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Chapitre 4 : Rôle des croyances dans l’analyse des comportements de sécurité

7. Les croyances culturelles dans les études sur les risques et les accidents

On note de plus en plus de recherches qui examinent le lien entre la culture et les explications naïves d’une part et entre la culture et la perception des risques d’autre part. Helweg-Larsen et Nielsen (2009) montrent par exemple que les fumeurs Danois minimisent le risque du cancer des poumons plus que ne le font les fumeurs Américains. Gierlach, Belsher et Beutler (2010) notent que les Japonais redoutent les catastrophes naturelles et les actes terroristes tandis que

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les Américains et les Argentins redoutent peu les actes terroristes. Ce dernier résultat peut s’expliquer par le fait que les Argentins n’ont pas beaucoup d’expériences des actes terroristes d’une part, et par le fait qu’il y ait une hypermédiatisation des dispositifs de lutte contre le terrorisme qui peut finir par rassurer les Américains et abaisser leur vulnérabilité perçue face au terrorisme.

De même, plusieurs travaux rapportent des explications causales différentielles en fonction de l’appartenance ethnique. Norenzayan et Lee (2010) montrent par exemple que les Canadiens d’origine asiatique attribuent des évènements au sort plus que ne le font les canadiens d’origine européenne. Choi, Dalal, Kim-Prieto et Park (2003) quant à eux notent que les Coréens font plus d’attributions externes que les Américains. Choi, Nisbett et Norenzayan (1999) expliquent comment la tendance observée chez les participants d’origine asiatique à préférer des explications externes ne traduit pas une absence de pensée dispositionnelle, mais plutôt la tendance à concevoir l’individu comme étant le produit du contexte social dont il est membre. La préférence pour des explications externes chez ces peuples serait alors due à de fortes croyances à un déterminisme situationnel des comportements.

Ces résultats semblent converger vers l’idée que les individus issus des cultures collectivistes ont tendance à faire des explications externes voire fatalistes et que les membres des cultures individualistes tendent à faire des explications internes. Une idée qu’on retrouve dans les travaux de Morris et Peng (1994). Cependant, concevoir la culture sur la seule base de l’appartenance à un groupe culturel semble réducteur à partir du moment où les individus d’un même groupe n’ont pas toujours le même degré d’adhésion aux croyances culturelles et aux pratiques qui les sous-tendent. Les travaux de Hofstede (1980, 1983, 1984, 1994, 2002), Hofstede, Hofstede et Minkov (2010) semblent se démarquer de ce réductionnisme et abordent la culture sous l’angle des dimensions qu’on retrouverait dans toutes les cultures. Ces auteurs estiment qu’on retrouve dans chaque culture les sept dimensions suivantes : la

distance de pouvoir1, l’individualisme/collectivisme2, la masculinité/féminité3, l’évitement de

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1La distance de pouvoir définit à quel point les personnes les moins puissantes d’une organisation ou d’une société envisagent et acceptent que le pouvoir soit distribué inégalement.1

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1L’individualisme s’oppose au collectivisme et désigne une société dont les liens entre les individus sont perdus : chacun est sensé s’occuper de soi et des membres de sa famille proche. Le collectivisme désigne une société dans laquelle les individus sont intégrés dès leur naissance dans un groupe d’appartenance solide qui continue à les protéger toute la vie sans en attendre quoi que ce soit en échange1

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1La masculinité s’oppose à la féminité et désigne une société dans laquelle les rôles sociaux sont clairement distincts en fonction du genre ; une société dans laquelle les hommes sont sensés être sûrs d’eux, durs et plus portés vers des succès matériels. Tandis que les femmes sont supposées être tendres, modestes et plus préoccupées par la qualité de vie.1

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l’incertitude4, l’orientation dans le long terme5, l’indulgence/restriction6 et le

monumentalisme7. Hofstede et ses collaborateurs proposent d’effectuer des comparaisons

culturelles sur la base de ces dimensions. Les dimensions de la culture nationale permettent de faire des comparaisons entre des pays ou des grands groupes et non entre les individus. De sorte que si un pays se révèle beaucoup plus porté sur l’extrémité collectiviste de la dimension individualisme/collectivisme par exemple, on conclura que les personnes originaires de ce pays ont une tendance collectiviste. Pourtant, il doit certainement exister des différences individuelles au niveau de chaque dimension de la culture nationale, même si on note une tendance pour les peuples d’un même groupe à préférer une extrémité d’une dimension dans leur expression culturelle. Malgré toute la richesse de l’approche de Hofstede qui permet de comprendre les grandes tendances culturelles d’un peuple, elle n’apporte pas de solution à la différenciation des individus dans un même groupe culturel.

