• Aucun résultat trouvé

2 L’air, le souffle, le vent et l’âme

3.1 La corde dans les sciences et son rôle dans la mécanisation du monde

3.1.1 Le rêve des machines

L’âge classique ne cesse de rêver – et de réaliser – des machines : le monde scientifique se « mécanise » ! Dans le domaine de la musique par exemple, Etienne Loulié présente dans ses

Elémens de musique en 1696 son chronomètre, un ancêtre du métronome93. Cet instrument

permet d’indiquer précisément le temps musical.

Le Chronomètre est un Instrument par le moyen duquel les Compositeurs de Musique

pourront desormais marquer le veritable mouvement de leur Composition, & leurs Airs marquez par rapport à cet Instrument se pourront executer en leur absence comme s’ils en battaient eux-mêmes la Mesure. (Loulié 1696 : 83)

Disposant d’un corps en bois et muni d’une règle qui indique des subdivisions de 1 à 72, cet instrument à une hauteur de deux mètres. En haut est attaché un petit cordon, réglable en longueur grâce à une cheville. En bas du cordon, une pendule est fixée que l’on règle selon les indications sur le corps (cf. fig. 10). Elles se composent des chiffres de 1 à 72 qui correspondent à la vitesse de la pièce.

93 Le métronome à pulsation audible comme on l’utilise aujourd’hui, inventé par Johann Nepomuk Mälzel, fut breveté en 1816.

103

La technique de cet instrument sera reprise et développée par Louis Léon Pajot, comte d’Ons-en-Braz. Il présente en 1732 à l’Académie royale des Sciences de Paris une version sonore du chronomètre, appelée métromètre. La machine est décrite dans les Annales de l’Académie de

1735 dans un article intitulé « Description et usage d’un Metrometre, ou Machine pour battre les Mesures & les Temps de toutes sortes d’Airs ».

L'échomètre de Sauveur (fig. 11), présenté en 1701 à l’Académie des Sciences, correspond à un nouveau type d’évolution et d’élargissement du chronomètre de Loulié. Il combine deux chronomètres de façon à ce que le deuxième divise les indications du premier en douzièmes parties de seconde, et de tierce de temps (il existe donc la possibilité d’une subdivision binaire comme ternaire des temps musicaux). On peut ensuite l’utiliser pour mesurer la durée des notes par rapport à la valeur d’une seconde. La nouvelle machine permet d’ailleurs également de calculer mathématiquement les sons aigus et bas en intervalles correspondant à un système de subdivision de la gamme proposée par Sauveur (cf. ch. 3.1.4).

Les possibilités de l’échomètre seront utilisées pour la première fois dans la sixième édition des Principes très

faciles pour bien apprendre la Musique de Michel d’Affilard (1705) qui indique en tête de plusieurs pièces le mouvement souhaité par le nombre des vibrations du pendule.

Figure 10 : Le chronomètre de Loulié (1696 : pages non paginées). Source : gallica.bnf.fr, consultée le 12 févr. 2018.

104

Destinés à mesurer avec exactitude des paramètres musicaux en collectionnant et en comparant des données sur le rythme (ou bien sur la hauteur), le chronomètre et l’échomètre créent la possibilité de répéter et de reproduire un élément isolé. Etablissant des critères pour un aspect choisi, ces machines assurent un progrès méthodique pour un certain nombre de questions : ils montrent que (et comment) il est possible de maîtriser un élément composé de maintes parties constituantes par isolation des paramètres.

Dans le domaine linguistique, la reproduction artificielle du langage humain fascine les philosophes comme les grammairiens. Le rêve de la maîtrise artificielle du langage se trouve dans les débats sur les sourds-muets, mais aussi sur l’apprentissage et sur le langage d’action.

105

La machine à parler imaginée entre autres par Descartes, Lamy, La Croix et Rousseau (« je ne regarderois pas comme une

entreprise impossible de faire parler un jeu d'anches, si je voyois les moyens de lui donner les articulations », Rousseau 1755 : 332), a d’ailleurs existé à l’âge classique. L’exemple le plus connu est certainement celle réalisée par Wolfgang von Kempelen à la fin du XVIIIe siècle (cf. fig. 12). D’autres inventeurs

comme Christian Gottlieb Kratzenstein94 et

l’Abbé Mical95 ont pourtant déjà présenté

quelques innovations dans ce domaine avant Kempelen96.

