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Le réveil participatif des usagers des transports : de la logique du quantitatif à la logique de qualitatif

Le Plan de déplacements urbains : une démarche vouée à la concertation

1.2.1 De la crise des transports collectifs à la crise urbaine : la montée en puissance des revendications associatives.

1.2.1.1 Le réveil participatif des usagers des transports : de la logique du quantitatif à la logique de qualitatif

1.2.1.1.1 Une conjoncture politique propice à mobiliser les usagers-citoyens

Tel le Cartel “ des Gauches ” mené victorieusement dans les années 1920 par Edouard Herriot contre la majorité de droite du Bloc national, c’est avec le même espoir qu’en 1970 huit organisations politiques et syndicales de gauche47 s’unissent sous le nom de Cartel – mais cette fois-ci qualifié d’action des transports en commun

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Pour aborder la naissance des mouvements revendicatifs chez les usagers des transports nous nous appuierons essentiellement sur l’ouvrage d’Eddy Cherki et de Dominique Melh « Les nouveaux

embarras de Paris » paru en 1979. Ne prétendant à aucune exhaustivité, l’ouvrage donne néanmoins le

ton d’une époque qui signe la fin des 30 glorieuses et le début de la crise où, entre lutte sociale et revendication urbaine, les transports s’avèrent être un enjeu majeur : « On ne nous transporte pas, on

nous roule » : Cherky Eddy, Melh Dominique, Les nouveaux embarras de Paris, Ed. François

Maspero, Collection Luttes Sociales, Paris, 1979, 224 pages.

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le PC, le PS, le PSU, l’organisation « Jeune République » et Objectif 72, la CGT, la CFDT et la FEN.

– pour lutter contre ce qu’elles appellent le « scandale des transports en commun » dont les responsables ne sont autres que la Droite majoritaire.

A la fin des années 1960, l’Etat s’inquiète du coût des transports collectifs en région parisienne et cherche à se désengager petit à petit de leur financement notamment en faisant participer davantage l’usager. Aussi, après une augmentation de près de 60% du ticket RATP en 1967, le 1er février 1970 une nouvelle hausse (pourtant bien moindre que la première) met le feu aux poudres et provoque de vigoureuses protestations des partis de gauche et des syndicats. D’aucuns racontent que ce n’est pas tant le montant de l’augmentation que son principe – faire participer de plus en plus l’usager au déficit de la RATP – qui a fait réagir les mouvements de citoyens, tandis que d’autres rappellent que la conjoncture politique de 1967 était moins favorable à une prise de position de l’opposition que celle de 1970 faisant suite aux mouvements de 1968 et annonçant déjà la campagne municipale de mars 1971. En d’autres termes, l’objectif du Cartel a semble-t-il été tout autant guidé par des ambitions politiques qu’idéologiques.

Néanmoins, se déclarant volontiers comme le représentant officiel des usagers des transports, le Cartel devient un acteur incontournable et ce notamment parce qu’il sait mobiliser les foules. L’exemple de la manifestation du 18 novembre 1970 en prévision d’une nouvelle hausse des tarifs RATP programmée en janvier 1971 en est caractéristique. Une semaine d’action la précède : les militants font signer massivement des pétitions, des délégations sont organisées au Ministère des Transports, quelques débrayages ont lieu dans les entreprises, le Cartel envoie une délégation à l’Assemblée nationale qui est reçue par les groupes socialiste et communiste, et au final plus de 20 000 personnes participent à cette manifestation. C’est la première fois qu’une manifestation qui porte sur un objectif revendicatif urbain connaît une telle ampleur. Les médias ne tardent d’ailleurs pas à s’en emparer en passant le relais à la France entière. En effet, si la presse parisienne fait ses choux gras d’un tel événement, en province aussi tous les journaux sont à peu près unanimes à dénoncer la dégradation des conditions de transport et à soutenir le juste mécontentement des usagers. En 1971, la question des transports est un débat d'actualité qui devient un enjeu national.

Via le Cartel, qui fait vite des émules avec notamment la Fédération des Comités d’Usagers (FCU) créée par un mouvement autonome du PSU et de Lutte Ouvrière, les partis de gauche ont pu faire l’unité sur la question des transports parce que c’était conjoncturellement le thème urbain le plus susceptible de mobiliser les usagers, et surtout parce que la conjoncture politique de l’époque était favorable au développement d’un mouvement basiste d’une telle ampleur. Pour autant, ce mouvement n’a pas été uniforme dans le temps et entre la première et la deuxième moitié des années 1970 les revendications qui portaient initialement sur la consommation de transport se focalisent alors sur la consommation de l’espace urbain.

