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L’ouverture symbolique offerte par la Révolution de 1789, celle de la citoyenneté universaliste, se révèle rapidement très limitée, puisque les femmes en sont exclues. Le manque d’universalité de cette universalité ne cesse d’intriguer de nombreux auteurs. Sans chercher à traiter systématiquement tout ce qui a été écrit, nous allons survoler quelques thèmes qui me semblent importants pour comprendre les limites de l’universalité française : l’absence de la femme fondée sur la biologie et le progrès, le racisme à l’origine de la générosité républicaine envers les migrants, et les fondements philosophiques et scientifiques du mépris envers le peuple.

LA FEMME COMME NON-CITOYEN BIOLOGIQUE

Dans son article L’inégalité entre les sexes et l’égalité entre les hommes, Sylvie Steinberg12 montre comment la Révolution, si elle a émancipé les hommes, a exclu les femmes de l’arène politique. Selon elle, c’est la nature même du processus qui a émancipé les hommes qui a exclu les femmes : cette exclusion n’est pas une erreur, mais la conséquence de toute une logique inspirée par la biologie. La Révolution n’a pas réussi à faire des femmes des citoyens.

Si Olympe de Gouges publie sa Déclaration des Droits de la Femme et de la Citoyenne en 1791, elle n’est pas suivie dans les faits. Condorcet écrit en 1790 :

Si la loi corrige les inégalités entre les hommes, comment ne pas envisager qu’elle corrige aussi les inégalités de la nature entre l’homme et la femme13

Cependant, malgré sa position féministe, Condorcet exprime déjà une conception naturaliste des différences entre hommes et femmes. Pour nous expliquer par quel cheminement intellectuel la femme est perçue comme intrinsèquement différente, Steinberg utilise le travail

11 Dans ce cas, les hommes, mais nous allons le voir plus loin, surtout les hommes blancs riches hétérosexuels, en général à la tête de systèmes clientélistes.

12 2001.

13 Cité dans Steinberg 2001 : 24.

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de Thomas Laqueur14, lequel montre que le partage de l’humanité en deux sexes bien distincts est quelque chose d’assez récent en Occident. Jusqu’au milieu du XVIIIème siècle, les différences entre hommes et femmes sont vues comme minimes : le sexe des femmes est identique à celui des hommes, mais tourné vers l’intérieur. Une nouvelle conception des corps et des êtres semble apparaître vers 1760-1770, et se transforme en « machine de guerre contre les inégalités fondées sur la naissance »15. Une logique biologisante établit une différence fondamentale de nature entre les hommes et les femmes pour mieux souligner la nature identique de tous les hommes. Si les lumières proclament l’égalité naturelle de tous les hommes, a contrario l’inégalité des femmes n’en est que plus claire :

L’égalité entre les hommes et l’incommensurabilité fondamentale entre les hommes et les femmes apparaissent ainsi comme les deux versants complémentaires et contradictoires de la pensée naturaliste des Lumières.16

La nature, thème que l’on retrouve souvent dans les débats que nous aborderons plus loin, est utilisée pour légitimer les conséquences politiques qui peuvent être déduites de la proclamation de l’égalité des hommes. C’est cette même nature qui justifie l’exclusion des femmes de la cité. citoyenneté, et particulièrement celle, tardive et difficile, de la femme. Il faut en effet attendre 1944 pour que les femmes puissent avoir accès au suffrage universel, un siècle après le suffrage universel masculin (1848), et plus tard que la plupart des autres pays démocratiques : avec un accès pour les femmes en 1921 pour l’Inde, en 1934 pour la Turquie et en 1937 pour les Philippines18. Rosanvallon montre qu’un lien peut être fait avec le catholicisme, mais certainement pas un lien de cause à effet, car les femmes ont eu accès bien plus tôt au suffrage universel dans des pays aussi catholiques que la Pologne (1918), la Belgique (192119) ou l’Irlande (1922). En fait, si le rapport difficile de la France au catholicisme semble être à l’origine d’un tel retard, c’est que les femmes sont longtemps perçues comme des êtres faibles manipulés par l’Église. Les plus démocrates des Républicains semblent terrorisés à l’idée d’un retour à l’Ancien Régime rendu possible par un vote féminin massivement téléguidé par l’Église. Rosanvallon cite Alfred Fouillée :