Capable d’articuler des notes et de petites phrases, la machine de Kempelen est décrite de manière détaillée dans l’ouvrage intitulé Mechanismus der menschlichen Sprache

nebst Beschreibung einer sprechenden Maschine de 1791. Elle fonctionne à l’aide d’un soufflet, d’une anche (pour simuler l’activité du larynx), d’un porte-vent (dirigeant l’air dans les différents tuyaux), d’un résonateur principal qui modélise le « conduit vocal » et de tuyaux supplémentaires pour les différents types de sons97.

94 L’Allemand Christian Gottlieb Kratzenstein expose en 1780 à Saint-Pétersbourg un appareil permettant l’imitation des voyelles à l’aide de résonateurs acoustiques sous forme d’anches libres.

95 L’Abbé Mical publie en 1783 à Paris un travail sur deux têtes parlantes dont le fonctionnement concret reste pourtant assez flou. Il semble qu’il utilisait des glottes artificielles, actionnées par l’air, qui imitaient la voix humaine. Montmignon (1785 : 129-143) consacre tout un chapitre à la description des « têtes parlantes » de l’Abbé Mical.

96 Pour plus d’informations sur ces machines, voir Elie et al. (en préparation). Les auteurs mentionnent également l’existence de machines parlantes avant le XVIIIe siècle comme celle de Gerbert d’Aurillac (938-1003), celle d’Albert le Grand (1198-1280) et celle de Roger Bacon (1214-1294).

97 Cf. la proposition d‘une image de l’appareil phonatoire comme machine (compris comme « une association

d’organes dont chacun possède un certain champ de liberté et dont les mouvements respectifs sont reglés par un programme, appris généralement dans l’enfance »), proposée par Leipp & Castellengo (1969, notamment

la figure 2).

Figure 12 : La machine parlante à clavier, imaginée par von Kempelen (1791). Source : books.google.com, consultée le 12 févr. 2018.

106

L'auteur assure que sa machine combine les concepts de Dodart et de Ferrein. Pour lui, ce ne sont que deux différentes manières de voir l'acte phonatoire.

L’Air qui passe par la glotte fait le même effet que l’archet sur les cordes. Il frotte les bords & les ébranle plus ou moins promptement, selon qu’ils sont plus ou moins tendus. Considérée de ce côté notre voix doit être mise au nombre des instrumens à cordes. [* note : Ceci a été l’opinion de Mr. Ferrein.] Dodart ne trouve pas la

différence des tons dans la tension de la glotte, mais dans l’élargissement & le retrécissement de son ouverture, & alors la voix se trouverait au nombre des instrumens à vent. Mais il est très aisé de réunir ces deux opinions, & elles ont chacune leur poids considérées sous différents points de vue. (Kempelen 1791a : 84- 85) 98

La description de la machine recourt alors souvent aux différents instruments de musique. L’automate étonnait de toute façon les contemporains. L’un d’entre eux nous a laissé le témoignage suivant :

Les premiers mots que nous entendîmes étaient « Mama, Papa, à ma chere Mama on m‘a fait du mal. » Et ensuite chacun de la société pouvait demander un mot. La machine les prononçait tous avec la plus grande clarté. Elle prononce même les doubles voyelles et consonnes très nettement et très justement. Le ton est celui d’un enfant de trois ans. Il arrivait que le mot n’était pas bon lors du premier essai et que l’artiste devait faire plusieurs essais. Il s’excusait en disant que celui qui fait des violons n’est pas automatiquement un parfait instrumentiste.99

Un autre objet très médiatisé est le clavecin oculaire du père Louis-Bertrand Castel (1688- 1757), autant admiré que contesté comme un vrai progrès scientifique100. Dans un article intitulé

« Clavecin pour les yeux, avec l’art de peindre les sons et toutes sortes de pièces de musique », publié en novembre 1725 dans le Mercure de France, Castel, disciple de Newton et de Rameau, essaie d'établir une correspondance visible entre le ton et la couleur.101 Pour cela, il s'appuie sur

98 « Die durch die Stimmritze durchstreichende Luft thut das, was bey den Saiten der Bogen. Sie reibt ihre Kanten, und macht sie bald langsamer bald geschwinder beben, je nachdem sie mehr oder weniger gespannt sind. Und von dieser Seite betrachtet, gehörte unsere Stimme zu den Saiteninstrumenten [* note : Dieses war die Meinung des M. Ferrein. Recueil de l'academie des Sciences, année 1741]. Dodart aber hat die Verschiedenheit der Töne nicht so viel in die Spannung der Stimmhäutchen, als in die Erweiterung und Verengerung der Oeffnung gesetzt, und so würde die Stimme zu einem Wind= oder Blaseinstrument. Allein beyde Meinungen lassen sich vereinbaren, und sie können in verschiedener Betrachtung beyde volles Gewicht für sich haben. », Kempelen (1791 : 82-83).

