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Chapitre 1 : Les accidents routiers au Cameroun : un problème de santé publique

2. Le modèle de l’explication causale naïve de l’accident

2.1. Les déterminants de l’explication causale naïve de l’accident

2.1.1. Les déterminants socioculturels de l’explication naïve

Donne lieu à Peut déterminer

Figure 1 : Modèle de l’explication causale naïve de l’accident (Kouabenan, 1999, p.77).

2.1. Les déterminants de l’explication causale naïve de l’accident

Kouabenan (1999) distingue trois types de déterminants de l’explication causale naïve de l’accident. Il s’agit des déterminants organisationnels et socioculturels, des déterminants individuels et de la gravité de l’accident. Nous n’aborderons pas tous ces facteurs dans leur exhaustivité, nous nous limiterons à ceux qui sont pertinents pour notre thèse. Ainsi, nous nous intéressons aux déterminants socioculturels, individuels et à la gravité de l’accident, qui nous semble pertinents dans l’explication des accidents de la route au Cameroun.

2.1.1. Les déterminants socioculturels de l’explication naïve

Nous abordons dans ce paragraphe l’effet que le statut dans le trafic routier et la culture peuvent avoir sur l’explication des accidents. Notamment, nous voyons d’une part comment

ACCIDENT

COMPORTEMENT VIS-A-VIS DE LA SECURITE CARACTERISTIQUES DE LA

VICTIME (croyances, valeurs, position hiérarchique, personnalité, gravi des blessures, degréd’information, habiletés, culture, etc.)

EXPLICATIONS CAUSALES

CARACTERISTIQUES DE L’ACCIDENT (nature, gravité des blessures, répercussions économiques, etc.)

RELATION ENTRE LA VICTIME ET L’ATTRIBUTEUR (coéquipier, ami, connaissance, supérieur hiérarchique, subordonné, climat d’entente ou de conflit, etc.)

CARACTERISTIQUES ATTRIBUTEUR

(degré d’implication : témoin, auteur, victime, croyances, culture, sexe, âge, personnalité, position hiérarchique ou statut social, etc.)

CIRCONSTANCES (climat social antérieur et présent, état physique des lieux, situation économique de l’organisation, personnes présentes au moment de l’accident, etc.)

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les conducteurs et les piétons expliquent les accidents et d’autre part comment la culture peut affecter l’explication des accidents.

L’impact du statut sur les explications causales

Selon Hamilton (1978), les gens réagissent selon la place qu’ils occupent et le rôle qu’ils jouent dans un système social. En s’inspirant de cette idée, Kouabenan (1990) montre comment conducteurs et piétons expliquent différemment les accidents. L’auteur invite 120 participants (conducteurs et piétons) à indiquer sur une liste de 28 facteurs d’accidents (14 facteurs internes aux conducteurs et 14 facteurs externes à ces derniers), ceux qui, selon eux, interviennent dans l’occurrence des accidents dans leur pays de résidence. Il note que les conducteurs attribuent prioritairement les accidents de la route à des facteurs externes tandis que les piétons les attribuent massivement à des facteurs internes aux conducteurs. Dans une autre étude, Kouabenan et al. (2001) notent que les individus ont tendance à attribuer l’accident à la victime lorsque celle-ci appartient à un niveau hiérarchique différent du leur ; tandis qu’ils mentionnent davantage des facteurs externes à la victime lorsque celle-ci a le même niveau hiérarchique qu’eux. Cela montre que le statut d’un individu dans la société est susceptible de l’inciter à fournir des explications causales qui protègent ceux ayant le même statut que lui et à privilégier le rôle causal des autres pour expliquer un malheur. Cette manière d’expliquer les accidents par des causes externes, semble varier selon les cultures.

Le rôle de la culture dans les explications causales

La culture est une notion définie diversement dans la littérature. La définition de Kouabenan (1999) nous semble simple et plus intégrative. Pour cet auteur, la culture « définit

le système de croyances, de valeurs, de représentations et d’expériences partagées par les gens du même groupe d’appartenance » (Kouabenan, p.99). Si on s’en tient à cette définition,

il ne suffit pas d’être membre d’un groupe pour se réclamer de la culture de ce groupe, encore faut-il partager des croyances, des valeurs, des représentations et des expériences communes avec ce groupe. Abordant le rôle de la culture sur les explications causales, Kouabenan (1999) rapporte quelques études qui montrent des explications causales différentielles en fonction de l’appartenance culturelle. Il cite par exemple l’étude de Morris et Peng (1994) qui montre que les personnes issues des cultures individualistes ont tendance à privilégier des explications dispositionnelles au détriment des explications situationnelles, contrairement aux cultures collectivistes. De plus, il rapporte une étude de Gonzales et al. (1990) qui montre que les

