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Chapitre 1 : Les accidents routiers au Cameroun : un problème de santé publique

3. Les dispositifs de lutte contre les accidents routiers au Cameroun

3.3. Limites des solutions proposées

En se référant à d’autres pays, on peut remarquer que la réglementation sur la prévention routière au Cameroun existe, mais semble moins ciblée sur certains aspects critiques qui peuvent expliquer l’augmentation des accidents. On peut mentionner par exemple l’alcoolémie et la vitesse qui représentent une cause importante de la mortalité sur les routes. En plus, certaines actions ne garantissent pas un changement durable de comportements des conducteurs. Par exemple, on n’est pas sûr que la multiplication des contrôles routiers comme une action permanente de prévention routière peut agir efficacement et durablement sur les comportements des conducteurs. Ces actions répressives peuvent les dissuader de s’engager dans des comportements infractionnistes, mais pas de façon durable. En 2007 par exemple, la gendarmerie nationale camerounaise a initié une phase expérimentale d’utilisation de radars de contrôle de vitesse et d’alcootest. Cette action était marquée par une opération (GAP 2007) qui consistait à appuyer les unités de gendarmerie le long des axes routiers reliant les grandes villes, par des moyens aériens (SED, 2009). On note que pendant cette période, le nombre d’accidents routiers a baissé au Cameroun (3277 accidents en 2007 faisant 990 morts contre

3739 accidents en 2006). Cette diminution peut être due(au moins en partie) à cette opération.

Dans le domaine du contrôle routier par exemple, il semble que les individus craignent assez les sanctions pour modifier leur comportement infractionniste si les contrôles sont suffisamment fréquents (Pérez-Diaz, 2003). Mais en 2008, lorsque la phase pilote de cette opération prend fin, le nombre d’accidents et la mortalité augmentent de nouveau (3566

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accidents faisant 1157 morts et 5370 blessés). Cela montre que les conducteurs reprennent certainement leurs comportements insécuritaires quand l’action répressive s’arrête. Par conséquent, la prévention par la répression fondée sur la peur du gendarme ne semble pas susciter un engagement de manière durable dans des comportements de sécurité. Cette observation ne discrédite pas cette forme de prévention qui a d’ailleurs contribué à faire baisser la mortalité routière dans les pays développés comme la France, mais montre plutôt qu’elle est insuffisante pour favoriser des comportements de sécurité durables. On peut définir le comportement de sécurité comme étant une action engagée dans une situation considérée comme risquée, en vue de minimiser, de réduire ou même d’annuler la probabilité qu’elle entraîne des dommages. Cette définition sous-entend que l’action est volontaire et délibérée. On observe par exemple qu’en France, à chaque fois qu’une action répressive est engagée dans le domaine de la circulation routière, le taux de mortalité routière baisse sur une année environ, suivie d’une période plus ou moins longue de stabilité (ONISR, 2010). Nous pensons que cette stabilité est certainement due à d’autres actions de prévention centrées sur les représentations que les usagers de la route ont du risque et qui viennent les persuader de s’engager dans des comportements de sécurité durables.

Par contre, la multiplication des postes de contrôle routier peut produire l’inverse de l’effet escompté, dans certaines conditions. En effet, il semble qu’au Cameroun, les contrôles routiers renchérissent plutôt directement ou indirectement les charges de transport. Comme l’indiquent Rochon et Kendel (2008), « selon les enquêtes officielles, 26 à 34 % des charges

de transport viennent du racket des agents des services de sécurité sur les routes » (p.2). Le

fait de se faire racketter par les agents de sécurité peut générer des frustrations diverses chez les usagers de la route et favoriser plutôt des comportements insécuritaires. Par exemple, un conducteur professionnel qui se fait racketter peut s’engager dans des comportements infractionnistes et insécuritaires à l’instar du surcharge du véhicule, de l’excès de vitesse, dans le but de compenser le manque à gagner, créé par les agents de sécurité. Le phénomène du racket des usagers de la route et celui de la corruption dans le secteur des transports (Cadasse, 2003) est préoccupant et a d’ailleurs poussé les pouvoirs publics à créer un comité national de lutte contre la corruption (Biya, 2006) et à suspendre les contrôles routiers au Cameroun en 2010 (Nouwou, 2011). La corruption est susceptible de réduire davantage l’effet des contrôles routiers et de la peur du gendarme sur l’engagement des usagers de la route dans des comportements de sécurité durables.