99 « Das erste was wir hörten war : ‚Mama, Papa, à ma chere Mama on m‘a fait du mal.‘ Und nun konnte jeder

in der Gesellschaft ein Wort fordern. Alle sprach die Maschine mit der größten Deutlichkeit aus. Auch die doppelten Vocale und Konsonanten pronunciirt sie sehr rein und richtig. Der Ton ist wie bei einem Kind von drei Jahren. Zuweilen kam das verlangte Wort nicht gleich zum erstenmal richtig heraus, der Künstler mußte verschiedene Versuche machen. Er entschuldigte sich damit, daß einer, der die Violinen macht, sie darum nicht auch fertig spielen könne. » Anonymus (1784), Schreiben über die Kempelische Schachspiel- und Redemaschine, Hessische Beyträge zur Gelehrsamkeit und Kunst, vol. 1, n°. 3, Francfort, p. 475-487, ici p. 483-484. Cité d’après Brackhane (2011 : 21-22). Traduction : C. S.

Kob (2014 : 113) affirme qu‘ « un joueur expert peut produire des phrases intelligibles avec l’appareil. » Sur les projets des automates parlants voir aussi Séris (1995 : 240-248).

100 Par exemple, dans notre corpus, chez Blanchet (1756 : 41).

101 Deux autres articles paraissent en février et en mars 1736 dans le Mercure de France, intitulés « Démonstration géométrique du clavecin pour les yeux & pour tous les sens, avec l’éclaircissement de

107

l'idée ramiste des proportions harmoniques. Mécaniquement, la construction de la machine est fondée sur des calculs mathématiques et l’exploitation du savoir des sciences techniques. Son but est de peindre par la couleur les sons : la mécanique est expressément au service de la sensation de l'âme102. Malgré la fascination évoquée par cette machine (qui se traduit par le

nombre élevé des évocations dans les textes divers), Rousseau critique dans le livre VII de ses

Confessions justement cette mise en parallèle et dénonce la discordance entre le son, éphémère de nature, et la couleur qui, au contraire, est permanente. La machine ne prenant pas en considération un des traits les plus caractéristiques de la voix, pour l'auteur, ce clavecin fait partie des « absurdités » que l'on a créées dans les arts à la suite de découvertes et d'observations scientifiques, puisque « c'était bien mal connaître les opérations de la nature, de ne pas voir

que l'effet des couleurs est dans leur permanence et celui des sons dans leur succession » (Rousseau 1750/60 : 56). Nous reviendrons à ce sujet dans la deuxième partie, dans le chapitre 1.2.2.

3.1.2 L’image de la corde revendique l’exactitude scientifique

Les découvertes provoquent non seulement d'autres concepts et réflexions chez les grammairiens et chez les musiciens, elles s'accompagnent aussi de nouveaux modèles représentatifs. Il ne s'agit pourtant pas d'un développement que l'on peut suivre chronologiquement, mais les signes de ce mouvement se manifestent ponctuellement ici et là. De nouvelles traditions apparaissent qui coexistent longtemps avec les anciens modèles, mais qui exercent sans doute une influence sur le long terme.

Dans les grammaires, les expérimentations de Ferrein entraînent l'abandon progressif de l'image du type Dodart, plus générale et fondée sur une conception du monde sur fond de culture religieuse. La nouvelle image du type Ferrein incorpore le caractère rationnel favorisé à l'époque, car elle correspond à une approche exacte des détails (organiques et fonctionnels) essentiels repérables, qui constituent l'appareil phonatoire. Le moyen d'effectuer des recherches démontrables par l'expérimentation que l'image de la corde essaie de transporter, souligne la

quelques difficultés et deux nouvelles observations » et « Difficultés sur le clavecin oculaire avec leurs réponses ». Comme l’indiquent les titres, Castel y poursuit la théorie de la correspondance entre la couleur et le son.

