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Chapitre 3 : Comprendre les comportements de sécurité à partir de la perception du risque

6. L’apport de la perception du risque à la prévention

Il est question ici de voir ce que la perception du risque peut apporter à l’amélioration des programmes de prévention. A ce propos, Kouabenan (2006b) rapporte les travaux de Nation et al. (2003) qui relève neuf caractéristiques régulièrement mentionnées pour qualifier les programmes de prévention efficaces. Pour ces auteurs, les programmes de prévention

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efficaces sont ceux qui : a) sont compréhensifs, b) utilisent des méthodes d’enseignement variées, c) fournissent un dosage suffisant, d) sont guidés par des théories, e) offrent l’occasion d’avoir des relations positives, f) sont réalisés au bon moment, g) sont pertinents du point de vue socioculturel, h) comprennent une phase d’évaluation des résultats, i) impliquent un personnel compétent et bien formé. En d’autres termes, les programmes de prévention efficaces sont ceux qui sont techniquement bien conçus (a, b, c, d, e), sont adaptés aux caractéristiques de la population cible (f, g) et sont évalués (h, i). Nous ne nous attarderons pas sur ces caractéristiques des campagnes de prévention efficaces ici et renvoyons le lecteur aux écrits de Kouabenan (2006b) pour des détails.

Cependant, Kouabenan (2006b) présente de nombreuses techniques de persuasion fondées sur les théories psychologiques et plus précisément sur la perception du risque et de sa capacité à y faire face. Nous ne les mentionnons pas toutes ici (pour plus de détails, le lecteur pourra se référer à Kouabenan et al. 2006), nous nous arrêtons sur une d’entre elles qui montre l’apport de la perception du risque à la prévention. Il s’agit de l’appel à la peur et à des menaces, une technique très utilisée dans la prévention des accidents dans plusieurs domaines. L’appel à la peur et à des menaces est une technique de persuasion à tonalité dramatique qui fait l’objet de plusieurs études psychologiques. Cette technique consiste à utiliser des mots, des images, des scènes qui présentent des situations dramatiques (morts, blessés) pour choquer en mettant l’accent sur les conséquences nuisibles d’un risque ou d’un comportement si on ne se conforme pas aux recommandations préconisées. Elle s’appuie sur l’idée que la peur suscitée par les messages peut amener l’individu à adopter un comportement sécuritaire afin d’éviter de subir la menace.

Nous trouvons un peu plus de détails sur la technique de l’appel à la peur et à des menaces dans une revue des techniques persuasives fondées sur les approches psychologiques, réalisée par Devos-Comby et Salovey (2002). Ces auteurs expliquent à quel moment et comment la technique de l’appel à la peur et à des menaces peut produire des résultats positifs. Ils mentionnent l’hypothèse de Hovland, Janis et Kelly (1953) qui stipule que les appels à de la menace produisent de la peur ou de l’anxiété au sujet des conséquences négatives décrites dans le message. Cette réaction émotionnelle à son tour pousse l’individu à

respecter les mesures si le comportement recommandé est perçu comme étant efficace pour

éviter ces effets nuisibles. Ainsi, plus le message induit de la peur, plus les appels à de la menace sont efficaces. Mais, on note très bien que le succès d’une telle technique est conditionnée par le fait que la menace évoquée induise effectivement de la peur et que le comportement recommandé soit perçu par la cible comme étant efficace. Ainsi, pour faire

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usage à l’appel à de la peur comme technique de prévention, il faut au préalable que la population cible : a) connaisse la menace perçue des conséquences négatives du risque et b) perçoive les mesures de protection qui leur sont proposées comme étant efficaces. Devos-Comby et Salovey (2002) mentionnent plusieurs travaux qui soutiennent cette première hypothèse (Leventhal, 1971 ; Boster & Mongeau, 1984; Sutton, 1982 ; Witte, 1992). Ces travaux montrent que le succès d’une campagne de prévention basée sur l’appel à la peur repose sur la menace perçue, sur l’efficacité perçue des mesures de prévention proposées et

surtout sur la capacité perçue des destinataires à appliquer ces mesures. Diffuser un message

qui suscite la peur d’un risque auquel les gens sont exposés sans offrir des moyens nécessaires pour éviter les conséquences négatives de cette menace, peut plutôt être préjudiciable à la sécurité. C’est ce que prévoit l’hypothèse de Janis et Feshbach (1953).

