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Le régime socialiste et la « congolisation » progressive de l’enseignement

2.2. L’enseignement agricole et la problématique de la modernisation rurale

La problématique de la modernisation rurale a longtemps constitué un enjeu majeur des débats socio-politiques sur la construction étatique au Congo. En effet, depuis son accession à la souveraineté nationale, la modernisation des structures héritées de la colonisation a toujours constitué un défi pour les décideurs politiques congolais. Ce terme de « modernisation » doit être lié au contexte spécifique de développement du Congo, en particulier, et celui de l’Afrique en général. En effet, il est important de noter que nombre de chercheurs africains étudient la problématique de la modernisation des sociétés africaines en se fondant sur le fait que, au-delà des discours concernant l’africanisation des structures sociales de production, les stratégies de développement appliquées à l’époque des indépendances n’avaient pas réellement tenu compte des traditions africaines.

Pour les spécialistes des questions de modernisation, par contre, il était question d’opérer une distinction entre ce qui relève de la modernité et ce qui est du ressort des sociétés traditionnelles africaines. Dans ce deuxième contexte, le progrès s’entend comme l’expression de la modernité. Cette conception, lorsqu’on revient sur le contexte spécifique du Congo, semble inapplicable car il serait paradoxal de prétendre développer la nation en laissant de côté l’apport des populations rurales. Elle a été à l’origine de beaucoup d’erreurs qui ont constitué un frein à la réalisation des projets de développement et des efforts de limitation du phénomène de l’exode rural. Il est, certes, vrai que l’accroissement de la production agricole nécessite d’améliorer la productivité par l’adoption et l’adaptation des méthodes et des techniques modernes. Cependant, le secteur moderne ne peut suffire à lui seul à impulser une véritable dynamique de changement social, s’il n’intègre pas les facteurs socio-culturels propres au contexte congolais. Loin de vouloir également trop idéaliser ou vanter les mérites du monde rural, la modernisation demeure l’idéal à réaliser, mais qui doit être ancré dans le substrat social congolais. D’où l’idée défendue par les décideurs politiques congolais de développer une école au service du développement qui tienne compte des réalités locales.

Cette dynamique visait le développement des zones rurales. Pour les dirigeants politiques il ne pouvait y avoir de développement, sans que les questions d’éducation et de santé ne soient placées au centre des politiques visant à la construction de l’Etat. Ainsi, dans le but d’améliorer les conditions de vie des populations rurales et de faciliter la réforme de l’enseignement, plusieurs projets avaient été mis en place. Toutes ces initiatives devaient

reposer sur le rassemblement des populations des zones rurales autour de structures de développement communautaire appelées «groupements précoopératifs villageois (GPV)» ainsi que l’expliquent certains chercheurs comme Guichaoua :

Diverses actions ont été entreprises depuis le début du siècle pour « dynamiser » la paysannerie : greniers de village au cours des années 20, Société Indigène de Prévoyance (1930), Société Mutuelle de Développement Rural (1938), Centre de Coopération Rural (1960), Action de Rénovation Rurale (1965). Elles témoignent de la part des autorités une volonté constante d’organiser la « paysannerie parcellaire » par le biais de structures de type coopératif en milieu paysan. Plus récemment, et depuis la publication des directives du Comité Central du P.C.T de juillet 1974, le mouvement coopératif connaît un regain d’intensité. La direction de l’Animation Rurale et de l’Action Coopérative (D.A.R.A.C) est d’ailleurs une des rares structures administratives et techniques qui soit implantée sur l’ensemble du pays (…) 397

Bonaventure Mengho également pense que : « (…) Il y a eu depuis toujours une volonté d’organiser le monde paysan et la production agricole pour promouvoir le développement rural. Malheureusement, toutes les initiatives se sont soldées par des échecs et aucun projet n’a abouti aux résultats escomptés. Dans tous les cas, deux causes majeures apparaissent : difficultés financières et mauvaise gestion »398. Germain Bertrand, pour sa part, dit que :

