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Chapitre 1 : Les accidents routiers au Cameroun : un problème de santé publique

2. Le modèle de l’explication causale naïve de l’accident

2.1. Les déterminants de l’explication causale naïve de l’accident

2.1.2. Les déterminants individuels de l’explication naïve

Parmi les déterminants de l’explication naïve relevant des dispositions individuelles qui peuvent nous intéresser, Kouabenan (1999) cite l’expertise, l’implication dans l’accident, le lien avec l’accidenté et les variables démographiques (sexe et âge).

41 L’expertise

De nombreuses études montrent qu’experts et profanes n’ont pas la même rationalité et qu’ils sont tous les deux sujets à des biais dans leur jugement du risque (Kruglanski & Ajzen, 1983 ; Slovic, Fischhoff & Lichtenstein, 1981 ; Fiorino, 1989 ; Tversky & Kahneman, 1974). Malgré le grand nombre d’études qui affirment une perception différentielle du risque suivant l’expertise, très peu d’études s’intéressent à l’idée que cette variable peut affecter l’explication des accidents. On retrouve néanmoins un soutien à cette idée dans une étude (Kouabenan, 1996b) qui montre que les experts (ingénieurs, policiers et gendarmes affectés à la circulation) privilégient les facteurs internes aux conducteurs pour expliquer les accidents tandis que les non-experts (piétons, conducteurs professionnels et non professionnels) attribuent les accidents davantage à des facteurs externes aux conducteurs. Malgré ces divergences, les explications fournies par les experts et celles des profanes sont utiles et complémentaires. En effet, elles prennent en compte toutes les rationalités et permettent d’avoir une vue moins étriquée de la causalité des accidents. De plus, Kouabenan (1996b) montre que les novices et les participants expérimentés en conduite automobile fournissent davantage des explications causales externes aux conducteurs, que ceux qui ont une expérience moyenne de la conduite. L’implication dans des accidents semble favoriser également des explications externes, surtout dans le domaine des accidents du travail.

L’expérience d’accidents

L’expérience d’accident est un facteur de plus en plus étudié, mais qui donne des résultats contradictoires. Par exemple, Kouabenan (1996b) ne trouve pas de lien significatif entre l’expérience d’accidents et l’explication causale. Dans une autre étude, Kouabenan (2002) conclut que « les accidents vécus ne semblent pas avoir un impact sur la perception

des risques des conducteurs et sur leurs explications causales des accidents. Cependant, il apparaît que les participants qui ont été victimes d’un accident ont tendance à avoir peur – comparés aux individus qui n’ont jamais été victimes d’accidents - d’être victimes de nouveau, soit d’un accident routier ou de tout autre risque de la vie » (p. 65). Ces résultats

peuvent s’expliquer par le fait que ces études (Kouabenan, 1996b, 2002) ne prennent pas en compte le nombre d’accidents subis. En effet, le lien entre l’expérience d’accidents et les explications causales se révèle très significatif dans une étude récente dans le domaine des accidents du travail (Gonçalves et al., 2008), lorsque les auteurs prennent en compte le nombre d’accidents subis. En l’occurrence, Gonçalves et al. (2008) observent que le nombre

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d’accidents subis est positivement lié aux explications causales externes chez les salariés d’une entreprise industrielle et d’une entreprise de recherche et développement. Cela signifie que la manière d’expliquer les accidents n’est pas la même selon qu’on ait été victime d’un ou de plusieurs accidents. En d’autres termes, plus l’individu est impliqué dans des accidents, plus il a tendance à croire qu’ils sont causés par des facteurs qui échappent à son contrôle. Ce résultat intéressant reste à confirmer dans le domaine de la circulation routière. Il serait intéressant de savoir ce qu’il en est au Cameroun. Au-delà de l’expérience d’accidents, le degré d’implication d’un individu dans un accident et le lien avec l’accidenté semblent affecter sa manière de l’expliquer.

Le degré d’implication dans l’accident et le lien avec l’accidenté

Selon Jones et Nisbett (1972), l’acteur et l’observateur analysent les évènements dans une perspective différente. Kouabenan (1982) montre par exemple que les victimes d’accidents ont tendance à l’expliquer par des facteurs externes tandis que les témoins tendent à l’expliquer par des facteurs propres au comportement ou aux caractéristiques de la victime. Dans une étude en situation réelle, l’auteur demande aux salariés d’une entreprise de télécommunication de raconter un accident marquant de leur vie professionnelle, dont ils ont été victimes ou témoins. Ils sont ensuite invités à expliquer l’accident qu’ils viennent de raconter. Il observe que les victimes d’accidents tendent significativement à les expliquer par la malchance et par les facteurs externes alors que les témoins les expliquent plutôt par des facteurs internes à la victime. Des exemples d’études comme celle-là sont nombreux qui montrent des explications défensives chez les victimes d’accidents et des explications internes chez les témoins (Parker, Brewer & Spencer, 1980 ; Salminen, 1992).