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explications en termes d’excuses sont plus présentes que les explications en termes de déni ou de justification chez des groupes ayant peu de pouvoir ou ayant un statut hiérarchique inférieur. A la suite de Morris et Peng (1994), Gyekye (2006) note dans une étude interculturelle réalisée dans deux industries (Finlandaise et Ghanéenne), que les salariés d’origine Finlandaise (individualistes) expliquent les accidents davantage par des facteurs internes et dispositionnels tandis que leurs collègues Ghanéens (collectivistes) privilégient des causes externes et contextuelles dans leurs explications. Les résultats de Gyekye (2006) corroborent des travaux antérieurs. En effet, plusieurs études soulignent une propension à rechercher la causalité et la responsabilité dans des facteurs externes à l’individu dans les cultures collectivistes, contrairement aux cultures individualistes où la causalité et la responsabilité sont recherchées en priorité dans les dispositions individuelles (Choi, Nisbett & Norenzayan, 1999; Higgins & Gira, 2001; Peng & Nisbett, 1997).

Cependant, nous remarquons que toutes ces études concluent sur les explications différentielles suivant le seul fait d’appartenir ou non à un groupe culturel. Or, appartenir à un groupe culturel ne préjuge pas forcément de l’adhésion aux pratiques culturelles en vigueur dans ce groupe et aux croyances qui les sous-tendent. Ce sont pourtant les pratiques culturelles en vigueur dans un groupe qui font sa spécificité et qui façonnent la manière d’aborder les risques et les accidents par ses membres. Le degré d’adhésion à ces pratiques culturelles peut certainement introduire des variations dans l’explication fournie pour les accidents dans le même groupe culturel. Cela revient à dire que les études sur la culture peuvent faire croire qu’il y a unanimisme dans les groupes culturels collectivistes quant à la recherche de la causalité et de la responsabilité dans des facteurs externes à l’individu. Dans le contexte actuel de la globalisation, on assiste à la multiplication de divers échanges entre les peuples. Ces échanges peuvent entraîner une adhésion différentielle aux pratiques culturelles ; ce qui est susceptible d’introduire des variations significatives d’explications causales des accidents entre les membres d’un même groupe culturel. Ainsi, au-delà de l’appartenance à un groupe culturel au Cameroun, il est possible que les individus se distinguent dans leur manière d’expliquer les accidents de la circulation par leur degré d’adhésion aux croyances, aux valeurs et aux pratiques culturelles. Par ailleurs, Kouabenan (1999) met en exergue le fatalisme comme étant une forme de croyance qu’on retrouve dans toutes les cultures et qui affectent les explications causales des accidents de la route.

40 Le fatalisme

Les études abondent sur les croyances fatalistes, présentées comme étant un des déterminants des explications causales qu’on peut retrouver dans toutes les cultures. Kouabenan (1999) rapporte à cet effet, les travaux des auteurs comme Hewstone (1993, 1994), Morris et Peng (1994). Ces auteurs montrent comment les évènements négatifs, les catastrophes, même naturels, sont expliqués par des causes invisibles sous des formes variées aussi bien dans les sociétés traditionnelles africaines que dans les sociétés occidentales modernes. Des illustrations des explications différentielles en fonction des croyances fatalistes se trouvent dans plusieurs travaux dans le domaine de la circulation routière (Kouabenan, 1998 ; Peltzer & Renner, 2003). Par exemple, Kouabenan (1998) invite les participants à se prononcer sur des propositions exprimant du fatalisme sur une échelle du type Likert, puis à indiquer l’importance d’un certain nombre de causes plausibles, dans la survenue des accidents. Les causes sont constituées des facteurs internes au conducteur et des facteurs externes à ce dernier. Il observe que les participants fatalistes attribuent les accidents aux facteurs hors du contrôle du conducteur et considèrent comme moins importants les facteurs impliquant sa responsabilité ou sa prise d’initiative. L’exemple de cette étude montre bien qu’à l’intérieur d’un même groupe culturel, les individus expliquent différemment les accidents selon qu’ils sont fatalistes ou non. Il peut en être certainement de même selon qu’ils partagent telles croyances, telles représentations de l’accident ou telles pratiques sensées prémunir les membres du groupe d’un malheur. Par conséquent, il serait intéressant de savoir comment les membres des groupes culturels au Cameroun expliquent les accidents suivant leur degré d’adhésion aux croyances et pratiques culturelles en vigueur dans leur groupe. Outre les déterminants socioculturels que nous venons de présenter, les explications causales sont également déterminées par de multiples variables liées à l’individu qu’il nous semble important d’être mentionnées ici.