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1 La voix : un « objet » difficile à cerner

1.2 Installation de la comparaison

1.2.2 La comparaison établie par Dodart

Nos sources expliquent l’origine de la comparaison en établissant un lien avec des auteurs antiques. Le médecin Denis Dodart (1700) nous donne les informations plus détaillées. Parlant de « l'âpre artére » (c'est-à-dire de la trachée-artère), selon lui, les Anciens ont déjà « comparé

son usage à celui du corps d'une flûte, & il est certain que tous les Grecs qui ont suivi Galien35

ont supposé cet usage de l'âpre artére dans toute la pratique de la Médecine pour les maladies

34 Rey (2004 : 142) note alors, pour situer les travaux de Mersenne et de Cordemoy que, bien qu’ils abordent quelques détails articulatoires (cf. partie 2), ils « s’apparentent plutôt à des descriptions de la voix ou de la parole d’un point de vue physiologique plutôt qu’elles ne visent à donner une liste exhaustive de différentes unités phoniques de la langue. »

35 Selon Claude Galien, médecin grec (ca. 129-210), la trachée-artère « prépare & dispose [...] la voix au larynx » où elle est formée. Pour l'auteur, la glotte correspond à l'anche d'un hautbois, un instrument qui a été expressément inventé pour imiter le corps humain. Dans les anciens textes, cet aspect est souvent fortement souligné : ce sont les instruments qui imitent l'homme, l'art imite la nature. Le deuxième aspect intéressant pour la formation de la voix qui se retrouvera dans les textes des XVIIe et XVIIIe siècles, est que la voix a besoin d'un passage étroit pour passer sans lequel elle ne peut pas se former. La comparaison avec le hautbois s'y prête. On voit alors qu'il ne s'agit pas exclusivement du comparé flûte, comme le suggère Dodart, mais généralement du type « instrument à vent » qui est légué par cette tradition. Voir Galien (ch. V : 307 et ch. XIII : 328).

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de la Voix » (Dodart 1700 : 244). Ce qu'il en faut retenir est pre- mièrement que l'image évoquée est très générale, et qu'elle ne concerne que le fonctionnement au sens large, c’est-à-dire l'usage de la trachée- artère en tant que canal qui contient l'air, et le corps de la flûte qui en contient également. Deuxièmement, il ne s'agit ici que d'un exemple destiné aux médecins pour les aider à imaginer un organe, invisible aux yeux (car situé à l'intérieur du corps) à l'aide d'un objet concret, visible et connu. Dodart se montre étonné que personne dans l'histoire de la médecine n'ait modifié cette comparaison qui lui paraît maladroite, voire fausse. Car, selon l'auteur, la trachée-artère n'a rien à voir avec la formation de la voix. Il souligne qu'au contraire, la glotte est « le

principal organe formel de la Voix » (Dodart 1700 : 245).

Dodart déplace en effet l’analogie en la situant au niveau de la glotte, c’est-à-dire du larynx (cf. Rey 2004 : 143-145). L'image de l'appareil dans son ensemble se concentre alors dans une de ses parties. Les tuyaux à bouche d’un orgue (fig. 3) fonctionnent sur le système de la flûte à bec (fig. 4)36. L’air est poussé par le soufflet dans le tuyau. Il y

entre en bas (A dans l’illustrations de l’Encyclopédie, fig. 3) et il est dirigé vers le biseau (désigné par un C dans la figure 3 et par un A dans la figure 4. Cf. la desciption de Jaucourt ci-dessous). Seule une partie de l’air reste ainsi dans le corps du tuyau où elle vibre grâce à l’obstacle (le biseau) auquel il s’est heurté : un son naît. L’autre partie de l’air est tout simplement rejetée à l'extérieur.

Figure 4 : ENC, Lutherie (1751-1780), planche VIII. La flûte à bec. Source : gallica.bnf.fr, consultée le 9 févr. 2018.

L’article rédigé par le Chevalier de Jaucourt, qui se trouve dans le 6e volume de l’Encyclopédie, explique : « A la partie

supérieure de la piece A, est un trou quarré qu’on appelle bouche : ce trou quarré est evuidé, ensorte qu’il reste une languette, levre, ou biseau, dans la tête se présente vis-à-vis de l’ouverture appellée lumiere : cette lumiere est l’ouverture ou le vuide que laisse le bouchon, avec lequel on ferme l’ouverture supérieure de la flûte. »

36 Rey (2004 : 141-142) insiste à juste titre sur le caractère accessible et concret qui a pu assurer une grande importance à cette comparaison.

Figure 3 : ENC, Lutherie (1751-1780), planche VII. Le tuyau d’orgue. Source : gallica.bnf.fr, consultée le 9 févr. 2018.

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Définissant les parties latérales du larynx comme des lèvres bandées, leur fente correspond au biseau d'une flûte ou d'un orgue à bizeau (c'est-à-dire d'un orgue dont les jeux sont composés de tuyaux à bouche comme dans l’exemple de la figure 437). L'air sert de matière, poussé par le

soufflet (les poumons. La trachée-artère conduit cet air vers la glotte où il se brise – action qui met en vibration l’air et par laquelle le son est produit. Comme le biseau du tuyau et de la flûte, le larynx est alors un organe passif, destiné à mettre un obstacle dans le passage de l'air, tout comme le biseau dans une flûte à bec ou dans le tuyau à bouche d'un orgue qui fonctionne selon le même principe.

Résumant brièvement les autres explications détaillées de Dodart, on peut dire que l'ouverture de la fente détermine par diverses divisions et subdivisions la hauteur du ton résultant. Elle est due à la vitesse et à la force avec laquelle l'air, poussé par les poumons, y arrive. Les poumons, dans leur fonction de réservoir, donnent aussi au chanteur la possibilité de filer les sons et de chanter de longues coloratures. Toutes les cavités, buccale comme nasale, servent de résonateur. Les organes de la bouche déterminent les différentes articulations de la langue.