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De la bonne conscience démocratique à la bonne pratique managériale

Démocratie locale et participation 1.1.1 La concertation : une démocratisation du processus

1.1.1 La concertation : une démocratisation du processus décisionnel contrôlée par une autorité locale en quête de

1.1.1.1 De la bonne conscience démocratique à la bonne pratique managériale

1.1.1.1.1 La concertation : une préoccupation législative croissante

Le droit français relatif à l’aménagement du territoire intègre pour la première fois la notion de concertation en 1967 avec la loi d’orientation foncière (LOF). Mais, outre une relance isolée le 14 mai 1976 via la directive sur l’information du public et l’organisation des enquêtes publiques, cette notion est mise en veille pendant près de quinze ans. Cependant, il semble que nos législateurs aient suivi la règle du « reculer pour mieux sauter ». Dès le début des années 1980, ils font preuve d’une boulimie participative qui se traduit par une succession de lois, de décrets, de circulaires, de directives, etc. tous plus exigeants quant à l’implication ou la prise en compte des administrés : la circulaire du 31 juillet 1982 relative à l’amélioration apportée à la publicité des études d’impact et à la procédure des enquêtes publiques ; la loi du 12 juillet 1983, dite Bouchardeau, réformant très profondément le droit des enquêtes publiques ; l’obligation juridique de concertation imposée pour certains documents d’urbanisme et un certain nombre d’opérations par la loi de 1985 relative à la définition et à la mise en œuvre de principes d’aménagement ; les procédures Bianco et Billardon relevant cette fois de simples circulaires en décembre 1992 et février 1993 relatives à la conduite des grands projets nationaux d’infrastructures ; l’introduction du référendum local par la loi Joxe de 1992 dont le régime et le champ d’application ont été modifiés trois ans plus tard par la loi Pasqua pour introduire une initiative dite populaire et en autoriser expressément la mise en œuvre pour les opérations d’aménagement ; la loi du 2 février 1995, dite Barnier, relative au renforcement de la protection de l’environnement avec la création de la Commission Nationale du Débat Public et d’une procédure réservée aux seules grandes opérations publiques d’aménagement d’intérêt national ; la publication et la diffusion d’une charte de la concertation en 1996 par le Ministère de l’Environnement ; ou encore la directive du Conseil des Communautés européennes du 7 juin 1990 concernant la liberté d’accès à l’information en matière d’environnement, la convention sur l’accès à l’information, la participation du public au processus décisionnel et l’accès à la

justice en matière d’environnement dite convention d’Aarhus du 23-25 juin 1998 ; jusqu’à la loi relative à la démocratie de proximité du 27 février 2002 instituant notamment la mise en place des Conseils de quartier qui peuvent faire des propositions aux élus sur les questions intéressant leur quartier.

Cette effervescence textuelle, qui caractérise bien sinon la volonté du moins l’enjeu politique croissant sur le front de l’association du public aux décisions d’aménagement, peut être mise en parallèle avec le grand chantier de la décentralisation lancé en 1982. Le local devient par excellence l’espace de l’accomplissement des politiques publiques et, par ce fait, ces dernières se trouvent d’autant plus rapprochées de leurs administrés. Dans un article sur les perspectives d’action publique, avec au premier chef celles de la recomposition récente de l’espace local et d’un développement local autonome, Albert Mabileau montre que le local est parfaitement fonctionnel comme niveau de traitement des relations sociales « parce qu’il est reconsidéré comme niveau privilégié de la pratique démocratique en tant qu’administration de proximité ; parce qu’il permet de prendre en compte le contrôle social communautaire – le community control des Anglo-Saxons – à partir des besoins exprimés par les unités différenciées et les groupes réduits de la population ; parce qu’il est devenu le lieu et l’instrument de distribution des biens et des services. En bref le local serait à l’avant-scène du traitement des problèmes sociaux »13. Par ailleurs, si local rime plus que jamais avec décision publique concertée, c’est aussi une source de la représentation politique, notamment avec le cumul des mandats, que nos élus n’ont pas manqué de considérer.