Cependant, lorsque le témoin est un proche de la victime, ses explications causales deviennent plus empathiques pour le proche et tendent à être plus externes qu’internes. L’idée du lien entre la victime et la personne qui explique l’accident comme source de variation des explications causales remonte aux travaux de Shaver (1970), Shaw et McMartin (1977). On retrouve un argument empirique pour cette idée dans une étude de Kouabenan, Gilibert, Médina et Bouzon (2001). Les auteurs présentent un récit d’accident impliquant un salarié d’une entreprise de production et de distribution d’énergie, à 80 participants, dont 40 du même niveau hiérarchique que la victime et 40 du niveau hiérarchique supérieur. Ils sont ensuite invités à expliquer cet accident. Kouabenan et collaborateurs observent que les participants du niveau hiérarchique supérieur fournissent massivement des explications

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internes à la victime, plus que ne le font les participants du même niveau hiérarchique que ce dernier. En fait, le lien entre ces derniers et la victime (du même niveau hiérarchique), favorise chez eux des explications causales qui tendent à la disculper. Par ailleurs, certaines variables démographiques constituent des sources de variation des explications causales. Mais le sexe se présente plus comme un critère de pertinence personnelle dans les études. La pertinence personnelle est la similitude perçue entre la personne qui explique l’accident et la victime de l’accident.

Les variables démographiques : le sexe et l’âge

Très peu de recherches ont examiné le rôle du sexe sur les attributions causales. Kouabenan (1999) note quelques travaux qui rapportent des résultats diversifiés et confus. Certains travaux tendent à montrer que les femmes privilégient des explications internes à la victime tandis que les hommes sont plutôt favorables à des explications externes (Whitehead & Hall, 1984 ; Kanekar & Sovani, 1991 ; Baldwin & Kleinke, 1994). Le rôle du sexe s’est révélé non significatif dans d’autres études (Shaw & McMartin, 1977 ; Taylor & Kleinke, 1992 ; Whitehead & Smith, 1976). Partant de la controverse sur l’effet du sexe sur les explications causales, Kouabenan et al. (2001) pensent que cette variable peut constituer un critère de pertinence personnelle. Kouabenan et collaborateurs se préoccupent de savoir comment se fait l’attribution de causalité à la victime d’un accident lorsque l’attributeur est une femme ou un homme, un supérieur hiérarchique ou un collègue, quand l’accident est ou n’est pas grave et l’effet conjoint de ces variables sur les attributions causales. L’étude utilise les mêmes données et la même méthodologie décrite dans le paragraphe précédent. Les auteurs observent que les cadres-hommes font plus d’attributions internes à la victime que n’en font les subalternes hommes qui privilégient les attributions externes. Tandis que les femmes ne se différencient pas entre elles en fonction de leur statut, bien qu’elles fassent globalement plus d’attributions internes qu’externes à la victime de l’accident. En outre, les cadres hommes font plus d’attributions internes que les cadres-femmes et les femmes subalternes en font plus que les hommes subalternes. En plus, les attributions des hommes-cadres sont plus internes quand l’accident est grave alors que les femmes-hommes-cadres font moins d’attributions à la victime subalterne quand l’accident est grave. Les auteurs estiment que le fait que les femmes soient compatissantes peut expliquer cette tendance à fournir des explications moins internes à la victime de l’accident quand celui-ci est grave. Ils émettent l’hypothèse selon laquelle les hommes sont plus sujets au biais de favoritisme endogroupe que

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les femmes, hypothèse qui reste à vérifier. Ainsi, le sexe est une variable qui agit sur les explications causales davantage comme un critère de pertinence personnelle. En plus du sexe, l’âge est une autre variable démographique dont l’effet sur les explications causales est envisagé, mais les résultats restant contradictoires.

Les travaux qui examinent l’effet de l’âge sur les attributions causales révèlent davantage des explications différentielles suivant l’âge de la victime de l’accident expliqué et celui de la personne qui l’explique. Kouabenan (1999) rapporte par exemple, une étude de Shaver (1970) qui montre que les attributions de responsabilité s’intensifient au fur et à mesure que l’âge de la personne stimulus croît. Shaver observe que les participants attribuent une responsabilité plus grande à l’auteur présumé de l’accident lorsqu’il est âgé et se montrent plus indulgents lorsque celui-ci a le même âge ou est plus jeune qu’eux. Par ailleurs, dans une méta-analyse, Gyekye (2010) rapporte des études qui montrent que, dans le contexte organisationnel, les subordonnés plus âgés expliquent les accidents par des causes externes plus que ne le font leurs collègues moins âgés (Melia et al. 2001 ; Salminen & Gyekye, 2007). De même, les supérieurs hiérarchiques âgés ont tendance à expliquer les accidents par des causes externes et imprévisibles alors que leurs collègues plus jeunes les expliquent beaucoup plus par des causes organisationnelles (Niza, Sila, & Lima. 2008). Ainsi, les résultats des études sur l’effet de l’âge sur les explications causales ne sont pas tranchés. Néanmoins, elles semblent révéler davantage des explications externes chez des analystes âgés. Outre les déterminants socioculturels et individuels, la gravité de l’accident affecte beaucoup son explication.