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Rétablir la confiance du public en utilisant un modèle basé sur la méfiance

Section 2. Les organisations publiques

2. Le New Public Management: une notion plurivoque pour une masse de diligences

2.4. Rétablir la confiance du public en utilisant un modèle basé sur la méfiance

public en raison de la performance défaillante et de l'opacité. Ironiquement, il l'a fait en introduisant des innovations basées sur la méfiance. Grâce à un système complexe de contrats ; à la fragmentation, à des normes explicites à court terme de performance et à des mécanismes d'audit et de contrôle, il a introduit une certaine méfiance institutionnalisée dans le secteur public (Dubnick, 2005).

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2.4.1. Trois types de confiance

À ce stade, il semble nécessaire d'élaborer d'abord une typologie des différentes formes de confiance. Lewicki et Bunker (1996) ont distingué trois types de confiance : la confiance fondée sur le calcul, la confiance fondée sur la connaissance et la confiance fondée sur la reconnaissance :

 La confiance basée sur le calcul tient sa robustesse des gains, elle sera pertinente dans la mesure où elle est signifiante, cependant, les chiffres ont pour réputation de ne pas être compris par l'ensemble de la société. Aussi, le problème de rationalité limitée des acteurs publics est un bémol à cette vision, elle risque de ne pas durer dans le temps. La crainte des effets sur la confiance de certains comportements a donc un effet dissuasif. Lorsqu'il existe une confiance fondée sur le calcul, il est supposé que les acteurs agiront de manière fiable en raison des avantages que cela apporte ;

 La confiance basée sur la connaissance se nourrit de l'information et non de la dissuasion. La prévisibilité est une valeur-clé dans les relations de confiance basées sur la connaissance. Les acteurs ne peuvent se faire confiance que lorsqu'ils ont suffisamment d'informations sur le comportement et les intentions de l'autre. La confiance basée sur la connaissance implique donc que la confiance n'est pas possible là où l'information et la connaissance sont limitées. Dans le contexte du secteur public, la confiance fondée sur la connaissance peut être favorisée en insérant des informations plus fournies et de meilleure qualité dans le système ;  Enfin, la confiance basée sur la reconnaissance est basée sur la reconnaissance

mutuelle et sur des valeurs et objectifs partagés. Contrairement à la confiance fondée sur le calcul et la connaissance, elle n'est pas cognitive, mais émotionnelle : «la

confiance existe parce que les parties comprennent et apprécient effectivement les désirs de l'autre» (Lewicki et Bunker, 1996).

Lewicki et Bunker (1996: 124) considèrent ces types de confiance comme des étapes où une confiance stable fondée sur la reconnaissance est limitée à quelques relations et prend du temps à se développer. La confiance basée sur les connaissances s'applique à de nombreuses relations et prend du temps à se développer. Tout comme la confiance basée sur la reconnaissance, la confiance basée sur le calcul s'applique à nouveau à certaines relations, mais au contraire, elle peut être développée assez rapidement tout en restant fragile. Elle ne peut s'appliquer qu'à

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certaines relations, car elle nécessite une surveillance constante, ainsi qu'une action cohérente et rapide.

2.4.2. NPM comme un système basé sur la méfiance ?

Il a été avancé que le NPM est un système basé sur la méfiance. Ce n'est que partiellement vrai. Le NPM est en effet construit sur l'hypothèse initiale que les intérêts sont antagonistes, et que les acteurs ne peuvent donc pas se faire confiance. Le NPM, qui tient ses racines de la pensée des choix publics, est basé sur l'idée que les fonctionnaires ne peuvent pas faire confiance, ce sont des maximiseurs d'intérêt personnel, utilisant leur administration pour satisfaire leur propre intérêt (Niskanen, 1971).