En matière de décision publique liée à l’aménagement, la concertation n’est donc plus une pratique à défendre14. D’une part, la décentralisation a transféré aux Régions, aux départements, aux communes et demain à des structures intermédiaires des pouvoirs de décisions qui, en se rapprochant du terrain, rendent la concertation plus

13

Mabileau Albert, « Les perspectives d’action publique autour d’un local reconsidéré », in Balme Richard, Faure Alain, Mabileau Albert (dir), Les nouvelles politiques locales - Dynamique de l’action

publique, Presses de Sciences PO, 1999, p. 471. 14

Ce n’est d’ailleurs pas un constat spécifique à la France. Dans la plupart des pays européens, la concertation s’est considérablement développée dans le domaine des transports et de l’aménagement. Pour un tour d’horizon plus international de la concertation appliquée à ces politiques sectorielles, le lecteur se reportera à Newman P., Thornley A., Urban Planning in Europe : international competition,

systématique. D’autre part, le vaste mouvement vers l’intercommunalité implique un dialogue, un partage de compromis, une vision commune qui incite à la concertation. Enfin, les trois dernières lois qui règlent aujourd’hui le développement territorial15 prennent pour élément constitutif la participation des citoyens. Dorénavant omniprésente, parfois même évidente, l’association de la population est cependant allée crescendo avec une crise grandissante de la légitimité décisionnelle.

1.1.1.1.2 La concertation au service de la légitimité

La légitimité est définie par les dictionnaires comme un attribut essentiel du pouvoir démocratique. Dès lors que la décision est prise par le détenteur du pouvoir, la décision se doit d’être légitime. Peut-être simpliste, ce raisonnement a le mérite de poser clairement un des enjeux majeurs du pouvoir : sa légitimité. Une légitimité garante de tout acte fondé en droit, en justice et en équité. « La légitimité d’une institution résulte en effet, pour partie, de la capacité de ses membres à pouvoir se référer (de manière à pouvoir justifier leurs actes et leurs paroles) à des objectifs précis et valides, dont l’origine (mais aussi la perspective) dépasse souvent leur horizon temporel individuel. Une organisation dont les objectifs sont sans cesse renégociés, soumis à contestation et dénégation ou encore flous et instables, n’a pas la même légitimité qu’une organisation dont les objectifs ont été formellement définis, confirmés par d’autres instances et sont relativement stables sur le moyen-long terme »16. Ainsi, la légitimité s’avère d’autant plus présente que l’on n'en parle pas et d’autant moins effective que l’on commence à en débattre. Or, que l’on en discute aujourd’hui de cette légitimité !

La décentralisation et la médiatisation croissante des politiques se sont accompagnées d’une mise sur l’agenda régulière de la légitimité décisionnelle. C’est, depuis le début des années 1980, l’exemple criant des élus locaux qui ont certes hérité d’un pouvoir plus conséquent mais également d’une transparence de décision les exposant à la

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La loi d’orientation pour l’aménagement et le développement durable du territoire (LOADDT) du 25 juin 1999, dite loi Voynet ; la loi sur l’intercommunalité du 12 juillet 1999, dite loi Chevènement ; et la loi sur la solidarité et le renouvellement urbain (SRU) du 13 décembre 2000, dite loi Gayssot.

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Borraz Olivier, « Pour une sociologie des dynamiques de l’action publique locale », in Balme Richard, Faure Alain, Mabileau Albert (dir), Les nouvelles politiques locales - Dynamique de l’action

censure de l’opinion. Leurs propos tout comme leurs agissements font de plus en plus souvent l’objet de contestations et l’accueil de leur décision ne bénéficie d’aucune garantie préalable. Face à cette situation d’incertitude, ils multiplient les tentatives d’information, de discussions, de délibération, de consultation, de négociation, bref, de concertation. En d’autres termes, la montée en puissance de l’appel à l’opinion publique à laquelle on assiste depuis les années 1960-1970, et qui se cristallise depuis les lois de décentralisation, se fait l’écho d’une crise de la légitimité décisionnelle.

Néanmoins, pourquoi aujourd’hui, plus qu’hier, la légitimité est-elle régulièrement remise en cause ? Romain Laufer nous rappelle qu’au sortir de la Révolution française, elle est fondée sur un système rationnel - légal17. Les deux principes qui permettent de légitimer une action sont la science et les lois. Si une simple négociation ne permet pas de régler une contestation, le droit, par l’intermédiaire d’un juge, viendra trancher. Au début du XIXème siècle, la simplicité, la stabilité, l’universalité et l’irréfutabilité de la loi effacent la notion de légitimité au profit de celle de légalité. Pourtant, aujourd’hui, les critères de la loi correspondent davantage à la complexité, à la versatilité, à la spécificité et au doute. Les différentes réglementations se recoupent et interfèrent, débouchant ainsi sur des solutions imprévisibles.