Il y a déjà tant d’incompétences qui s’occupent de politique que je ne verrais pas sans inquiétude les femmes se jeter dans la mêlée des partis. Dans les pays catholiques, le vote de la plupart des femmes serait celui de leurs confesseurs, qui recevraient eux-mêmes le mot d’ordre de Rome. Au lieu de contribuer au progrès, il amènerait, je crois, un recul. Attendons ; la question me semble prématurée.20

Paradoxalement, ce sont les forces les plus conservatrices (voire réactionnaires) qui sont en faveur du vote des femmes, avec les mêmes arguments : ils sont persuadés qu’il s’agit de voix

14 1992.

15 Steinberg 2001 : 39.

16 Steinberg 2001 : 39.

17 1992.

18 1992 : 393.

19 En fait, d’après Pierre-Yves Lambert (2002*), cela n’est qu’en partie vrai, dans la mesure où les femmes ne peuvent voter en 1921 qu’aux élections communales. Les veuves de guerre peuvent participer aux élections législatives, et l’accès au suffrage universel complet n’est accordé à toutes les citoyennes belges qu’en 1948.

20 Fouillée, La Revue, 1er Juiller 1910, pp.454-455 in Rosanvallon 1992 : 394.

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fidèles à l’Église et acquises à leur cause. Charles Maurras y voit « le grain de sable capable de stopper la formidable machine collectiviste »21.

Cependant, Rosanvallon pense que ces calculs ne sont pas une explication suffisante à un tel retard. D’après lui, c’est en tant que femmes et non en tant qu’individus que le suffrage universel est ouvert aux femmes dans les pays anglo-saxons, dont les États-Unis. C’est en raison de leur spécificité collective (ici, leur genre) qu’elles sont invitées dans le champ politique. Selon lui, l’universalisme français est de nature différente :

L’universalisme à la française constitue dans ce cas un obstacle au suffrage féminin : la femme est privée de droit de vote en raison de sa particularité, parce qu’elle n’est pas un vrai individu abstrait, qu’elle reste trop marquée par les déterminations de son sexe. Tout en pouvant être très proches, les représentations du rôle de la femme dans la famille et dans la société induisent ainsi des effets rigoureusement inverses en France et dans la plupart des autres pays.22

D’après lui, donc, les hommes et les théoriciens politiques semblent conscients de la pression sociale et institutionnelle qui est exercée sur les femmes, mais au lieu de tenter de les émanciper (ce qui semble alors impensable), ils préfèrent les ‘oublier’ plutôt que de menacer la pureté de leur universalisme. Il va encore plus loin et montre que l’hostilité des républicains au suffrage féminin s’appuie sur une lecture réactionnaire de la Révolution. Il cite Claude Tillier, un des avocats du suffrage universel, et pourtant violemment opposé au suffrage féminin :

« Si vous accordez des droits politiques aux femmes, il faudra leur accorder des droits civils, et, par extension, en accorder aux enfants. Alors, chaque ménage sera un petit état constitutionnel où le menu du dîner sera voté à la majorité. »23

Ce que semblent craindre ces républicains, c’est l’individualisme radical. D’après Rosanvallon, la différence des sexes est une limitation du processus d’individualisation. Dans quelque parti que ce soit, les valeurs familiales et sexuelles traditionnelles ne sont jamais remises en question : elles sont un socle indiscutable auquel de nombreuses libertés individuelles sont sacrifiées, en commençant par celles des femmes. Pour ne pas remettre en question les normes familiales, pour « la paix des ménages », pour protéger l’autorité du chef de famille, la femme est rattachée à son mari : organiquement distincts, les époux sont une unité sociale, économique et surtout politique. Pour éviter un éventuel désaccord politique au sein du couple, que Regnault conçoit comme un « adultère moral » et que Proudhon voit comme un premier pas vers le divorce24, le vote des femmes est mis de côté.

