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Le régime socialiste et la « congolisation » progressive de l’enseignement

2.1. La liaison entre l’école et la vie

La construction de l’Etat implique une dynamique d’institutionnalisation des structures (institutions scolaires dans le cas précis) qui nécessitaient d’être adaptées aux objectifs politiques et économiques du Congo. Cependant, cette exigence ne peut trouver un début de réalisation que si elle se fonde sur une volonté politique permettant de définir les conditions

420 Ndinga Oba (A.), op. cit., p.24.

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d’une mise en œuvre réelle de nouvelles méthodes scientifiques et de programmes scolaires422 pouvant garantir le fonctionnement adéquat de ces structures. Pour les méthodes, une précision est nécessaire, car « Il s’agit moins d’acquérir des connaissances scientifiques que d’assimiler l’esprit et la méthode scientifiques, c’est-à-dire apprendre à observer et raisonner avec rigueur et cohérence, à ne rien accepter qui ne soit prouvé de façon scientifique »423.

C’est dire que seules les structures scolaires ne suffisent pas pour faire aboutir les politiques de développement au sein d’un Etat. Encore faudrait-il qu’elles soient associées à la nécessité d’établir des méthodes de travail réalistes et des programmes scientifiques adaptés à l’environnement dans lequel vivent les populations congolaises. Ces méthodes et ces programmes doivent être fondés sur une pédagogie active qui place d’abord l’être à former au centre de tout, c’est-à-dire qui intègrent les variables socio-économiques du développement. Tenant compte du fait que les méthodes et les programmes développés dans le système d’enseignement colonial étaient inadaptés424 aux besoins réels de développement des populations rurales, les décideurs politiques avaient mis en place des programmes et des méthodes pragmatiques. La création d’un système d’enseignement unique au Congo ne signifiait pas l’uniformisation des programmes et des méthodes et leur vulgarisation sur toute l’étendue du territoire national. Ces programmes et ces méthodes devaient être allégés et intégrer les spécificités de chaque zone rurale, car « Les programmes ont le défaut d’être identiques pour tout le pays. Ils sont compliqués, trop chargés. Dans la plupart des cas, complètement coupés de la réalité du pays et, par suite, peu rentables à la fois individuellement et socialement (…) Or, le contexte pédagogique n’est pas uniforme (…)»425.

Cette situation montre que le caractère hétérogène de la pédagogie active au sein du système éducatif avait été négligé au profit d’une pédagogie rigide, identique pour tous, alors que les réalités sur le terrain diffèrent d’un coin à un autre, de la campagne à la ville. Une catégorisation426 des différentes zones du territoire congolais en trois niveaux distincts avait

422 « La réalisation de l’Ecole du Peuple implique une somme fantastique de travail de recherche en vue de l’élaboration de nouveaux programmes et manuels, de collecte de matériaux, de revalorisation de tous les aspects de la culture congolaise, de sensibilisation et d’information des masses et en premier lieu de documentation » (Cf. Mbongi, op. cit., p.60).

423 Idem, p.63.

424 « Actuellement, les conceptions pédagogiques, le contenu des méthodes et du matériel didactique sont fondés sur une approche logico - déductive. Il s’agit d’une pédagogie du type écoute - parle qui passe par l’intellect ou plutôt la mémoire pour obtenir le résultat désiré, et non d’une pédagogie du type regarde - essaie qui passe par les mains pour arriver ensuite à l’intellect » (Ibidem).

425 Mbongi, op. cit., p.63.

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permis de surmonter les dangers que pouvaient entraîner l’inadaptation des programmes et des méthodes à l’environnement local :

- « Brazzaville, les autres villes et les gros bourgs dans lesquels la situation était moins grave grâce à la présence d’une infrastructure scolaire (bâtiments, moyens, mobilier et matériel scolaire, moyens de reproduction de documents, TV en circuit fermé, etc.);

- Une zone de brousse dans laquelle, en certaines régions, le matériel ne parvient pas (ni livres, ni moyens didactiques, etc.);

- Une zone de forêt (même situation pédagogique que sous le second point) ».

C’est pourquoi dans le but de résoudre les problèmes de l’inadaptation des méthodes et des programmes scolaires aux réalités locales, les décideurs politiques avaient trouvé nécessaire de mettre en place des programmes fondamentaux, scientifiquement, établis pour toutes les disciplines susceptibles d’être enseignées, avec des possibilités de variation selon les zones géographiques indiquées ci-dessus ; mais ceci concernait surtout l’enseignement primaire. A cela il fallait ajouter des méthodes réellement actives, ainsi que des programmes scolaires rénovés en tenant compte des spécificités des milieux et en se basant sur la pratique du travail par groupe.

a)- La réalisation d’une école au service du développement économique de la nation congolaise impliquait un changement profond du contenu des programmes scolaires. C’est dire, en d’autres termes et comme le souligne le Ministre Ndinga Oba que : « La réflexion sur la vie dans l’environnement de l’école, la pratique de cette vie doit occuper une place effective dans l’élaboration des programmes et les emplois du temps de la nouvelle école »427. Cette nécessité se justifiait, d’ailleurs, par ceci que « Jusqu’à maintenant, on s’est efforcé dans le pays d’écrire des programmes trop copieux, tendant vers une sorte d’« exhaustisme » qui est plus un frein au développement des élèves qu’une réelle augmentation du bagage intellectuel, par l’insertion dans le contenu didactique d’un fatras de notions parfaitement inutiles »428.

