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Rôle des croyances fatalistes sur les explications causales, la perception du risque et les comportements de sécurité

Chapitre 4 : Rôle des croyances dans l’analyse des comportements de sécurité

4. Rôle des croyances fatalistes sur les explications causales, la perception du risque et les comportements de sécurité

Les études sur le fatalisme s’appuient sur l’idée qu’une vision fataliste des accidents biaise la perception du risque et les explications causales et conduit à une prise de risque. Des auteurs comme Quinot (1979 ; cité par Kouabenan, 1999) rapportent comment la prévention des accidents en Europe a été influencée par le fatalisme. Cette croyance a conforté pendant longtemps l’idée que l’accident ou l’incertitude n’étaient pas maîtrisables ou ne pouvaient l’être qu’à travers des pratiques mystiques. Aujourd’hui, les mentalités et la législation ont largement évolué dans un grand nombre de domaines et les connaissances sur les causes d’accidents se sont enrichies. Pourtant, Kouabenan (2009) cite des auteurs comme Morris et Peng (1994) et Hewstone (1993, 1994) qui notent que l’attribution des évènements

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malheureux aux causes invisibles se rencontre encore sous des formes variées aussi bien dans les sociétés traditionnelles africaines que dans les cultures modernes occidentales. Bien que les connaissances nouvelles tentent d’éclairer la causalité des accidents, elles n’annulent pas l’incertitude qui entoure le risque et n’empêchent pas l’expression des croyances fatalistes. Leplat (1983 ; cité par Kouabenan, 1999) rappelle que « notre mentalité moderne est encore

imprégnée d’une conception fataliste des accidents. Combien de fois n’entend-on pas associer accident à manque de chance, de déveine, au hasard. C’était son heure, dit-on quand on parle de l’accident de quelqu’un » (Kouabenan, 1999, p.54). Certes, le degré de fatalisme peut

varier en fonction des individus et des cultures, mais on déplore le fait que cette croyance continue d’orienter malheureusement le comportement d’un certain nombre d’usagers de la route (Kouabenan, 2007).

Une illustration de l’effet des croyances fatalistes sur la perception du risque, sur l’explication des accidents et sur les comportements face aux risques est trouvée dans une étude de Kouabenan (1998). L’auteur invite 553 usagers de la route Ivoiriens à compléter un

questionnaire comportant une échelle de fatalisme (1 =.78) et une échelle de prise de risque

(1=.84). Le questionnaire contient également des questions sur la perception des accidents et

de leurs causes. Les analyses montrent que « les participants fatalistes attribuent plus

facilement les accidents aux facteurs hors du contrôle des conducteurs (infrastructure, autrui, sort) et qu’ils considèrent comme étant moins importants les facteurs impliquant leurs responsabilités ou leurs initiatives (changement subit de direction, imprudence, non respect des panneaux d’arrêt, mépris des piétons, impatience, etc.) » (Kouabenan, 1998, p.249). Ce

résultat montre que les croyances fatalistes favorisent une explication des accidents par des causes externes (infrastructure, autrui, sort). En outre, l’auteur observe que, plus les participants expliquent les accidents par le sort, plus ils prennent des risques (r = .34, df = 527, p < .001). Les risques qu’ils prennent le plus concernent la vitesse et les autres comportements de conduite (garder une distance de 50m avec la voiture qui vous précède, s’arrêter le moins possible lors d’un voyage en vue de perdre moins de temps, violer les feux, usage abusif des signaux lumineux et du klaxon). Ainsi, l’étude de Kouabenan montre qu’il existe une corrélation positive et significative entre les croyances fatalistes, les explications causales externes et la prise de risque.

De plus, cette étude montre que « les participants fatalistes ont une connaissance

limitée des risques et des accidents ; ce qui les poussent à les surestimer, mais aussi parfois à les sous-estimer » (Kouabenan, 1998, p.250). Kouabenan montre ainsi que les croyances

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le sens d’une sous-estimation. Dans un cas comme dans l’autre, ces biais conduisent à des comportements insécuritaires. Mais le rôle des croyances fatalistes sur le risque perçu tel qu’il se révèle dans cette étude reste à confirmer.