Les déficits d'information en amont du NPM et les asymétries d'information ont empêché les élus de contrôler les agents publics et de leur demander des comptes. Les citoyens avaient aussi peu d'informations et même moins de liens directs avec les fonctionnaires, ce qui limitait leur capacité de vérification de cet intérêt personnel. Il s'ensuit que les partisans du NPM ne croient pas en la confiance fondée sur la reconnaissance, parce qu'une telle confiance suppose une commensurabilité des intérêts, que l'on pense simplement qu’ils n’existent pas. Au lieu de cela, le NPM s'est concentré sur la création d'une confiance fondée sur la connaissance et le calcul. En mettant en place plus de contrôle et d'informations dans le système, le NPM permettrait aux principaux et aux agents de se faire à nouveau confiance.

Le NPM est donc différent des autres approches du secteur public, et en particulier l'hypothèse wébérienne des fonctionnaires travaillant dans l'intérêt public. Cette notion d’intérêt public est, en effet, facile à identifier, dans la mesure où elle prend la méfiance comme condition de base de la collaboration dans le secteur public. Les principaux et les agents se méfient les uns des autres. Les ministres se méfient des intentions des fonctionnaires et vice-versa, et les citoyens estiment que le gouvernement ne travaille pas dans leur meilleur intérêt.

Cette méfiance initiale entre les ministères et les fonctionnaires est un thème central dans une grande partie de la littérature inspirée par les choix publics, dans la culture populaire inspirée des choix publics et dans de nombreuses études sur les relations politico-administratives (Paul't Hart et Wille, 2006). Les intérêts des politiciens et des hauts fonctionnaires sont antagonistes, et les relations entre les hauts fonctionnaires et les bureaucrates de rang inférieur sont tout aussi problématiques. De même pour les citoyens, le NPM ne s'attend pas à ce qu'ils fassent aveuglément confiance en leurs politiciens ou fonctionnaires pour qu'ils leurs fournissent des

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services de haute qualité (Christensen et Lægreid, 2002), mais les exhortent à exiger de meilleurs services et d'en contrôler la qualité.

2.4.3. Créer une confiance fondée sur le calcul et la connaissance

Dans une vision de NPM, les fonctionnaires ne travaillent, en aucun cas, pour l'intérêt public. Les intérêts antagonistes entre les citoyens et les fonctionnaires rendent les relations de confiance basées sur la reconnaissance impossible. Mais cela ne signifie pas que le NPM est un ensemble de réformes entièrement basé sur la méfiance. Les innovations de type NPM se sont concentrées sur la réduction des déficits et des asymétries d'information, et sur des mécanismes de contrôle et de conformité plus élaborés. Même les marchés ne peuvent pas fonctionner qu’avec un certain degré de confiance entre les acteurs. Sinon, les coûts de transaction deviennent insoutenables.

Donc, nous relevons que la réforme de type NPM, devra donner lieu à une focalisation sur les mécanismes de confiance fondés sur la connaissance et le calcul, au lieu de mécanismes basés sur la reconnaissance. Le NPM réfute les relations de confiance basées sur la reconnaissance, qui ont pris du temps à se développer, parce qu'il n'admet pas qu'elles puissent exister. Il intègre plutôt, d'une part, les notions de relations de confiance fondées sur le calcul, avec des mécanismes de contrôle, des contrats à court terme et une concurrence. Et d'autre part, celles fondées sur la performance, incluant un suivi de la performance et une plus grande transparence. Les interactions entre les ministres et les hauts fonctionnaires où la collaboration entre les organismes publics sont généralement des interactions typiques lorsqu'il s'agit d'une distance relativement faible entre le principal et l'agent. Davantage, quand cela concerne généralement un nombre relativement faible de relations. Dans de telles relations, les réformes du NPM se sont donc concentrées sur la construction d'une confiance fondée sur le calcul. Il s’agit des interactions entre les hauts fonctionnaires et les fonctionnaires travaillant sur le terrain, les interactions entre les décideurs politiques, les écoles et les hôpitaux, ou encore les interactions entre les citoyens et les organismes de prestation de services. Cependant, cette multitude relationnelle complique les relations de confiance fondées sur le calcul. Dans de telles situations, les réformes du NPM se sont concentrées sur la facilitation de la confiance en se basant sur la connaissance et en rendant disponible des métriques de performance détaillées (Van de Walle et Roberts, 2008).

