » (Eliou (M.), La formation de la conscience nationale en République Populaire du Congo, Paris, Anthropos, 1977, p.162).

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Mbakidi analyse aussi l’emprise de la culture française sur les réalités congolaises en ces termes : « (…) le Congo s’inscrit aussi au rang de premiers pays africains grands consommateurs des produits d’importation. L’idéologie de l’assimilation du nègre, quelque fausse qu’elle ait pu paraître, s’est concrétisée tout au moins par l’émergence et le développement d’une couche sociale (les intellectuels) fondamentalement acculturée et par conséquent consommatrice effrénée de la pacotille importée de l’Europe » (Idem, p.133)

448 « La situation actuelle est essentiellement liée aux pratiques des puissances coloniales : la France, pratiquant une politique d’assimilation complète, a ignoré l’existence des langues africaines et n’a jamais entrepris, en Afrique, ni leur enseignement ni leur utilisation comme moyens d’enseignement ; la Grande-Bretagne et la Belgique, avec leur politique de discrimination visant à bloquer l’accès des peuples colonisés aux cultures anglaise et belge, ont entrepris la scolarisation dans les langues africaines, au niveau primaire surtout » (Langues

et politiques de langues en Afrique noire : l’expérience de l’Unesco, Paris, Nubia, 1977, p.398).

449 Lumwamu (F.), « Langage et colonisation », in Annales de l’Université de Brazzaville, Tome VII, Brazzaville, 12 janvier 1971, p.37.

Cette pratique de domination avait souvent été considérée comme une condition pour l’octroi de l’aide aux Etats africains au point où Kempf et Mudimbé faisaient remarquer que : « (…) Pour la France, du moins si on se réfère à la déclaration faite en 1964 à l’Assemblée nationale française par M. Pompidou, alors Premier ministre, l’aide multilatérale favorise l’expansion de l’anglais et de la culture anglo-saxonne; l’aide bilatérale seule peut maintenir une certaine faveur pour le français »450. La nécessité d’enseigner les langues africaines451 se justifiait ainsi par une certaine volonté452 de revalorisation des cultures traditionnelles, de construction nationale ainsi que par l'obligation de lier l’école et le milieu comme le fait remarquer Joseph Poth453 :

Il faut que l’école et le milieu parlent le même langage si l’une veut réellement s’ouvrir à l’autre (…) Comment l’école peut-elle participer à la valorisation de l’environnement, à l’amélioration de la productivité, à la rationalisation des structures de développement en milieu urbain et rural, si elle ne peut établir un dialogue constant et profond avec les forces et les populations au travail ? Les langues nationales constituent, sans conteste, l’outil le plus efficace pour réaliser cette symbiose de l’école et du milieu qui, seule, peut ouvrir les perspectives d’un développement collectif harmonieux.

Les acteurs sociaux et politiques africains étaient convaincus de ce que le domaine de l’enseignement, en tant qu’il permet l’acquisition des connaissances et la vulgarisation des savoirs, peut contribuer de manière efficace au développement. De manière assez concrète, on peut estimer que la nécessité d’enseigner les langues véhiculaires africaines dans les écoles était liée au fait qu’elles sont capables de constituer des renforçateurs de l’unité nationale, voire même un facteur d’accélération du développement économique. Ce qui implique également qu’elles peuvent permettre à tous les enfants (sans discrimination possible) d’avoir accès aux mêmes structures de production socio-économiques; elles constituent donc un moyen important pour le retour à l’authenticité454 culturelle.

450 Ibidem.

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Il est nécessaire de signaler ici que, déjà en 1961, la Conférence des Etats africains organisée à Addis-Abeba avait recommandé dans les écoles d’Afrique l’enseignement d’une « langue pour les rapports quotidiens », ainsi que celui d’une « langue de grande diffusion » (Cf. Afrique Vivante, n°242, 1966, p.24).

452 Pour justifier cette argumentation, on peut encore se référer à l’Abbé Gaspard Kajiga qui dit : « Une langue nationale c’est le vœu des Responsables de l’Education en Afrique. C’est le vœu de tous ceux qui sont préoccupés des problèmes culturels africains » (op., cit., p.9).

453 Cf. « Langues nationales et formation des maîtres en Afrique. Guide méthodologique à l’usage des Instituts de formation », in Etudes et Documents de l’Unesco, n°32, Paris, Presses de l’Unesco, 1979, pp.38-39.