102 Des projets pour une telle machine existent aux XVIe et XVIIe siècle déjà, par exemple chez Cardin, Opus

novum de proportionibus (Bâle 1570, prop. 167) ou chez Kircher, Murusgia universalis (Rome 1650), sans que les auteurs n'aient réussi à la construire.

108

dichotomie cartésienne entre corps et âme tout en accentuant l'aspect corporel qui permet le recours aux faits prouvables. Le critère unique peut être interprété comme la preuve de la pertinence de l'analyse.

Le phénomène se manifeste dans les grammaires par l'idée que tous les critères ne revêtent pas la même importance, reprise et développée par exemple chez Boindin, chez Duclos ou Boulliette. Nous reparlerons de leurs réflexions sur le classement des sons (où le critère unique va revêtir une certaine importance) dans la deuxième partie (notamment ch. 2.4.) de ce travail. L’exemple le plus clair est certainement le tableau à plusieurs entrées qu’établit Beauzée pour les voyelles : les différents critères établis sont mis en relation selon un ordre d’importance et d’interrelation. A ces fins, la représentation iconographique sous forme de tableau, déjà utilisée chez Arnauld et Lancelot et chez Dangeau pour l'explication des consonnes, mais toujours dans une forme simple qui oppose et compare les sons, est développée chez Beauzée. Elle visualise la hiérarchisation effectuée des critères (cf. partie II, ch. 2.4.2). En même temps, on constate que ce gain en systématisation est – logiquement – accompagné de la perte de la linéarité. On change de paradigme.

Généralement, on peut constater l'apparition d'un nouveau type de solution aux questionnements, un type qui se fonde sur des éléments qui résultent d'une sorte de calcul. Un exemple : par une séparation des grandes classes des sons du langage en voyelles et en consonnes et conforme à l’idée de la dichotomie de Descartes, la voyelle devient aussi un objet. La formule que l'on peut souvent lire sous une forme comme celle prise de l'Encyclopédie (art. « voyelle »), disant que la voyelle correspond à « une simple émission de la voix » témoigne de ce processus. On cherche à trouver des systématisations ou, en d’autres termes, des solutions claires et nettes, justifiables et prouvables par l’expérimentation. Les essais d'une représentation graphique comme le sont les tableaux pour les consonnes (comparatif dans la GGR, synoptique chez Dangeau, cf. partie II, ch. 3.1.2), se révèlent toutefois difficile pour la classe des voyelles. Les tableaux que Beauzée dresse pour les différentes classes des sons, les voyelles et les consonnes (cf. partie II, ch. 2.4.2 et 3.1.2), ne contiennent finalement pas les semi-voyelles, que d'autres auteurs comme Boindin ou Duclos cherchent à intégrer de manière systématique dans leurs systèmes, en établissant une sous-catégorie à part. C’est la conséquence de la démarche typique de Beauzée. Une classification hiérarchisante apporte non seulement la mise en valeur de certains critères, mais elle implique aussi l'exclusion de quelques sons des tableaux « généraux » : le processus de rationalisation et d'objectivation peut aussi bien être la

109

conséquence d'un nombre croissant de données, qu'elle peut signifier une réduction du matériau ou des critères à l'essentiel.

Le deuxième cas, correspondant ici au choix conscient d'un critère unique, se trouve par exemple dans la GGR (1660 : 9) qui propose un ordre linéaire des voyelles selon l'aperture de la bouche, c'est-à-dire la forme de la fin du canal par lequel l'air passe (cf. partie II, ch. 2.1) :

a, ê, é, i, o, ô, eu, ou, u, e muet

Bien que les auteurs de la GGR évoquent avec la quantité [i. e. la longueur vocalique] et le trait labial des sons d'autres critères qui peuvent également entrer en jeu pour décrire les voyelles, la linéarité de l'analyse ou, autrement dit, le choix du critère unique, emporte sur les autres distinctions mentionnées. Il « correspond à une préoccupation épistémologique qui nous

paraît nouvelle dans le contexte des grammaires françaises de l’âge classique » (Fournier

2007a)103.