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2.4.4. Les effets du NPM sur la confiance fondée sur la reconnaissance

En se focalisant sur la confiance basée sur le calcul et la connaissance, la philosophie du NPM reconnaît tacitement qu’il était théoriquement impossible de bâtir une confiance basée sur la reconnaissance. Le NPM peut avoir contribué à la destruction de la confiance basée sur la reconnaissance. En l’occurrence, la concentration sur le contrôle et donc sur la méfiance dans la réforme du secteur public, le NPM a souvent été blâmé pour avoir efficacement détruit les relations de confiance existantes dans ce secteur. Les systèmes modernes de mesure et de gestion du rendement étaient souvent perçus comme étant en contradiction directe avec les systèmes traditionnels de contrôle et de direction basés sur la méfiance (Halligan et Bouckaert, 2009).

Un exemple frappant est la normalisation des professions dans les services publics modernisés. Alors que les groupes professionnels tels que les enseignants et les travailleurs de la santé disposaient initialement d'un large espace discrétionnaire et étaient largement tributaires de l'autorégulation. Les réformes basées sur la méfiance conduisent ainsi à un déclin perçu de l'autonomie (Ferlie et al., 1996). Un système de confiance dans les pratiques professionnelles et l'expertise a été abandonné et remplacé par des normes explicites de performance (Hood, 1995). Une explosion d'audits a remplacé les relations de confiance et a introduit une méfiance active dans le système (Power, 1999), créant des professionnels qui ne se sentaient plus en confiance (Broadbent et Laughlin, 2002). Lorsque de nombreux systèmes d'audit et de contrôle de ce type se sont avérés mal conçus et ont favorisé des comportements dysfonctionnels, ils ont commencé à contribuer activement à la méfiance (Berg, 2005).

Lors d'entretiens avec des responsables publics en Nouvelle-Zélande sur les effets de la réforme du secteur public, Norman (2003) a observé que la confiance était un sujet récurrent. Selon ces responsables publics, on a estimé que la segmentation et la distribution, liées au NPM, conduisaient presque délibérément à une faible confiance mutuelle (Norman, 2003). L'introduction de nouveaux outils de gestion, basés sur la méfiance, a conduit à une perte de confiance entre les dirigeants et les politiciens (Christensen et al., 2008). En effet, «La

confiance a connu une altération importante dans un système conçu pour contrer la maîtrise des pressions sur les fournisseurs en utilisant la concurrence comme méthode de contrôle et en créant une distance entre les principaux et les agents» (Norman, 2003). Cette distance, et

l'absence de confiance mutuelle qui en découle, ont contribué à créer un climat de peur où il n'est pas apprécié et même dangereux de commettre des erreurs et de prendre des risques (Norman, 2003). Les gestionnaires interviewés par Norman en Nouvelle-Zélande ont déclaré

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que « s'engager à atteindre des objectifs ambitieux et audacieux exige de la confiance » (Norman, 2003). Ils ont également considéré que des mécanismes de reddition d’une comptabilité rigoureuse étaient inutiles s'il n'y avait pas de confiance entre les directeurs généraux des entreprises et les ministères. Aussi, ils ont souligné l'importance de l'informalité et de la confiance dans les relations entre les organismes publics et les directeurs généraux. Cela suppose un fort contraste avec le contrôle, la formalisation et les contrats sur lesquels reposent de nombreuses innovations du NPM (Norman, 2003). De même, les routines de contrôle et de conformité ont toujours largement été perçues comme un lourd fardeau (Norman, 2003). La désagrégation du secteur public en unités autonomes, ou la privatisation de certaines parties du secteur public, entraîne en outre un déclin de la cohésion et peut-être des valeurs communes (Ferlie et al., 1996). Cette dévalorisation de l'éthique de la fonction publique peut également signifier la disparition d'un réseau de relations contractuelles à haute confiance dans le secteur public. Cette confiance a longtemps été reflétée par de faibles coûts de transaction entre les différentes agences publiques (Dunleavy et Hood, 1994). Cette désintégration a été suivie d'un changement actif de l'image que reflétaient les organisations, conduisant à un large éventail de marques non connectées au marché plutôt qu'à une seule marque reflétant le secteur public et les responsables publics, qui s'identifient désormais à leur propre organisation et non pas au secteur public dans son ensemble. De ce fait, la confiance est basée sur une reconnaissance plus difficile à atteindre.