La révolution de 1963 a eu d’importantes conséquences sur l’agriculture. D’abord, les sociétés privées furent nationalisées (…) et un secteur agricole d’Etat fut constitué : Régie Nationale des Palmerais du Congo (RNPC), Complexe Industriel d’Etat de Mantsoumba (CAIEM), Société Agro-Pastorale de Madingou (SAPM), Office du Café et du Cacao (OCC), Office Congolais du Tabac (OCT), Office des Cultures Vivrières (OCV), Office Congolais du Bois (OCB), Société Nationale d’Aviculture (SONAVI), Minoterie et Fabrique d’Aliments pour le Bétail (MAB), Usine d’Aliments du Bétail (UAB), Office du Gros Bétail (OGB), Office National d’Importation de Viandes en Gros (ONIVEG)399.

397Guichaoua (A.), op. cit., p.65).

398 Mengho (B.-M.), op. cit., p.68.

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C’est, évidemment, sur la base de l’échec des premières tentatives d’organisation du monde paysan et du développement de l’économie rurale congolaise que fut décidée vers l’année 1968 la création des premiers « groupements précoopératifs »400. Conformément à l’option politique du P.C.T, cette création devait obéir au projet d’amélioration de la vie des ruraux par le travail communautaire comme l’exprime bien Gillett : « Dans tous les villages des tropiques, le progrès est fonction de l’action communale; il faut que les villageois agissent de concert (…) »401 du moment que « Le simple fait d’appartenir à une communauté villageoise est en soi-même éducatif »402. Au-delà d’autres explications, voire même des contradictions que pareilles idées peuvent susciter, il est à retenir ici l’importance de l’organisation du paysannat et de sa place dans la dynamique de développement national.

La structuration de ces « groupements précoopératifs » était soumise à des améliorations progressives couvrant une période de 2 ou 3 ans, afin d’en évaluer l’efficacité, les progrès ainsi que les difficultés. Elle était, par ailleurs, liée à un certain nombre de principes de base et avait été faite de telle sorte qu’il y ait : un comité de gestion403, une commission de contrôle s’organisant souvent en assemblée générale considérée comme étant l’organe suprême. Contrairement aux principes régissant le Parti - Etat qui étaient fondés sur une gestion autocentrée de la réalité sociale et une éthique de développement basée sur le dirigisme, une certaine marge de liberté d’action rappelant le principe de « l’autonomie relative »404 des

400 Il faut aussi noter que la question de la promotion coopérative en milieu rural a été au centre des préoccupations du P.C.T au cours de l’année 1982, année de l’exécution du Premier Plan Quinquennal qui s’étendit jusqu’en 1986. A cet effet, un séminaire national de conscientisation des cadres des Ministères et des organisations de masses concernées par le mouvement coopératif a été tenu à Brazzaville du 26 au 29 octobre 1982 avec la participation du Département chargé de l’Organisation, de l’Idéologie et de l’Education. Une Commission Politico - Technique chargée de réfléchir sur la politique d’éducation en milieu rural y a été mise en place (Cf. 3ème Congrès Ordinaire du Parti Congolais du Travail, op. cit., p.352).

401 Cf. « L’école communautaire », in Revue Tiers – Monde. Tome V, 1964, p.39.

402 Idem, p.40.

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Bonaventure Mengho montre que « chaque comité de gestion était composé d’un président, un vice-président, un secrétaire général et un secrétaire général - adjoint, un trésorier. Tous sont élus pour un an et leurs fonctions gratuites. Partout, les membres du groupement travaillent ensemble deux ou trois fois par semaine, les autres jours étant réservés aux activités individuelles ou familiales. S’il s’agit par exemple d’un groupement précoopératif agricole, les membres travaillent ensemble sur leurs champs vivriers collectifs ou sur leurs plantations de café ou de cacao. Après la vente de la récolte, le revenu est divisé en quatre parts : l’une est destinée au remboursement des crédits accordés, une autre aux dépenses courantes, une troisième est répartie entre les adhérents au prorata du travail fourni par chacun d’eux, la dernière étant thésaurisée » (Cf. Mengho (B.-M.), op. cit, p.69).