De Brosses choisit également une image linéaire et donc unidimensionnelle pour la présentation des voyelles, cependant, chez lui il ne s’agit pas d’un critère unique. De Brosses imagine toutes les voyelles alignées sur une corde, la « corde de la parole ». Le nombre possible de variations n'est délimité que par les facultés des organes vocaux et le lien entre le signifiant et le signifié. La corde, dans sa longueur « divisible à l'infini » (1765 : 114) tient compte des

« diverses voyelles de tous les peuples de l'univers » (ibid.104). La généralité que les auteurs de

la GGR tentaient d'atteindre en ne retenant qu'un seul des critères possibles, se traduit chez de Brosses dans une image qui représente l'infinité et qui reste en même temps calculable. En principe, il devrait être possible de déterminer tout point sur la corde par le recours aux opérations mathématiques (les divisions de la corde en l’occurrence).

En effet, les différents calculs des courbes sont « à la mode » à l’âge classique. Mersenne (1636) réfléchit déjà sur les différents facteurs déterminant lors de la production d’un son et il les explique notamment par des vibrations plus ou moins rapides. Son ouvrage contient également un long passage sur les harmoniques. Descartes élabore dans son premier écrit, l’Abrégé de musique105, une vision géométrique de la corde vibrante et prend en considération

103 Comme l’explique Fournier (2007a) : « c’est moins la substance des diverses voyelles qui est analysée et

décrite » dans la GGR, « que le mécanisme général qui les ordonne, et constitue le véritable objet de la théorie

que les Messieurs s’efforcent d’élaborer ». Ce mécanisme général devient alors le critère saillant dans leur

analyse.

104 Cf. Schweitzer (à paraître).

105 Dans ce texte, écrit vers 1618 et publié à titre posthume en 1650, Descartes développe une nouvelle esthétique musicale fondée exclusivement sur la perception.

110

les expériences liées à la résonance. Sa théorie associe les données physiques et mathématiques aux critères dont l’analyse relève de la sensation et, plus largement, de la spéculation : la perception et le goût (cf. partie II, ch. 1.2.1).

En 1700, Joseph Sauveur publie son mémoire « Sur la détermination d’un son fixe ». Un an plus tard, en 1701, il explique la correspondance inverse entre les longueurs de deux cordes et leurs fréquences. Comme l’indique François Baskevitch (2007 : 388), les travaux de Sauveur montrent parfaitement que toute étude des sons, quelqu’en soit le domaine, passe au début du XVIIIe siècle généralement par la musique. Les titres des publications suivantes de Sauveur

confirment largement le constat que les premières recherches acoustiques sont consacrées aux sons musicaux (nous soulignons) :

« Sur l’application des sons harmoniques aux jeux d’orgues » (1702),

« Méthode générale pour former des systèmes tempérés de musique, et du choix de celui qu'on doit suivre » (1707),

« Table générale des systèmes tempérés de musique » (1711)106, et

« Sur les cordes sonores, et sur une nouvelle détermination du son fixe » (1713).

Le dernier titre montre en outre explicitement l’importance du recours à la corde dans ces travaux.

Dans le domaine de la mathématique, la corde sert également d’expérimentation. En 1753 par exemple, le Suisse Daniel Bernouille ( ?–1782) propose une solution pour la détermination des sons fixes pour le calcul mathématique d’une corde vibrante par des séries trigonométriques (cf. Teston 2010). A la même époque, un autre Suisse, Leonhard Euler (1707-1783), travaille sur le même problème pour lequel il développe également une solution, notamment par la formulation d’un critère d’équivalence (le « critère d’Euler »)107.

Comme nous l’avons vu chez de Brosses, les théoriciens considère souvent la corde comme constituée par un nombre indéfini de points (cf. Fricke 1986). Cette prémisse est également la base de la dissertation acoustique que d’Alembert publie en 1747 sous le titre « Recherches sur la courbe que forme une corde tendue mise en vibration » dans les Mémoires de l'Académie de

106 Les deux textes de 1707 et 1711 se rapportent aux publications du mathématicien et philosophe (mais aussi compositeur) Christiaan Huygens (1629-1695). Voir à ce sujet Charrak (2001).

107 Voir Leonhard Euler, « Sur la vibration des cordes », Mémoires de l'Académie royale des Sciences et des

111

Berlin108. Le problème du calcul des mouvements de la corde vibrante y est ancré dans le

domaine de la mécanique, c’est-à-dire qu’il est considéré comme un problème auquel on peut trouver une solution rationnelle. D'Alembert étudie les vibrations d'une corde tendue à ses deux