Les auteures les plus féministes, comme George Sand, ont du mal à saisir l’intérêt des réclamations des suffragettes, de même que les socialistes les plus radicaux. Seuls les saint-simoniens sont à même de proposer une émancipation féminine non seulement à travers leur accès au suffrage universel, mais aussi avec la fin du mariage. Rosanvallon25 montre que si leurs idées sont incroyablement modernes, leurs contemporains ne sont pas en état d’en réaliser la portée, et leur audience est pour le moins marginale. Parmi les moins radicaux, nombreux sont ceux qui souhaitent voir les femmes entrer en politique avant tout pour leur nature réservée et morale : les femmes qui se battent pour leur accès au suffrage universel sont pour la plupart issues des milieux catholiques et modérés. Et elles voient la légitimité de leur accès avant tout liée à leur statut social plutôt qu’à leur sexe. D’ailleurs, dans le même mouvement idéologique, nombreux sont ceux qui pensent que l’idéal serait que le père de famille puisse rassembler les voix des vieillards, des femmes et des enfants de son foyer.

21 1992 : 395.

22 1992 : 396.

23 cité par Rosanvallon 1992 : 396-397.

24 1992 : 397.

25 1992 : 399.

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La pensée des féministes est tellement à l’opposé de ces femmes bien nées que les premières semblent préférer retarder l’accès au suffrage féminin plutôt que de permettre aux secondes et aux groupes les plus conservateurs d’arriver à leurs fins. Dans les années 1920, apparaît l’idée d’une participation partielle, par exemple pour les veuves de soldats, ou bien la participation des femmes mariées au niveau local. Cependant ces projets n’ont pas abouti pour des raisons philosophiques : la citoyenneté ne se fractionne pas en fonction d’une position familiale (la citoyenneté est accordée au nom d’une nature universelle), ni de la capacité politique (le niveau national n’est que la continuité de la citoyenneté locale). Si la citoyenneté n’est pas fractionnable, soit les femmes ont un accès total, soit elles en sont privées. Rosenvallon conclut que

Le retard français n’est donc pas dû à un antiféminisme plus marqué qu’ailleurs. Il procède plutôt d’une conception aussi restrictive qu’exigeante de l’individu-citoyen.26

→ Paradoxalement, donc, jusqu’en 1945 ce sont les idée progressistes qui ont empêché les plus démocrates d’accepter le suffrage féminin, à cause de l’infériorisation dont les femmes sont victimes, alors que les plus conservateurs sont tactiquement favorables à ce suffrage dont ils pensent pouvoir profiter.

UN EUGÉNISME PARTICULIER

L’universalisme français, concrétisé juridiquement dans le jus soli27, est souvent cité comme étant à l’opposé d’une conception raciale ou ethnique de l’identité nationale, dont l’Allemagne est officiellement l’archétype. Pourtant cette définition de l’universalisme, aveugle aux races et aux ethnies, est loin d’être une réalité. Dans Producing Citizens, Reproducing the ‘French Race’, Elisa Camiscioli28 montre combien l’universalité française a pu être racialisée. En effet, la question de la survie démographique a torturé démographes et politiciens depuis plusieurs siècles en France, en particulier à cause du fait que la transition démographique a eu lieu très tôt dans un pays qui est souvent considéré comme sous peuplé.

Ainsi de 1911 à 1938 la population française ne s’est accrue que de deux millions, en comptant l’apport de 1,7 million d’Alsaciens et de Mosellans29. L’entre-deux guerres voit trois millions d’étrangers s’installer en France, ce qui montre qu’effectivement, dans les faits, la démographie française était loin d’être explosive. Ces terreurs démographiques s’appuient sur plusieurs idées : la compétition entre nations, l’affaiblissement de la nation, et le péril racial.