Pour ces derniers auteurs, des messages qui induisent des niveaux élevés de peur sans offrir des voies de recours pour éviter les conséquences négatives décrites, produisent plutôt des réactions d’évitement et de résistance. Ainsi, plus la menace induit des niveaux élevés de peur, plus la résistance à la persuasion est forte si les individus se sentent peu capables de faire face à la menace (Devos-Comby & Salovey, 2002).

Par ailleurs l’appel à de la peur ne produit pas que des réactions émotionnelles. La théorie de la motivation à la protection de Rogers (1983), décrit les composantes cognitives des appels à de la menace qui sont efficaces. D’après ce modèle, l’appel à la menace peut s’avérer efficace dans la mesure où il persuade les destinataires : a) que les conséquences du risque sont très indésirables (gravité perçue de la menace) ; b) qu’ils sont personnellement exposés à ces conséquences (vulnérabilité à la menace) ; c) qu’ils peuvent les éviter en suivant certaines recommandations (efficacité de la réponse) ; d) qu’ils ont la capacité de mettre en œuvre le comportement recommandé (auto-efficacité). Ainsi, d’après ce modèle, le succès d’une technique de prévention basée sur les appels à la peur repose essentiellement sur une série de perceptions (perception de la gravité de la menace, de sa propre vulnérabilité, de l’efficacité des recommandations proposées et de ses propres capacités à appliquer ces recommandations). Devos-Comby et Salovey (2002) attirent l’attention sur le fait qu’il ne faut pas oublier que les gens ont plutôt tendance à minimiser la probabilité pour eux-mêmes de subir des nuisances (autoprotection). De même, une peur trop forte peut susciter des réactions émotionnelles intenses qui gênent le traitement cognitif des arguments du message et réduire la capacité de persuasion. Ainsi, susciter la peur d’une menace chez les destinataires d’une mesure de prévention peut amener ces derniers à adopter des comportements de protection

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s’ils ont effectivement peur de la menace, s’ils perçoivent la pertinence de la mesure, s’ils se sentent capables de l’appliquer et si la peur n’est pas trop forte.

Conclusion

Nous avons vu au Chapitre 1 que les comportements des usagers de la route sont couramment mentionnés dans la causalité des accidents de la route au Cameroun. Du fait de la prépondérance de ces comportements dans les situations à risque, il est intéressant de comprendre comment les gens évaluent le risque routier et comment cette évaluation peut orienter leurs comportements. En l’occurrence, face à la recrudescence des accidents routiers, les usagers de la route (piétons, conducteurs), les agents du trafic (policiers, gendarmes, ingénieurs des routes), les opérateurs économiques du secteur des transports (agents d’assurance, directeurs d’auto-écoles, agents des centres de contrôle technique de véhicules, patrons d’agences de voyage) ont certainement des visions différentes du risque routier au Cameroun. La perception du risque permet de savoir comment cette diversité de points de vue peut orienter les comportements. Ainsi, comprendre la perception que les Camerounais ont du risque routier peut permettre de démêler les multiples variables (gravité des accidents, médiatisation, sur-confiance, optimisme comparatif, etc.) susceptibles de conduire à une surestimation ou à une sous-estimation du risque et à des comportements inadaptés. La connaissance de ces variables est également importante parce qu’elle peut permettre de comprendre l’attitude des Camerounais vis-à-vis de la sécurité. Par exemple, les croyances en la pertinence des mesures de prévention proposées et en la capacité perçue des Camerounais à les appliquer peuvent permettre de comprendre pourquoi ces derniers n’adhèrent pas à certaines mesures de prévention et comment on peut procéder pour les rendre efficaces. Comme on a pu le remarquer lorsqu’on a abordé les explications causales naïves au chapitre 2, les croyances prennent également une place centrale dans la perception du risque et méritent une attention particulière. Le chapitre qui suit est centré sur les croyances et nous permet de voir comment elles peuvent affecter les deux processus psychologiques présentés jusqu’ici (la perception du risque et l’explication des accidents) et le lien qu’elles entretiennent avec les comportements de sécurité.

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Chapitre 4 : Rôle des croyances dans l’analyse des comportements