Par ailleurs, selon les analyses causales de sources officielles (Ngoumbe, 2011), les comportements des conducteurs, des promoteurs et dirigeants de sociétés de transport, des

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propriétaires privés de véhicules, des passagers, des riverains et des piétons sont cités comme étant la cause de 70% des accidents qui surviennent sur les routes au Cameroun. Cependant, lorsqu’on examine les actions de prévention, on se rend compte qu’elles sont essentiellement répressives et orientées uniquement vers les conducteurs, les promoteurs et dirigeants de sociétés de transport. A notre connaissance, aucune action de prévention ne cible les comportements des passagers, des propriétaires privés de véhicules, des riverains dont les comportements ne sont pas exempts dans la causalité des accidents. Quand bien même les actions répressives sont mises en place, elles ne sont pas accompagnées d’actions formatives susceptibles d’affecter durablement les représentations du risque et favoriser l’adoption des comportements sûrs. Parmi les actions répressives orientées vers les conducteurs, on note par exemple que depuis l’année 2000, le permis de conduire peut être retiré à son propriétaire pour une durée maximale de deux ans à la suite d’un accident entrainant une incapacité de plus de 30 jours. De même, la licence de transport peut être retirée à un promoteur de société de transport par une commission du ministère des transports, pour une période de trois mois, suite à un accident mortel occasionné par un véhicule de sa société (Tsanga, 2000). Mais il semble qu’aucune action formative ou de recyclage n’est prévu pour les contrevenants pendant la période de suspension. Le permis de conduire est restitué à son propriétaire sur sa demande à la fin de la période de retrait. De même, la licence de transport est restituée à la fin de la période de suspension. Dans un cas comme dans l’autre, les personnes incriminées peuvent reprendre leurs activités comme avant. On peut se demander si le simple retrait du permis de conduire ou de la licence de transport, préjuge de l’adoption du comportement sûr à l’avenir sur les routes. Précisons qu’au Cameroun, le déplacement des populations par la route est assuré par des véhicules particuliers ou par des cars, des bus, des taxis et des moto-taxis exclusivement tenus par des acteurs privés.

Lorsqu’on aborde la sensibilisation marquée par les campagnes nationales de prévention routière, on note qu’elle est caractérisée par un déploiement massif des agents de sécurité et la multiplication des postes de contrôle routier. Or, nous avons noté plus haut que les contrôles routiers s’accompagnent au Cameroun du phénomène de racket dont les agents de sécurité sont présumés coupables. Par conséquent, il nous semble difficile pour les usagers de la route d’adhérer à des messages de prévention venant de personnes susceptibles d’être perçues comme étant des renchérisseurs du coût des transports. Lorsque les usagers de la route se font racketter par les agents de sécurité, l’image symbolique du gendarme peut devenir confuse dans leur esprit et contribuer à décrédibiliser la mission de sensibilisation des équipes de contrôle routier pendant la campagne de prévention. De plus, au regard de l’augmentation au

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fil du temps du nombre de morts et de blessés sur les routes du Cameroun (encore que les données ne sont pas fiables), on n’est pas certain que les usagers de la route adhèrent aux messages diffusés lors des campagnes médiatiques et des campagnes de proximité.

Enfin, il semble se dégager des sources officielles (Ngoumbe, 2011), une difficulté de coordination des actions de prévention routière au Cameroun. En effet, outre les pouvoirs publics, des organisations non gouvernementales (ONG) s’impliquent de plus en plus dans des activités de prévention routière au Cameroun. On a le sentiment que les actions de prévention routière sont menées par plusieurs acteurs qui se défendent d’assumer la responsabilité de leurs actions. Cela peut se refléter dans cette communication du représentant du ministère des transports au Cameroun : « Au Cameroun, bien que la définition et la mise en

œuvre de la politique nationale en matière de sécurité routière incombent au Ministère des Transports, faisant de cette organisation le garant des résultats, l’implémentation au plan opérationnel, des mesures de sécurité routière relève de plusieurs organisations publiques, voir privées. Chacune de ces organisations a par ailleurs ses propres missions, objet de sa raison d’être, et ne sont pas, au plan organisationnel partie du Ministère des Transports, ou sous l’autorité de celui-ci, en termes de résultat » (Ngoumbe, 2011, p.4)

Conclusion

Il est difficile d’avoir une idée précise sur le phénomène des accidents routiers au Cameroun à cause de la pauvreté et de l’incertitude sur la fiabilité des données. Mais, le phénomène est préoccupant dans ce pays et diverses actions de prévention sont mises en œuvre. Malgré l’intensification des campagnes de prévention routière, le durcissement des mesures répressives et la diversification des acteurs qui s’y investissent, on observe paradoxalement une recrudescence du nombre et de la gravité des accidents routiers dans ce pays. Ce paradoxe pousse à s’interroger sur l’efficacité des mesures de prévention proposées. Les dispositifs de prévention présentent plusieurs faiblesses. Notamment, la réglementation est peu précise sur les causes critiques des accidents comme la vitesse, l’alcool ou le port de la ceinture de sécurité. En outre, les actions de prévention, essentiellement répressives et peu

formatives, sont orientées uniquement vers les conducteurs et les promoteurs des sociétés de

transport. On ne retrouve pas les autres personnes dont les comportements participent à la cause de 70% des accidents au Cameroun dans les actions de prévention menées (propriétaires privés de véhicules, passagers, piétons, riverains). De plus, les actions répressives dont on n’ignore pas l’effet bénéfique à court terme sur les comportements face au risque ne sont pas

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accompagnées d’actions formatives pouvant affecter les représentations du risque et contribuer à l’engagement dans des comportements de sécurité durables. Au-delà du fait que les actions répressives peuvent avoir un effet bénéfique limité sur les comportements face au risque, il apparaît que le peu d’effet positif de ces actions peut être atténué au Cameroun par le phénomène de racket des usagers de la route dont se rendraient coupables les agents de sécurité lors des contrôles routiers.