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Ces deux auteurs pensent que : « Contre les illusions des théoriciens de la domination et du conditionnement, mais contre les fantasmes de toute-puissance et de simplification qui surgissent constamment chez les hommes d’action, il faut donc affirmer avec force que la conduite humaine ne saurait être assimilée en aucun cas au produit mécanique de l’obéissance ou de la pression des données structurelles. Elle est toujours l’expression et la mise en œuvre d’une liberté, si minime, soit-elle » (Cf. L’acteur et le système, Paris, Seuil, 1977, p.45). En effet, la décision politique qu’il s’agit d’explorer ici repose sur l’idée qu’il ne pourrait avoir de développement rural,

acteurs énoncé par Michel Crozier et Erhard Friedberg était quand même accordée aux ruraux. Toutes les initiatives en matière de développement devaient tenir compte du système d’action sociale, car comme le souligne Renaud Sainsaulieu « (…) mieux connaître la qualité et la complexité des structures sociales de la production conduit à pronostiquer les chances d’avenir avec plus de réalisme. On en tirera des leçons précises sur les courants, les forces, les dérives au moins incontournables dans le court terme. On saisira les vraies capacités humaines de réponse aux crises et aux urgences à venir. On pourra même découvrir des potentiels inemployés pouvant conduire à imaginer des politiques alternatives de développement »405.

Le fonctionnement des « groupements précoopératifs » était rendu possible grâce à l’aide apportée par certains organismes internationaux comme le P.A.M entre 1970 et 1982. Le Parti et l’Etat avaient pour ambitions de moderniser le monde agricole rural en renforçant les modes de production traditionnels car, comme l’explique Louis Malassis, « (…) la vulgarisation agricole se transforme profondément lorsque les systèmes de production agricole évoluent de l’agriculture de subsistance à la forme artisanale ou industrielle »406. Afin de réaliser ces objectifs, plusieurs structures-pilotes d’encadrement de la paysannerie avaient été créées, notamment, les fermes d’Etat comme celle de Kombé et les Centres d’Appui Technique (CAT). La finalité de ces structures était d’aboutir à long terme à une certaine augmentation de la production et de la productivité agricoles, à la réduction des déséquilibres entre villes et campagnes, à la diminution de l’exode rural et, par voie de conséquence, à la régression de la pauvreté dans les campagnes.

Mais toutes ces politiques ne pouvaient aboutir qu’à une seule condition : il fallait d’urgence former des compétences qualifiées dans les domaines de l’agriculture, de l’élevage et de la pêche. Les techniciens, les moniteurs agricoles, les pisciculteurs, ainsi que les ingénieurs formés à cet effet devaient constituer des courroies de diffusion de nouvelles techniques susceptibles d’impulser la dynamique de développement au sein des communautés rurales. Toutes ces compétences qualifiées devaient travailler aux côtés des populations rurales, afin de les orienter et de leur apporter une autre vision répondant aux normes sans qu’il soit tenu compte des capacités techniques et des potentialités socio-économiques dans les campagnes congolaises.

405 Cf. Sociologie de l’entreprise. Organisation, culture et développement, Paris, Presse de Sciences Po et Dalloz, 1997, p.108.

406 Malassis (L.), « Croissance économique, développement rural, sciences et techniques agricoles », in Revue

modernes de développement. A quoi servirait donc de créer des fermes ou d’autres structures de développement dans les campagnes congolaises si, au préalable, aucune politique de formation des compétences n’ait été pensée. Nonobstant le fait que toute politique d’éducation nécessite d’être planifiée en fonction de la croissance économique globale, il est à considérer que « Le développement harmonieux implique l’intégration du monde rural dans la société progressive, une vision globale de la formation et de l’information de l’ensemble de la jeunesse »407. Cette idée a été largement soutenue lors de la Conférence de Tananarive408 consacrée à l’avenir de l’enseignement supérieur en Afrique, laquelle Conférence avait mis un accent particulier sur la formation des agronomes.