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1.1. La situation sociolinguistique du Congo

L’étude de la situation sociolinguistique du Congo, pour être réalisable, nécessite au préalable une prise en compte de la famille de langues et des groupes linguistiques qui y sont représentés. Car, si l’on s’appuie sur les recherches réalisées par la CONFEMEN, il ressort que : « la grande majorité des langues parlées au Congo appartient aux langues bantoues, de la famille Niger - Congo (…)»455. Plus d’une cinquantaine de langues sont parlées au Congo. Cependant, on y décèle trois grands ensembles linguistiques456 : l’ensemble Kongo localisé dans le sud, l’ensemble Téké occupant une partie du centre et du sud et l’ensemble mbochi situé dans le nord. Pour ce qui est des langues appartenant à ces différents groupes, il faut présenter leurs origines et leurs évolutions pour clarifier la situation de certaines d’entre elles considérées comme étant des langues véhiculaires : le lingala et le munukutuba.

a)- Le kikongo. Dans les environs du XIVe siècle, la plupart des groupes ethniques actuels du sud du Congo faisaient partie du grand ensemble kongo établi dans le cours intérieur du Kongo qualifié de « nzadi »457 par les riverains et placé sous l’autorité du roi, le « Mani kongo ». Plusieurs ethnologues et historiens tendent à démontrer qu’au XIVè siècle les Kongo, dans leur dynamique d’immigration, n’avaient pas encore atteint les côtes de l’Atlantique. Les terres qu’ils occupaient du Mayombe jusqu’aux Plateaux batéké, appartenaient aux Batéké. Les Kongo seraient donc venus de la Cuvette tchadienne qu’ils auraient quitté aux environs de l’ère chrétienne pour immigrer vers le Kassaï en R.D.C au IVè siècle, au IXè siècle sur le Kwango, au XIIè siècle sur le Kouilou et sur les côtes du Nord de l’Angola au XIVè siècle.

Le royaume kongo qui, en 1485 s’étendait sur 500 km de côte aux environs de Luanda à l’Est vers le Kwango, rassemblait des entités territoriales considérées comme de « sous-états » : le Kongo, le Kâhongo, le Ngoyo et le Loango. Le « proto-Etat » comprenait à lui seul six provinces : le Mpemba qui était le domaine royal, le Nsundi situé vers le Nord-est au bord du Congo était le domaine des Nsundi, le Mbata situé vers le Kwango, le Soyo situé vers l’embouchure, le Mpangu situé au Nord et le Mbamba situé vers la mer et considéré comme

455 Cf. CONFEMEN, Promotion et intégration des langues nationales dans les systèmes éducatifs. Bilan et

inventaire, Paris, Ed. Champion, 1986, p.135. 456 Ibidem.

457 Il semble important ici de rappeler que ce mot avait été récupéré par l’ancien Président, Joseph Désiré Mobutu, pour servir de nom à son pays le Zaïre; Zaïre, justement, pour montrer que ce pays est situé au bord d’un fleuve.

étant le domaine des Lari. Le royaume kongo incluait la partie septentrionale de l’Angola, actuel enclave du Cabinda, le Bas-Congo zaïrois, l’immense partie de l’actuel République du Congo et une partie du sud du Gabon. Les habitants de tous ces royaumes se réclamaient d’un ancêtre commun : « Nimia Lukeni ». Les Kongo possédaient une unité linguistique pour la prospérité de leur royaume. Cependant, la langue kongo avait connu plusieurs phases dans son évolution : la première phase est celle dite « Kôngo–dya-Mpangala », la seconde phase est celle de « Kongo-dya-Muluza », la troisième phase correspondait au « Kongo–dya-Mpânzu » et la quatrième phase renvoyait au « Kongo–dya-nza ». C’est ce dernier stade qui symbolisait l’évolution linguistique de ce royaume, dont la langue s’appelle « kikôngo » au Congo-Démocratique et en Angola et « munukutuba » au Congo-Brazzaville.

b)- Le munukutuba constitue un moyen de communication entre les différentes ethnies du sud du Congo-Brazzaville et celles du Congo-Démocratique458. Il est, surtout, parlé dans les villes comme Boma, Matadi, Kikwit, Bandundu au Congo-Démocratique et à Brazzaville, Dolisie, Nkayi, Mossendjo ou Pointe-Noire s’agissant du Congo-Brazzaville. Le munukutuba est utilisé dans cette partie du Congo en raison de l’évolution de l’histoire de la langue kikongo dont elle est issue. Par ailleurs, son importance dans ces régions paraît assez restreinte en raison de l’attachement des populations kongo à leurs langues d’origine. Malgré sa position de langue seconde, le munukutuba jouit d’une situation assez privilégiée dans les zones urbaines en raison de son élégance et, surtout, du nombre de locuteurs qui le parlent (qui ne sont pas pourtant pas originaires des régions du sud du Congo).