1.2.1.1.2 De l’usager-travailleur à l’usager-résidant

Au début des années 1970, ce sont les classes populaires qui réagissent en mettant en avant leur position d’usager des transports. La crise des transports collectifs se traduit par l’incapacité des transports en commun à faire face aux exigences des migrations alternantes domicile-travail et les plus touchées sont les catégories sociales les moins favorisées. Elles vivent la situation comme une situation de pénurie et, dans le sillon de la lutte contre les inégalités sociales, la stratégie adoptée est celle de la conquête : conquête de nouvelles infrastructures auxquelles les classes populaires auraient accès. Dans cette mouvance, si la position d’usager reste centrale, l’usager-travailleur cède le pas à l’usager-résident. Le premier, revendiquant une meilleure adéquation entre transport et impératifs du travail, est représenté par le Cartel qui sait que la position de salarié est déterminante dans la définition de la force sociale, alors que le second, revendiquant une meilleure adéquation entre transport et contraintes résidentielles, est représenté par la FCU qui sait que la situation urbaine des acteurs sociaux se modifie. Récupération politique ? Certainement. Pourtant, le Cartel tout comme la FCU semblent avoir été doublés par une catégorie sociale qu’ils ne représentaient pas : les cadres moyens et supérieurs.

Porte-parole des usagers-résidents, la FCU a participé à ouvrir le débat des transports à la problématique de la banlieue résidentielle. Une banlieue qui n’est plus seulement

représentative des classes populaires mais qui est pour plus de la moitié habitée par des cadres qui, face à l’évolution urbaine des années 1970, sont inquiets de perdre toute une série de leurs acquis : une certaine tranquillité résidentielle, des conditions de logement privilégiées, ou encore un accès aisé aux équipements. A partir de 1975, c’est en liaison avec l’organisation urbaine que le système de transport est remis en cause avec en première ligne la prolifération de l’automobile en ville. Les protestations commencent à porter sur les incidences qu’une politique favorable à l’automobile et aux grandes infrastructures a sur le vécu quotidien des citadins.

Les luttes ne sont plus, ou du moins plus seulement, celles d’un accès égalitaire aux transports mais elles s’assimilent davantage à des mouvements de défense du cadre de vie et de l’environnement.

1.2.1.1.3 L’arrivée en masse des associations

L’émergence de la revendication environnementaliste s’est accompagnée dans le même temps d’une recrudescence des revendications de démocratisation de la gestion étatique. Certes mis sur l’agenda dès le début des années 1970 par les Groupes d’Action Municipale (GAM) à l’occasion des conflits urbains, cet appel à la démocratisation a néanmoins profité à la floraison de toute une série d’associations « affiliées » transport qui se sont détachées d’un cadre d’action jusqu’alors très centralisé.

En 1970, il n’existait que deux fédérations centrales sur la question des transports (la FUTRP et la FCUTRP) qui ne comptaient que très peu de comités locaux et, le cas échéant, ils étaient peu vivants. Le Cartel n’ayant pas voulu créer d’organisme de base par peur de perdre sa légitimité, il faut attendre le milieu des années 1970 pour qu’avec les premières dissidences se multiplient sérieusement les comités locaux actifs. La plupart des nouveaux comités locaux s’organisent de manière autonome et sont affranchis des structures centrales. Mais, même pour les comités fédérés à des grandes associations (à l’époque notamment la FUTRP) les liens entre structures de base et niveau central sont de plus en plus distendus, souvent même purement formels. Les modes de création et de fonctionnement des comités reflètent d’ailleurs

clairement ce type de rapport. D’une part, ils sont toujours créés sur une base locale et ensuite seulement ils cherchent un rattachement à une structure fédérative. D’autre part, les fédérations lancent très peu de campagnes centrales et elles proposent des thèmes de lutte que les comités peuvent aussi bien faire leur qu’ignorer.

A la fin des années 1970, les liens entre comités de base et fédération sont donc au mieux des concordances de sensibilités et ils s’avèrent plus programmatiques qu’organisationnels. Ce détachement s'amplifie d’ailleurs via le changement de statut des comités : ils se déclarent tous associations loi 1901 et gagnent ainsi le droit à l’existence légale. Une existence légale qu’ils mettent à profit de leur propre territoire : leur région, leur agglomération, leur commune, leur quartier. Ce changement d’échelle s’est traduit par le passage, au niveau des revendications, du général au local, voire à ce que l’on a commencé à appeler du localisme Les revendications se sont alors moins focalisées sur les migrations alternantes et leurs coûts que sur les rapports entre l’organisation urbaine et les transports. C’est ainsi qu’apparaissent des prises de positions systématiques contre la voiture ou plutôt pour un meilleur cadre de vie qui privilégie la logique du qualitatif (créer des équipement mais par n’importe lesquels, pas n’importe où et pas n’importe comment) à la logique du quantitatif (créer des équipements jusqu’à épuisement des besoins)48.

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Pour une analyse plus détaillée des associations constituées sur les transports, de leurs programmes et de ceux des syndicats et partis politiques, au cours des années 1970, il faut se référer aux travaux de Georges Ribeill et Nicole May, chercheurs alors tout aussi impliqués qu’Eddy Cherki et Dominique Melh. Ainsi, deux rapports sont à noter : G. Ribeill, P. Bertier, F. Lille, N. May, Revendications et

Instances revendicatives en matière de transports urbains, Rapport SAEI, décembre 1975, Mission de

la recherche, Ministère des Transports. ; et G. Ribeill, N. May, Rapport sociaux dans les transports

urbains et Mouvements revendicatifs transports, rapport SAEI, novembre 1976, Mission de la

1.2.1.2 De 1960 à 1996 : de la notion de transport à la notion de

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