Les relations contractuelles sans lien de dépendance à court terme ont remplacé, par ailleurs, la collaboration à long terme (Dunleavy et Hood, 1994). De tels contrats laissent peu de place à la confiance relationnelle, même si la confiance est nécessaire surtout dans les relations contractuelles (Lane, 2000). L'utilisation de contrats à court terme peut créer pour les cadres des incitations perverses et substituer de l'opportunisme à la confiance mutuelle (Gregory, 2003). En effet, l'introduction du contractualisme, selon Gregory (2003), était basée sur une «croyance que les gens ne peuvent pas faire confiance» (Gregory, 2003). Le résultat d'une telle contractualisation est tel que la nouvelle «méfiance institutionnalisée favorise davantage la

méfiance» (Gregory, 2003).

2.4.5. Synthétisons sur NPM et la confiance

Alors que le NPM a souvent été tenu responsable de la création et de la prolifération de la méfiance, les sections précédentes montrent que cela doit être mis en perspective. Le NPM semble avoir eu un effet négatif sur la confiance fondée sur la reconnaissance, mais d'autres

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innovations liées au NPM peuvent en effet avoir contribué à la construction d'une confiance basée sur le calcul et la connaissance. L'évaluation globale des effets du NPM dépend de la perspective que l'on adopte. Certaines critiques du NPM ont été formulées sur la période où le NPM était une nouvelle vision ; les politiciens, les fonctionnaires et les organisations gouvernementales travaillaient harmonieusement ensemble guidés par une éthique commune du secteur public et des relations mutuelles.

D'autres, en particulier les spécialistes des choix publics et d'autres spécialistes de la bureaucratie, ont constaté une méfiance généralisée dans le secteur public. Cette méfiance concerne à la fois la relation entre les politiciens et les hauts fonctionnaires, mais aussi les ministères défendant leur territoire. Les analystes ont également fait remarquer qu'avant la vague de réformes des années 1990, il y avait une profonde méfiance entre les gestionnaires et les politiciens, entre les gestionnaires eux-mêmes, entre les citoyens et le gouvernement, etc. (Osborne et Plastrik, 1998). De plus, les relations traditionnelles basées sur la confiance étaient parfois trop douces, comme en témoignent la politisation généralisée et la corruption qui ont permis aux idées du NPM de prendre de l'importance, ainsi que les scandales impliquant des professionnels non responsables publics. Les demandes croissantes qui ont émergé, pour une vérification et un contrôle accrus, sont l'expression de la méfiance qui existait (Power, 1999), et ne devraient probablement pas être perçues comme quelque chose qui a été imposé par le sommet, mais comme quelque chose qui s'est avéré fertile.

Une dernière observation concerne le fait qu'avant les réformes du NPM, de nombreux secteurs publics souffraient déjà de vastes systèmes de contrôle et de conformité. Les organisations bureaucratiques traditionnelles respiraient la méfiance et exigeaient que les fonctionnaires de rang inférieur ou de la base demandent des autorisations pour tout et expliquent tout.

Cela montre que les effets créateurs de méfiance du NPM ne doivent pas être surestimés. Ce qui est intéressant cependant, c'est que les réformes de type NPM sont basées sur la fragmentation délibérée et la répartition des fonctions et la concurrence. Tout cela est basé sur l'hypothèse que la confiance est impossible, alors que la bureaucratie traditionnelle reposait sur la croyance, aussi mythique qu'elle puisse paraître, en un intérêt public.