Les conditions d’émergence de cette langue demeurent floues au regard des incertitudes liées à l’histoire des mouvements migratoires depuis l’époque coloniale. Certains chercheurs situent son origine aux environs de la fin du XVè siècle qui marque les premiers contacts des Kongo avec les explorateurs occidentaux459 au moment où débute le commerce triangulaire de l’esclavage, la recherche de l’ivoire et de l’or. De ce brassage de cultures résultait la nécessité

458 Il semble important de mentionner que dans ce pays le munukutuba est qualifié de « kikongo ya leta », c’est-à-dire le kikongo de l’Etat. Cette appellation rend bien compte de la prégnance de l’héritage colonial belge. En effet, pendant la colonisation, les Belges avaient essayé de faire de cette langue une langue véhiculaire au bénéfice de l’administration. D’où son importance comparativement aux autres dialectes locaux parlés dans les zones du sud du Congo - Démocratique.

497 Maurice Houis explique cette situation dans l’une de ses œuvres : Anthropologie linguistique de l’Afrique

noire, Paris, P.U.F, 1971. Le munukutuba serait, certainement, né du besoin de communiquer entre les esclaves

congolais d’origine diverses qui avaient été regroupés pour être acheminés vers l’Europe. A l’origine, cette langue devait ressembler à une sorte de pidgin, c’est-à-dire un mélange complexe de plusieurs dialectes. Cependant, cette analyse ne permet guère de dire avec le plus de précision possible la date exacte d’apparition de cette langue.

d’une langue de communication facilitant les contacts entre ces différents peuples460. Le munukutuba est le produit des échanges tant internes (avec les populations voisines appartenant aux régions du sud du Congo) qu’extérieurs (les échanges nés des contacts avec l’Occident) aux populations kongo. Ce qui explique les conditions de son expansion ainsi que son statut de langue véhiculaire. Cette expansion est aussi liée à son adoption par les miliciens comme langue de communication avec les indigènes, notamment, dans l’Est du Congo-Démocratique. Le munukutuba a aussi été utilisé par les missionnaires protestants comme langue d’évangélisation.

c)- Le lingala. Le Père Moysan461 situe son origine vers l’embouchure du Lulonga entre Makanza (ex Nouvelle Anvers) et Mbandaka (ex Coquilhatville) dans la Province de l’Equateur au Congo-Démocratique. Dans ce sens, Jacques Champion estime que le lingala « possède aussi une variété dialectale ou vernaculaire parlée et comprise dans son pays d’origine, celui des Bangala au Nord et à la limite de la grande forêt centrale (Gemena) entre Congo et Oubangui, avec de nombreux sous-dialectes »462. Il résulte de cette analyse que le lingala est né au Congo-Démocratique, notamment, dans la petite tribu des Ngala qui habitaient le Lulonga. Pourtant, Anciany estime que le lingala est plutôt de « formation très récente »463. Mazenot pense que ce problème est complexe et nécessite de savoir « (…) si les membres de la tribu des Bangala n’auraient pas été plus simplement les agents de dispersion d’une langue aux origines beaucoup plus diffuses et en tout cas septentrionales (…) les Kibangui »464. Ainsi, on peut dire que c’est cette zone qui constituait la région des Bangala : « (…) La langue Bobangui est la mère de toutes les langues des tribus riveraines465 du Congo (…) On peut aussi penser que le lingala dérive de ces langues »466. L’étude de ces tribus démontre qu’elles ont presque les mêmes racines. Le lingala n’appartenait à aucun royaume et il est possible qu’il ait servi comme langue vernaculaire avant l’occupation car, selon Ponel, « la langue commerciale du bord de la rivière est une sorte de sabir, mélange à fortes

460 Cependant, cette assertion ne pourrait à elle seule expliquer les conditions d’émergence de la langue munukutuba, dès lors que d’autres études la situent à l’origine même du royaume kongo. S’il en est ainsi, il est fort possible que cette langue ait servi comme moyen de communication entre les peuples de différents groupes ethno - linguistiques composant le royaume kongo.

461 Moysan (N.), Pour apprendre le lingala, Artiganelli, Tvento, 1956.

462 Champion (J.), Les langues africaines et la francophonie, Paris, Mouton, 1974, p.207.

463 Cité par Mazenot (G.), La Likouala - Mossaka. Histoire de la pénétration du Haut - Congo 1878-1920, Paris, La Haye, 1974, p.397.

464 Ibidem.

465 Ces tribus riveraines sont : les Likuba, les Likwala, les Baloyi, les Bomitaba, les Enyele, les Mbosi, les Kuyu, les Akwa, les Ngare, les Mboko, les Moyi, etc.

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