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1 La voix : un « objet » difficile à cerner

1.3 La représentation et l’utilisation des modèles dans différents types de textes

1.3.1 Comparants et comparés

Il apparaît que la comparaison avec l'instrument musical se présente sous différentes formes, toujours en analogie avec un certain modèle professé par l'auteur. On peut différencier trois grands groupes d'instruments dans les descriptions : l'instrument à vent (l'orgue y compris), l'instrument à cordes, ou bien une combinaison des deux. Les tableaux en annexe 3.1, résumant toutes les sources que nous avons trouvées, permettent deux observations rapides. D'une part, la flûte et l'orgue sont les instruments de loin les plus mentionnés. On peut y voir le poids de l'héritage. D'autre part, le système de Dodart, se référant à ce type d'instrument (à vent) se révèle être plus pratique, car il se prête à des analogies aussi bien générales que détaillées38.

Le modèle de l’instrument à cordes tout seul est rare. Les auteurs ont plutôt tendance à combiner les deux types (cf. plus précisément partie I : ch. 3.2). Le tableau dans le chapitre précédent a déjà montré que chez Ferrein, l’air et l’embouchure d’une flûte ont tout à fait leur place. Il se situe ainsi également dans la lignée de Galien (cf. Rey 2004 : 139-140). Le modèle de ce médecin a une longue tradition et ainsi il est encore discuté dans l’article « voix » de

l’Encyclopédie. Galien compare la fonction résonatrice du palais à celle de la touche d’une

corde pincée ou le ventre d’un luth, et la compression du larynx ou de la glotte à l’anche d’un hautbois (Galien : livre 7, ch. 5 et ch. 13) : dès l’origine, les deux familles d’instruments à vent et à cordes sont utilisées, même si, chez les Anciens, elles ne se complètent pas encore pour former un seul modèle.

On peut oser une hypothèse pour expliquer ce fait. D'un côté, si l'on regarde la famille des instruments à cordes, il n'y a que deux manières de faire vibrer la corde. Soit on tire l'archet sur la corde (par exemple d’un violon), soit on la pince avec les doigts ou à l'aide d'un outil comme la languette du clavecin ou le plectre dans le cas du luth. Il faut de toute façon un objet extérieur (un archet / la main ou le sautereau / un doigt) qui stimule activement la vibration. En revanche, la famille des instruments à vent se subdivise en plusieurs catégories dont chacune fait vibrer la colonne d'air d'une manière particulière, soit par un objet qui sert, comparable à l'archet39,

d’objet stimulant (le biseau en tant qu'obstacle destiné à briser le vent dans la flûte à bec), soit

via un autre objet, mis en vibrations par le joueur (l'anche du hautbois ou du basson), soit par

38 Aujourd’hui encore, on trouve dans la littérature spécialisée la comparaison de la voix avec un instrument à vent. Voir par exemple Henrich (2014 : 3).

39 Il est intéressant de retrouver dans un texte récent (Amy de la Bretèque 2016) la comparaison entre l’air et l’archet d’un violon qui met les cordes en vibration.

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un effet de réverbération (la forme du bec de la trompette dont les répercussions font vibrer les lèvres du joueur), le tout uni dans l'orgue40. D'ailleurs, toute une liste de termes utilisés pour les

instruments de musique renvoie à l’anatomie du corps humain : les branches (des nerfs chez l’homme et d’embouchure de la trompette), la tête des flûtes (traversières ou à bec) ou la bouche de la flûte à bec n'en sont que quelques exemples.

Les parallèles établis avec les instruments de percussion que nous n’avons pas encore mentionnés, n'ont pas eu un grand écho, bien qu'un auteur comme Denis (1650) compte les sons résultants de ce type d'instrument également parmi les sons musicaux fondamentaux (cf. partie I, ch. 2.1.1). Si l'on regarde l’usage de ce type de comparaison chez Bertin (1745), on remarque qu'elle complique plus l'image qu'elle ne la clairifie. Dans le modèle élaboré de cet auteur, le comparant « tambour » représente la caisse résonatrice qui contourne tout l'appareil jusqu'à l'épiglotte. Il sert à déterminer la force ou la tonalité de la voix, détails auxquels les autres auteurs s'intéressent moins41. Le plus souvent, la bouche est citée comme organe important pour

façonner et pour faire résonner la voix sortante. Chez Boulliette (1760), ce moment est même le seul élément retenu. Pour cette raison, la trompette se prête à la confrontation comparative42.

La force du son dépend de la forme de cette « embouchure » :

La voix n'est que l'agitation de l'air qui sort de la poitrine ; & qui, selon les différentes formes que prend le canal par lequel il passe, donne différens sons, que la bouche, qui est comme l'extrémité d'une trompette, rend plus ou moins forts, à proportion qu'elle est plus ou moins ouverte. (Boulliette 1760 : 5)

Conformément à l'objectif spécifique de l'utilisation de la comparaison, Boulliette est le seul à se servir de ce comparant. Si l’on peut supposer que l’utilisation d’une comparaison particulière indique également un objectif spécifique de l’auteur, on possède ainsi également un indice pour la large diffusion et connaissance des deux modèles de base (à vent et à cordes) dans toutes les disciplines.

40 L’orgue possède effectivement des jeux qui imitent les sonorités des différents instruments. L’ENC. Lutherie (1751-1780 : 1-2) mentionne par exemple les registres appelés bombarde, clairon, cromorne, flûte, flûte traversiere et trompette.

41 L'image du son produit sur une cloche frappée à l'aide d'un marteau se trouve chez Jacob Böhme (1575-1624), mais dans un tout autre sens, car chez Böhme, cette action sert à faire sortir la parole divine. Je remercie Virginie Pektas pour ce renseignement. Au vu de cette coïncidence, il nous semble possible que cette image ait aussi une origine ancienne.

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