Même si désormais les nations européennes ont décidé de s’unir au sein d’une union, jusqu’à récemment la France était en compétition directe avec les voisins les plus puissants, en particulier le Royaume-Uni et l’Allemagne. Que ces pays, à la natalité puissante, puissent vaincre une France anémiée était une idée tellement insupportable que politiques et démographes se devaient de prendre des mesures radicales. Par ailleurs, la ‘nature individualiste’ du Français30 semblait le pousser à la jouissance individuelle et lui faire oublier ses obligations démographiques : le malthusianisme des Français serait dû à la mort des valeurs collectives et familiales. Les démographes considéraient que degré de civilisation et taux de naissance sont inversement proportionnels, et donc que la France payait son niveau élevé de civilisation par un dépeuplement spectaculaire :

Demographers explained that while the state of civilisation facilitated global predominance and justified European expansion overseas, it was a

double-26 1992 : 410.

27 Droit du sol, opposé au jus sanguinis (droit du sang) allemand.

28 Camiscioli 2001.

29 2001 : 594.

30 2001 : 593.

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edged sword, bringing degeneration and depopulation in its wake. Ironically, the march of progress ultimately compromised the power of ‘civilized’ nations, now confronted with the demographic superiority of less developed societies.31

Malgré cette étrange équation, de nombreux auteurs faisaient montre de beaucoup de conservatisme dans leurs explications. En effet, cette critique de l’individualisme s’inscrivait dans tout un univers idéologique marqué par l’eugénisme, une vision traditionnelle de la famille et des genres, et un indéniable racisme.

Outre l’affaiblissement physique et moral des Français, les périls barbares, qu’ils soient musulman, jaune, rouge ou noir, ne laissaient pas d’empêcher de dormir nombre de décideurs.

La seule solution pour éviter d’être submergés était une revitalisation sociale et démographique. La peur du ‘péril jaune’ a d’ailleurs donné lieu à de nombreux ouvrages et conférences. Camiscioli montre que l’universalisme français, qui officiellement fait abstraction des origines, est un moindre mal idéologique dans un univers démographiquement compétitif : les démographes français, et à leur suite les décideurs politiques, ont ainsi importé de la chair fraîche de Pologne, d’Italie et d’Espagne. Ces pays étaient pensés comme culturellement et biologiquement compatibles : le catholicisme y régnait encore (alors qu’en France, à leur grand regret, les valeurs religieuses et morales sont en régression), le stock génétique était pensé comme sain et vaillant, et ces immigrés étaient à court terme racialement assimilables. Les hommes espagnols, italiens et polonais sont importés en grande quantité pour se marier avec des femmes françaises en manque de mari (la guerre de 1914-1918 a causé des ravages démographiques), et les couples « misérables et prolifiques »32 apportent non seulement des enfants qui deviendront très vite de petits Français, mais, « robustes et travailleurs »33, ils acceptent de repeupler les campagnes et travailler pour un salaire assez bas alors que les Français de souche préféraient apparemment être au chômage en ville.

Les facilités d’immigration dont ont pu jouir ces ‘nouveaux Français’ est à opposer au sort réservé aux indigènes dans les colonies et les étrangers non-Européens : l’universalisme aveugle aux origines n’est apparemment pas aveugle aux races. Les non-blancs, dont ceux issus des colonies qui pourraient constituer des candidats à l’immigration, sont jugés inassimilables, en particulier à cause de leur appartenance raciale. Leur venue est jugée comme une transfusion sanguine avec du sang incompatible34. Le démographe Ludovic Nadeau35 exprime clairement ses réticences à une France de cent millions de personnes : le recours à l’immigration coloniale mettrait en péril la race blanche, ce qui serait bien pire qu’une France sous-peuplée. L’universalisme des démographes français est donc racialement marqué.

Par ailleurs, Camiscioli aborde la question de la femme et de sa disponibilité corporelle : la femme moderne est de moins en moins sensible à ses ‘devoirs de mère’ et préoccupée par

‘son seul plaisir personnel’. Des démographes comme Nadeau n’ont de cesse de condamner l’émancipation féminine, qui leur fait oublier leurs obligations sociales : la maternité et la prise en charge des affaires domestiques. La féminisation des hommes est un problème qui peut être résolu par l’importation d’homme virils, mais le ‘virus individualiste’36 véhiculé par les féministes est, aux yeux des démographes français, la racine des problèmes français :

31 2001 : 597.

32 Camiscioli reprend des photos et leurs commentaires publiés dans ‘Les étrangers en France : Etude géographique sur leur rôle dans l’activité économique’ (1932, Armand Colin, Paris) (2001 : 599).