Pour leur part, Peltzer et Renner (2003) réalisent une étude similaire à celle de Kouabenan (1998) sur un échantillon de 130 conducteurs de taxis Sud-Africains. Ces auteurs utilisent les outils de Kouabenan (1998) ; en l’occurrence, l’échelle du fatalisme enrichie de deux items et revalidée (1 = .86), une échelle de prise de risque (1 = .93) et une liste de 30 causes perçues d’accidents de la route. Les résultats montrent que pour les participants ayant de fortes croyances fatalistes, la malchance est la cause principale des accidents. Les autres causes (mauvais temps, changement subit de direction, manque de contrôle, mauvais état des feux de signalisation routière, consommation d’alcool et de drogues) étant moins importantes pour eux. Ce résultat conforte l’hypothèse des attributions causales externes et défensives dues aux croyances fatalistes.

Par ailleurs, les deux études font un parallèle entre les croyances fatalistes et l’expérience d’accidents. Kouabenan (1998) trouve que les participants qui ont été victimes de deux accidents ou plus, tendent à être plus prudents que ceux qui n’en ont jamais vécus, F(3, 501) = 2.09 ; p = .10. Ce résultat montre que l’expérience d’accident est susceptible d’accroître la vigilance sur les routes. Cependant, le résultat tendanciel l’amène à conclure que l’effet de l’expérience d’accidents sur la prise de risque reste à confirmer. En vue de vérifier cet effet, Peltzer et Renner (2003) distinguent les victimes des témoins d’accidents. Ils trouvent une corrélation négative et significative entre le nombre d’accidents dont on a été témoin et la prise de risque (r = -.31; p < .001) alors que le fait d’avoir été victime d’accident n’a aucun lien significatif avec la prise de risque (r = -.016 ; ns). Ce résultat peut paraître paradoxal et étonnant à première vue. En effet, comment peut-on expliquer que les conducteurs qui sont témoins d’accidents, prennent moins de risques pendant que ceux qui en sont victimes n’en fassent pas autant ? Probablement, le fait d’être victime d’accidents ravive le fatalisme chez les concernés et les pousse à croire que les accidents sont inévitables et qu’il est inutile de prendre des précautions. Cette éventualité est suggérée par un autre résultat qui montre que les croyances fatalistes sont positivement et significativement liées au nombre d’accidents vécus en tant que victime (r = .26 ; p < .01). Mais il est surprenant d’observer que les croyances fatalistes sont positivement liées au nombre d’accidents vécus en tant que témoin (r = .33 ; p < .001), étant donné que les témoins d’accidents sont plus prudents que les

fatalistes. L’étude de Peltzer et Renner (2003) a tout de même le mérite de montrer que, plus

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présente comme étant un facteur critique susceptible d’avoir un effet semblable à celui des croyances fatalistes, sur la perception du risque, sur l’explication des accidents et sur les comportements face aux risques.

A la suite de Kouabenan (1998), de Peltzer et Renner (2003), Gonçalves, Da Silva, Lima et Melia (2008) observent que le nombre d’accidents vécus est positivement lié aux explications causales externes chez les salariés d’une entreprise industrielle. Ces auteurs notent surtout que les explications causales externes médiatisent l’effet négatif de l’expérience d’accidents sur les comportements de sécurité. Ainsi, Kouabenan (1998) établit clairement que les croyances fatalistes induisent des explications causales externes et défensives, ainsi que des comportements insécuritaires. De plus, l’expérience d’accidents est positivement liée aux croyances fatalistes et semble avoir un effet similaire à celui des croyances fatalistes sur les explications causales et sur les comportements face aux risques. Cependant, l’effet des croyances fatalistes sur la perception du risque reste à confirmer dans des études ultérieures. Dans le paragraphe qui suit, nous abordons les croyances de contrôle et voyons quels effets elles peuvent avoir sur la perception du risque, sur l’explication des accidents et sur les comportements de sécurité.

5. Rôle des croyances de contrôle sur la perception du risque, l’explication des accidents