L’appel au développement d’une approche de la culture pouvant permettre d’accéder à des caractéristiques culturelles au niveau individuel a trouvé récemment une réponse dans une étude de Yoo, Donthu et Lenartowics (2011). Ces auteurs ont développé et validé une échelle de mesure au niveau individuel de cinq des sept dimensions de la culture nationale de Hofstede (1980, 2002). Les applications de cette nouvelle échelle restent attendues. Même si une nouvelle échelle (qui n’est pas encore appliquée) tente de mesurer les dimensions de la culture nationale au niveau individuel, on n’est pas encore sorti du réductionnisme de la culture à l’appartenance à un groupe. En outre, une étude de Mearns et Yule (2009) montre que la distance de pouvoir, l’individualisme/collectivisme et la masculinité/féminité n’ont qu’un effet dérisoire sur l’implication dans des actions de sécurité dans une entreprise multinationale employant des personnes d’origines diverses. Cette étude révèle plutôt que le climat de sécurité est un déterminant critique de l’engagement dans des comportements de sécurité.

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1L’évitement de l’incertitude définit à quel point les membres des institutions et des organisations se sentent menacés par des situations incertaines, inconnues, ambigües ou non structurées.1

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1L’orientation dans le long terme s’oppose à l’orientation dans le court terme et désigne une société qui prône les vertus des récompenses futures en particulier l’adaptation, la persévérance et l’économie. L’orientation dans le court terme désigne une société qui prône les vertus du passé et du présent, en particulier le respect des traditions, la préservation de l’honneur et le respect des obligations sociales.1

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1L’indulgence s’oppose à la restriction et désigne une société qui autorise une relative liberté de satisfaction des désirs et des sentiments, surtout des désirs en rapport avec des loisirs, la fête avec des amis, les dépenses, la consommation et le sexe. La restriction désigne une société qui contrôle ce type de liberté et dans laquelle les gens se sentent peu capables de profiter de leur vie.1

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Le monumentalisme s’oppose à la discrétion et désigne une société qui récompense des gens qui sont comme des monuments. La discrétion désigne une société qui récompense l’humilité et la flexibilité.

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La nécessité de prendre en compte les croyances et les pratiques culturelles des immigrés dans la prise en charge de leurs troubles psychopathologiques a favorisé une ligne de recherches sur les valeurs culturelles. Reynolds, Quevillon, Boyd et Mackey (2006) sont les premiers à développer une échelle de mesure des valeurs culturelles au niveau individuel, pour des besoins de prise en charge. Leur échelle permet de connaître l’adhésion individuelle aux pratiques culturelles reposant tant sur des valeurs de sécurité, d’identité que sur les valeurs culturelles de manifestation de joie. La récente validation de cet outil (Reynolds, 2009) n’a pas encore donné lieu à des études qui permettent de comprendre comment les croyances culturelles, sous-tendues par l’adhésion à des valeurs culturelles peut permettre de comprendre l’attitude des individus vis-à-vis des risques et des accidents. Néanmoins, les avancées dans la littérature sur les croyances culturelles sont prometteuses pour l’avenir. Les nouveaux outils de mesures des croyances culturelles au niveau individuel permettront certainement de clarifier l’apport de celles-ci pour l’évaluation subjective du risque et l’explication des accidents. Les croyances culturelles se présente comme étant un déterminant critique de l’attitude vis-à-vis des risques et des accidents à partir du moment où l’individu est le produit de son groupe social d’appartenance surtout dans les sociétés collectivistes. En ce sens que l’individu est intégré dès la naissance dans un groupe qui l’encadre sans en attendre quoi que ce soit en retour ; un groupe qui lui indique ce qui est bon de faire dans diverses situations.

Conclusion

Nous venons de voir comment les croyances s’imposent comme étant un déterminant critique de l’évaluation subjective du risque et de l’explication des accidents. En effet, ces deux processus psychologiques de par leur complexité et l’incertitude qui les entoure, offrent un cadre propice à l’expression de croyances diverses, susceptibles de les biaiser et de conduire à des comportements inappropriés. Le contexte camerounais caractérisé par une montée incompréhensible de l’insécurité routière est favorable à l’émergence des croyances. De plus, les diverses pratiques culturelles et religieuses qu’on trouve au Cameroun apportent certainement un soutien psychologique aux populations désemparées face à l’insécurité routière. Cependant, ces pratiques entretiennent des croyances qui peuvent concourir à une appréciation plus ou moins juste du risque et à une analyse biaisée des accidents. Par exemple, dans la tradition culturelle des grassfields, la recrudescence des malheurs dans la société est très souvent interprétée comme étant une manifestation de la colère des ancêtres. Une telle

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conception de la causalité des malheurs favorise des rituels et des sacrifices comme le moyen susceptible de restaurer l’ordre. Ainsi, les personnes issues de cette tradition culturelle et qui adhèrent à ces croyances, peuvent avoir tendance à se fier à de telles pratiques pour se protéger des accidents routiers, en négligeant certaines règles élémentaires de sécurité. Cet exemple montre que pour comprendre la perception que les Camerounais ont du risque et l’explication qu’ils fournissent pour les accidents routiers, il est nécessaire d’étudier leurs croyances. Nous nous proposons d’étudier le lien entre les croyances des Camerounais, leur perception du risque et les explications qu’ils fournissent pour les accidents, dans le but de comprendre leurs comportements sur les routes. Le chapitre 5 qui suit est le lieu pour nous de poser la problématique de la présente thèse et de présenter le modèle qui va sous-tendre nos études.

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Chapitre 5 : Adopter une approche naïve pour comprendre les