33 2001 : 600.

34 2001 : 601.

35 Camiscioli se réfère abondamment à son livre La France se regarde en face : Le problème de la natalité (Hachette, Paris, 1931).

36 2001 : 601.

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The pronatalist position on immigration mirrored its entreaty in the French nation as a whole, exalting marriage, fecundity and procreative sex enacted with the confines of traditional gender roles.37

La prise en compte des limites sexistes et racistes de l’universalisme à la française, assimilateur et basé sur une politique d’immigration volontariste, me paraît essentiel à sa compréhension. Même si Elisa Camiscioli parle avant tout de la démographie d’avant-guerre, on retrouve les mêmes présupposés ethnocentristes et sexistes dans nombre de rapports de démographes contemporains ou de politiques sociales et migratoires récentes largement inspirées par le même corpus idéologique. A lire les rapports alarmistes des ‘experts’, il est clair que les derniers avatars du péril jaune (Islam, immigration clandestine, afflux des réfugiés semi économiques, etc.), en particulier par les défenseurs de l’universalisme français, sont directement inspirés de cet universalisme particulariste, plus basé sur des préoccupations hygiénistes et natalistes que sur un mélange des peuples ‘à la française’, surtout si ceux-ci ne sont pas blancs. Comme le montre donc Camiscioli, l’universalisme pro-nataliste mis en place à partir de la IIIème République, bien loin de l’égalitarisme abstrait dont il se prévaut, est engoncé dans ses conceptions patriarcales, bourgeoises et racistes.

→ L’universalisme généreux des démographes est donc avant tout un moyen de légitimer une certaine forme d’assimilation d’étrangers perçus comme nécessaire à la survie démographique du pays. Les limites de cet universalisme sont visibles à travers le racisme, le sexisme et le conservatisme social dont ils font preuve.

COLONIES ET UNIVERSALISME

Le rapport à l’Autre38 peut aussi être étudié en fonction de ce qui a pu arriver dans les colonies : l’universalisme qui proclame l’égalité naturelle de tous les hommes a été mis à mal lors de la colonisation. Le plus difficile n’a pas été de justifier la colonisation d’une partie de l’humanité, mais de faire coïncider citoyenneté et différences ethniques. Jusqu’à la colonisation, la différence entre les Français et les étrangers est claire et la limite de la citoyenneté est ainsi clairement définie : les Français majeurs de sexe masculin peuvent voter, les étrangers ne le peuvent pas. Avec la colonisation la différence s’estompe. Comme le souligne Pierre Rosanvallon :

Les indigènes des territoires sous domination française sont juridiquement considérés comme des sujets français, tout en ne bénéficiant d’aucun des droits politiques des citoyens métropolitains et en étant régis dans leur vie privée par des règles propres, souvent éloignées de celles du Code civil.

Comment caractériser leur situation hybride, qui les assignait politiquement à une sorte de minorat sans fin ?39

Malgré la mise à l’écart de l’essentiel des populations indigènes, les territoires colonisés sont peu à peu francisés, au moins administrativement, et deviennent des départements (en particulier les Antilles). Même après l’abolition de l’esclavage40 et le décret du 23 août 1792 établissant l’égalité entre les « citoyens libres, de quelque couleur et de quelque état qu’ils soient », les autorités locales se gardent bien d’appliquer les mesures réalisant cette proclamation d’égalité. Avec la colonisation massive entreprise au XIXème siècle, la générosité révolutionnaire est mise à mal. Malgré les entorses au Code civil, adapté aux coutumes locales qui autorisent par exemple la polygamie ou d’autres formes de propriété, le but ultime de la colonisation est l’assimilation dans la République. Pour Rosanvallon41 le problème le plus difficile à résoudre n’est pas technique mais civilisationnel :

37 2001 : 602.

C’est au fond le rapport de la civilité à la citoyenneté qui était vraiment visé, posant la question des limites de l’abstraction universelle moderne.

C’est au fond le rapport de la civilité à la citoyenneté qui était vraiment visé, posant la question des limites de l’abstraction universelle moderne.