Dans le but de résoudre cette situation d’inadaptation des programmes scolaires aux réalités socio-économiques congolaises, l’Etat avait décidé de les réformer en instaurant à

427 Cf. Ndinga Oba (A.), L’Ecole dans la phase de redynamisation de la vie nationale en République Populaire

du Congo, Brazzaville, mai 1978, p.13. 428

chaque niveau du système éducatif « un ensemble de connaissances à donner à tous les jeunes congolais, mais pour une meilleure compréhension et une bonne fixation de ces connaissances, on doit se servir des matériaux et de tout ce que la vie dans le milieu de l’école offre comme support à l’expérimentation et à l’illustration »429. Cependant, ce retour à la terre pour peu qu’il soit effectif, ne devait pas être interprété comme étant l’expression d’une forme de régionalisation430 tendant à créer un enseignement à double vitesse au Congo : un enseignement conçu uniquement pour les ruraux et un enseignement spécifique aux citadins. Il devait, au contraire, être interprété comme étant l’expression de la volonté politique de créer une école agréable, c’est-à-dire productive431 et plus proche des producteurs. L’objectif de cette école étant de mettre à la disposition des élèves et étudiants des connaissances scientifiques et technologiques indispensables à la résolution de leurs problèmes quotidiens et à la maîtrise de leur environnement économique, politique et socio - culturel.

b)- S’agissant de la mise en place des méthodes actives, les acteurs politiques avaient estimé qu’elles devaient comporter divers aspects. D’abord, le temps scolaire qui nécessitait d’être réaménagé en fonction des impératifs du développement des capacités techniques des élèves; il devrait, de ce fait, dépasser la simple pratique du travail manuel au champ ou dans les jardins scolaires et trouver un véritable ancrage dans l’apprentissage des connaissances scientifiques réelles considérées comme autant de supports du développement national. Par exemple, on ne pouvait procéder à la réalisation des cultures vivrières sur un champ quelconque sans avoir, au préalable, déterminé son espace432 ou évaluer une production si l’on ne prenait garde d’étudier son poids433.

A l’instar des dirigeants d’autres pays socialistes, les autorités politiques congolaises voulaient faire de leur système d’enseignement un véritable « laboratoire d’expérience » en

429 Ndinga Oba (A.), op. cit., p.13.

430 Dans le même ordre d’idées, Antoine Ndinga Oba précise que « (…) notre intention n’est pas de concevoir un système scolaire qui différencie fondamentalement les zones rurales des milieux urbains par exemple, de même que les régions entre elles, comme on a tenté de le faire dans certains pays. Tous les enfants appartenant à un niveau de formation donné recevront les mêmes connaissances de bases, mais on choisira dans chaque milieu les éléments appropriés ayant une valeur formative réelle dans le sens d’une éducation intégrée » (op. cit., p.13).

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C’est une école capable de contribuer efficacement à l’éducation morale de la jeunesse congolaise qui, comme le disait Marx, doit se traduire par l’amour du travail et la sympathie pour le travailleur.

432 « Si l’on veut arboriser une zone ou cultiver un lopin de terre en y plantant des ananas, on peut mettre au programme la notion de surface en rapport avec la notion d’espace (…) Ce sera beaucoup plus parlant pour les élèves (et les parents) que des problèmes sur la surface, de type artificiel » (Cf. Mbongi, p.66).

433 « On pourra introduire la notion de poids quand il s’agit d’évaluer la production ; viendront s’ajouter les notions de monnaie, prix d’achat, prix de vente, bénéfice, perte, tare, poids brut, poids net, déchet, profit (…) Pour les plus grands, les notions de comptabilité leur permettront de gérer la petite coopérative de la communauté » (Ibidem).

alternant les enseignements généraux avec les enseignements pratiques sur le terrain, soit dans le domaine agricole soit au sein des entreprises. Ce qui, selon Jean Pierre Ngombé434, nécessitait la mise en place d’un nouveau système dit de mi-temps435 scolaire afin de réaliser une transformation radicale des programmes et des méthodes d’enseignement au sein des établissements scolaires, et de permettre aux élèves de disposer du temps pour l’apprentissage des connaissances pratiques. Dans la logique des réformateurs, ce système avait le double avantage de permettre, d’une part, une meilleure socialisation des élèves c’est-à-dire leur insertion dans leur milieu de vie d’origine ; d’autre part, il devait faciliter une véritable communication au sein des classes ainsi qu’une compétition436, car il se fondait sur la promotion de la « socialisation en groupe». Au-delà, ce système instaurait une sorte d’émulation dont les résultats pouvaient aussi être bénéfiques pour l’intégration et la solidarité au sein des communautés villageoises.