• Aucun résultat trouvé

Réformes de l'administration française : changement et résistance

Section 1. New Public Management, histoire et fondements

1. Genèse du New Public Management

1.2. Réformes de l'administration française : changement et résistance

L'administration française est traditionnellement caractérisée par un système hiérarchique centralisé qui incarne le pouvoir et la légitimité de l'État, et les intérêts généraux de la nation (Stevens, 1996). Cela tient son origine du modèle administratif Napoléonien qui intervient sur tous les aspects de la vie socioéconomique de la nation française (Knapp et Wright, 2001). La structure organisationnelle de l'administration française se forme principalement au niveau central par des ministères qui se ramifient en structures locales à travers les 18 régions et 96 départements du pays.

Le mode opératoire traditionnel fait que le niveau central prescrive une politique et des objectifs, mais également met à disposition les moyens de les appliquer et de les atteindre (Jones, 2006). Ce type hiérarchisé de relation de travail est mené par des hauts fonctionnaires considérés comme l'élite de la nation. Cette élite est Formée principalement à l'Ecole Nationale d’Administration et dans des écoles d'ingénieur tel que Polytech. Elles sont perçues comme étant qualifiées à former une élite à la définition de l'intérêt public que l'État devra produire (Rouban, 1993). Cependant, cet élitisme fait que ces hauts fonctionnaires soient déconnectés du terrain et de la vie sociale (Cole, 2005).

Le caractère hiérarchique et centralisé de l'administration française, étayé par une forte tradition légaliste est appuyé par une notion de service public propre au pays. C'est dans ce cadre du service public à la française que se forment les bases des principes opérationnels du système administratif français (Clarck, 2007; Cole 2000). À partir de perspectives légales, l'intérêt public requiert du service public une comparabilité et une qualité équivalente, en dépit de la localité où il est fourni (Clarck, 1998). Des contrôles réguliers sont menés, afin de s'assurer de la bonne délivrance du service public, par un inspectorat dans un système de juridiction administrative et financier, respectivement le conseil d'État et la Cour des comptes (Oberdorff, 1998). Les deux prestigieuses instances de contrôle sont l'Inspection Générale des Finances qui contrôle la dépense publique et l'Inspection Générale de l'Administration qui contrôle les activités des ministères et des préfectures en matière de procédures et d'application des lois. La cour des comptes, quant à elle, est responsable du contrôle en aval de la dépense publique en matière de conformités pécuniaires avec les procédures en vigueur. La Conseil d'État est la plus

61

haute juridiction en charge des affaires relevant du droit public, ses arrêts sont une source du droit et sont ainsi considérés comme jurisprudence.

Il existe également un autre contrôle minutieux imposé aux ministères dans leurs champs de compétence en matière budgétaire, il est exercé par le ministère du budget par voies d'autorisations. En effet, chaque ministère est dans l'obligation de solliciter des autorisations de dépenses dans le cadre de l'exécution de son budget. Dans ce sens, le ministère des Finances est traditionnellement habilité à exercer un contrôle sur le plan budgétaire de chaque ministère, ce qui constitue une sorte de management et de contrôle bicéphales (Quermonne, 1991). Cela a bien évidemment une conséquence sur la capacité opérationnelle de la gestion des ministères. Cette réduction de la capacité de manœuvre met en avant l'intérêt pour le respect des procédures au détriment de la recherche de l'optimisation de la gestion ou encore de l'amélioration de la productivité (Stevens, 1996).

La notion de service public ainsi que le rôle des acteurs publics, à savoir les fonctionnaires sont clairement indiqués dans le code civil de 1946. La loi tend à s'assurer que les termes et les conditions de recrutement pour les fonctionnaires soient égaux, comparables et en phase avec le système administratif français. Dans le cadre de leurs obligations, les fonctionnaires sont sommés de respecter quatre principes (Delblond, 1994; Rouban, 1996). Il est demandé aux fonctionnaires de prendre leurs responsabilités, eu égard aux devoirs qui leurs sont assignés par leurs postes et de se conformer aux ordres de leurs supérieurs à moins que ceux-ci ne soient illégaux et/ou contraires à l'intérêt public. Il leur est par ailleurs interdit d'exercer plus d'une fonction dans le secteur public, et encore moins dans le secteur privé. Et enfin d’avoir un comportement, même hors du cadre de travail, qui ne porte pas préjudice à la réputation de l'administration. À partir de là, la notion de service public procure une logique d'appropriation de l'intérêt général par le comportement organisationnel des acteurs publics, quant à l'acquittement de leurs responsabilités.

1.2.2. Des réformes sous pressions

Depuis les années 80, l'administration française a été sujette à un certain nombre de pressions qui voulait la voir se restructurer et réformer ses procédures. L'effet de l'européanisation et l'intégration dans l'Union Européenne a fait émerger une politique nouvelle qui dépassait le seul enjeu des responsables politiques et leur vision du service public. Avec l'émergence de cette vision supranationale, l'Europe laisse entendre aux pouvoirs publics que les exigences de l'union sont telles que la décentralisation est un aspect de la gestion, lequel doit être mis en avant, en

62

particulier, la décentralisation vers les régions (Oberdorff, 1992). De plus, les politiques monétaires européennes requièrent une attention particulière aux budgets, et delà à la dépense publique. En effet, la réduction de la dépense publique est singulièrement considérée comme un enjeu quant à sa conformité aux exigences de l'Europe. Cela a produit au système administratif français un sérieux problème dans la reconsidération de son modèle de service public (Muller, 1992).