Il semble que l’essentiel des actions de prévention routière au Cameroun est fondé sur une réglementation essentiellement répressive. Or, le droit n’est pas toujours dissuasif pour tous et la question d’une politique publique de sécurité routière essentiellement fondée sur le droit se pose avec acuité. En effet, selon Kouabenan (2007), dans le domaine des risques, la législation est utile, mais n’a qu’une action limitée. Pour lui, la définition des règles, leur compréhension, leur perception, leur respect, dépendent des capacités cognitives et des motivations des individus cibles qui sont sensés les appliquer. On constate pourtant que malgré l’existence d’une législation organisant la prévention routière au Cameroun, les pouvoirs publics ont des difficultés à coordonner les différentes actions de prévention et à les rendre efficaces. Cela peut expliquer le fait que certains acteurs clés (ministère des transports) se défendent d’assumer les résultats des actions de la prévention routière au Cameroun. Cette difficulté peut aussi être due au fait que l’action publique recherche plus volontiers à satisfaire des principes généraux telle que l’égalité des citoyens devant la loi, que des objectifs spécifiques (Pérez-Diaz, 2003). Et lorsque cette action est judiciaire, la recherche de l’égalité coïncide parfois difficilement avec celle d’équité (Pérez-Diaz, 1999). En effet, très souvent l’action publique réduit tout le monde au même niveau par principe d’égalité devant la loi. Or, dans la réalité tout le monde n’a pas la même perception, le même niveau de compréhension et le même niveau de pertinence perçu par rapport à un message de prévention.

Lorsqu’on aborde les actions de prévention par la sensibilisation, on remarque que même si elles ne sont pas permanentes, plusieurs acteurs s’y impliquent pour un résultat mitigé. En d’autres termes, la multiplication des parties prenantes dans les actions de prévention s’accompagne paradoxalement d’une augmentation du nombre et de la gravité des accidents. Au-delà du fait qu’on peut se demander si les usagers adhèrent aux messages de prévention qui leur sont destinés lors des campagnes ou des actions répressives, on peut se poser la question de savoir qu’est-ce qui explique leurs comportements sur les routes au Cameroun. C’est la question à laquelle nous essayons de répondre dans cette thèse.

Nous pensons que la perception que les individus peuvent avoir du risque routier et l’explication qu’ils fournissent pour les accidents peuvent permettre de mieux comprendre

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leurs comportements. Les croyances constituent un élément central dans les études sur la perception du risque et sur l’explication des accidents. Cette approche centrée sur les croyances fait l’objet du modèle de l’explication causale naïve de l’accident (Kouabenan, 1999) qui apporte beaucoup à la compréhension des comportements face au risque. Nous nous inspirons de ce modèle dans notre thèse pour essayer de comprendre les comportements des Camerounais sur les routes. Le chapitre qui suit présente ce modèle et ses apports à la compréhension des comportements face au risque.

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Chapitre 2 : Les explications naïves : une voie d’analyse des

comportements de sécurité

Introduction

En psychologie, une conduite individuelle résulte très souvent de l’interaction entre des forces appartenant au milieu et à la personne. La connaissance des éléments constitutifs de l’environnement et des processus psychologiques en œuvre chez l’individu peuvent permettre de comprendre la conduite de ce dernier. Les processus psychologiques individuels peuvent être cognitifs, affectifs ou motivationnels. L’explication naïve (Kouabenan, 1982, 1999) est l’un des processus cognitifs implicites qui permet à l’individu de donner un sens aux évènements qu’il observe ou dont il est la cible. Donner un sens aux évènements qui l’entourent est un besoin humain et vital pour l’individu. Ce dernier cherche naturellement à comprendre ce qui se passe autour de lui afin d’envisager la manière de se comporter. Pour donner du sens aux évènements, l’individu est appelé à démêler un ensemble d’éléments causaux qui sont susceptibles d’avoir contribué à la survenue de ceux-ci. Cette quête est fondée sur l’attribution causale, une notion théorisée en psychologie sociale, dont les nombreuses applications permettent de comprendre comment les individus expliquent les évènements inhabituels tels que les accidents et comment ils se comportent vis-à-vis d’eux.