Cette probabilité judiciaire infirme le principe selon lequel nul n’est censé ignorer la loi et elle ramène la légitimité de l’action ou de l’acteur à « une notion pragmatique qui ne vaut que dans la mesure où l’objecteur accepte effectivement la réponse qui lui est proposée »18. Ainsi, du moins en France où la tradition est plus proche de la rationalisation juridique que de la rationalisation éthique, l’adjonction d’un critère plus aléatoire à une appréciation au préalable uniquement rationnelle-légale s’accompagne d’un scepticisme grandissant qui engendre, d’un côté, une multiplication des procès à l’initiative de la population et, d’un autre côté, une stratégie de défense, développée par une autorité en quête de légitimité. Une stratégie prenant de plus en plus souvent la forme de la concertation.

17

Laufer Romain, « Quand diriger, c’est légitimer », Revue française de gestion, numéro spécial, n°111, novembre – décembre 1996.

18

1.1.1.1.3 La concertation comme aide à la décision

Parce qu’il ne résulte plus du seul respect des règles institutionnelles, le bien-fondé d’une action s’évalue aussi et surtout à son approbation. Cette approbation découle du fait qu’il n’y pas une solution unique, mais que la variété des individus concernés par une action suscite la même variété de réponses possibles. Comme il ne peut pas y avoir une réponse optimale, ou idéale, la légitimité devient le corollaire de la satisfaction, du contentement de la majorité. A priori égale à l’acceptabilité d’une solution pour les décideurs, la satisfaction est difficilement prévisible a posteriori. Elle dépend du résultat effectif de l’action qui, comme on a pu le voir, n’est pas prédéterminé.

Cette difficulté d’identification des effets des politiques publiques se fait l’écho d’une expertise de plus en plus présente dans la définition des problèmes à résoudre. Les textes réglementaires mentionnant la nécessité d’une intervention experte – tels que les études d’impact qui, depuis 1976, obligent les promoteurs à démontrer techniquement à la collectivité les implications environnementales – en sont caractéristiques. Pour prendre sa décision l’autorité doit, au préalable, expérimenter ou tester l’action qu’elle souhaite mettre en œuvre. Dès lors, l’interaction administration/expert se justifie parce que d’un côté il y a des décisions à prendre et d’un autre côté il y a des estimations à faire ; les secondes étant censées permettre les premières. Dans cette optique, l’expert se définira volontiers, d’une part conventionnellement, comme celui qui se trouve entre l’utilisateur et le commanditaire de l’acte expert – soit entre l’usager et l’autorité – et d’autre part, opérationnellement, comme celui qui a acquis l’expérience nécessaire à l’analyse d’un projet donné tout en échappant au jeu des influences locales. Dans sa sociologie de l’expertise, Jean-Yves Trépos dit que le bénéfice attendu de cette expertise par l’autorité est « l’indiscutabilité de la décision »19.

19

Pour aborder la notion d’expertise nous nous référerons largement à l’ouvrage de Jean-Yves Trépos,

Néanmoins, parce que la contre-expertise peut contredire cette indiscutabilité, la technicité ne peut se vanter d’être la seule réponse. La solution idéale n’existant pas, le meilleur projet n’est pas le meilleur techniquement mais, tout en apportant une solution technique satisfaisante, le mieux accepté. Au jugement technique s’adjoint l’appréciation de la population. Une appréciation qui incite l’autorité à inviter la population à participer.

« Ne jamais donner la parole à quelqu’un, c’est le pire des désaveux » affirme Jean- François Phélizon dans son analyse de l’action stratégique20. Donner la parole, voilà donc comment la participation de la population pourrait être définie au préalable. L’effectivité de la participation n’a d’ailleurs pas pour origine une demande de la population, mais au contraire une offre de la part de l’autorité. C’est néanmoins une relation dialectique entre l’autorité et la population où les instruments descendants de communication se présentent comme des instruments ascendants de participation. En d’autres termes, la décision peut être caractérisée comme un acte systémique où l’autorité et la population seraient des partenaires, la première en tant que représentante légitime des administrés et la seconde en tant que porteuse d’une demande sociale.

Cherchant tout autant à faire accepter sa politique qu’à mieux connaître les besoins et les attentes de la population, lorsque l’autorité institue une démarche concertée elle escompte au minimum aider sa décision sinon sur le fond du moins sur la forme.

1.1.1.2 La concertation : Décider de concert avec ceux qui ne

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