En 1982 et 83, les tentatives de réformes pour la décentralisation ont représenté en elles-mêmes des pressions. Il s'agit d'une deuxième forme de pressions. Ces réformes ont produit une autonomie sans précédent au niveau local : régions et municipalités. Les communes ont acquis la responsabilité de l'urbanisme, la construction et la maintenance des infrastructures, mais aussi l'équipement de l'éducation pour le cycle primaire. Les préfectures ont pris la responsabilité des transports, de l'enseignement secondaire et du service social. Enfin, les régions, quant à elles, sont responsables de l'enseignement supérieur, de la formation professionnelle, et dans une certaine mesure, des autres secteurs conjointement avec les autres niveaux. En somme, la gestion de l'État a vraiment connu une souplesse et un rapprochement avec la base de la société (Negrier, 2000; Duran et Thoenig, 1996).

La réforme, à travers cette décentralisation, a constitué cependant un changement conséquent dans la tradition française en ce qui concerne sa composante administrative, celle-ci, d'ordinaire, était représentée au niveau local (De Montricher, 1995) par les préfectures, en tête des départements, et non par les représentations populaires telles que les régions et les municipalités. Les autorités locales sont désormais appelées à améliorer leurs compétences et celles des acteurs économiques locaux avec des moyens de plus en plus locaux. Ceci représente un accélérateur de développement qui permet de donner un souffle aux institutions locales et aux populations. L'effet sur le service public est qu'il s'agit maintenant de construire un champ de compétences autour des différents acteurs locaux, avec une vraie politique de réseau local. Cela veut dire bien évidemment que l'influence du pouvoir local s'accroît et par conséquent, une émergence d'une politique orientée vers la base est observée (Gremion, 1992).

Une autre pression qui a suscité le changement et qui est à l'origine d'un malaise au sein des agents publics. En effet, les fonctionnaires voyaient un déclin ou un recul dans la considération socioprofessionnelle des statuts de leurs emplois au titre d'opportunités limitées (Bodiguel et Rouban, 1991; De Montricher, 1991). A l'opposé, le secteur privé était perçu comme un vrai eldorado (Chevalier, 1988). La question de carrière était telle qu'elle présentait peu de

63

motivations et d'encouragement, à l'exception des hautes fonctions réservées exclusivement à une certaine classe.

1.2.3. Processus de réformes de l'administration française

En réponse aux pressions déjà citées, les gouvernements successifs se sont embarqués dans différents programmes de réformes. D’une part, en raison de la combinaison d'un conservatisme inhérent au niveau politico administratif, lequel a mené à une résistance au changement d'une part, et d'autre part, suite à une incapacité du niveau opérationnel à maîtriser la conduite de son propre changement. Ceci a bien évidemment limité l'impact des réformes sur le système administratif français.

1.2.3.1. Réformes administratives durant les années 80

Les années 83 et 84 ont été une période critique pour la réforme administrative française. Celle-ci a été symbolisée par un éloignement des approches classiques quantitatives, qui cherchaient alors une croissance à tout prix. Désormais, la vision tend vers une approche plus qualitative qui met en avant une efficiente utilisation des ressources existantes, face à une contrainte budgétaire (Chevallier, 1988 ; Albertini, 2000 ; Steevens, 1988 ; Barouche et Chevas, 1993). Le changement de stratégie a été rendu nécessaire par les mesures d'austérité introduites en France en réponse aux turbulences économiques, dès le début des années 80.

Cette nouvelle approche, de plus en plus qualitative, tire ses origines ou son essence du secteur privé ; incluant les techniques de management en ressources humaines, les outils d'audit, etc. Ceci pour permettre aux fournisseurs de services d'être à même de réduire les ressources nécessaires à la délivrance dudit service en plus de la motivation des agents. Durant cette période, les mesures prises pour réformer avaient pour but de rendre l'administration plus efficiente au travers de l'informatisation des procédés, en vue d'améliorer les pratiques et la simplification des procédures et des textes. Un autre élément influant le processus de réformes était la montée considérable des exigences des citoyens en matière de qualité du service public (Albertini, 2000).

1.2.3.2. Réformes administratives durant les années 90

Les deux réformes majeures connues pendant cette période sont le Renouvellement de la Fonction Publique, introduit par le gouvernement Rocard et la Réforme de l'État, menée par le gouvernement Jupé, en juillet 1995. Chacun des processus de réformes avait pour objectif la facilitation d'accès au service public et la mise en place de mécanismes de contrôles, tout en déterminant les moyens par lesquels les politiques de déterminations des objectifs sont

64

réalisables (Jones, 2006; Cole et Jones, 2005). Plus d'autonomies financières et plus de responsabilités aux niveaux décentralisés ont marqué également cette décennie.

1.2.3.3. Réformes administratives durant les années 2000

La réforme majeure de cette décennie a été l'introduction d'une loi qui refondait le régime budgétaire. La Loi Organique relative aux Lois des Finances (LOLF) mise en application le 01/01/2006. L'allocation des fonds budgétaires, sous ce régime, se fait par projets et non par ministère et par exercice. Les projets sont interministériels et étalés sur plusieurs exercices. Cette loi a par ailleurs d'autres portées, à savoir repenser la vision du service public et les pratiques administratives des fonctionnaires. Elle engage les agents de l'État vers une obligation de résultats en abrogeant l'idée de l'obligation de moyens. Tous les outils managériaux et de gestion mobilisés par le secteur privé sont requis pour les agents publics afin de rationaliser la dépense publique.