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2.3. Des dynamiques collectives pour les processus d‟innovation

2.3.4. Réseau territorial et innovation sociale

Esparcia (2014) fait une analyse du rôle des acteurs dans les espaces ruraux et de leurs initiatives d‟innovation. Mais surtout, il explique l‟importance du réseau, car il facilite la conception, l‟implémentation et le développement des initiatives rurales. Le réseau devient donc un environnement favorable car les acteurs sont liés dans un projet commun au sein du

territoire. Le soutien à l‟innovation met l‟accent sur le changement de pratiques dans une démarche où les relations (approche sociale), les interactions et l‟accompagnement donnent naissance à une dynamique territoriale très compétitive (Zimmermann et al., 1998).

De ce fait, la trajectoire de diffusion des innovations nous fait penser tout d‟abord à la courbe d‟adoption des innovations (figure 25) de Rogers (1962). Même si cette approche peut être vue comme simpliste ou manquant de détail, elle permette d‟identifier une typologie d‟acteurs selon leurs attitudes face aux innovations (Bidaud, 2013). La courbe représente les différentes phases (décollage, adoption majoritaire et les effets de diffusion) lorsqu‟une innovation est adoptée par la société. Mais surtout elle fait la différence d‟une part entre les innovateurs et les adopteurs précoces et les sépare d‟une majorité avancée et retardée, ainsi que des retardataires (Rogers, 1962).

Figure 25. La « courbe en S » de diffusion des innovations

Source : Rogers, 1962.

Concernant la typologie des individus face aux innovations, les agriculteurs se caractérisent par le fait d‟être des « pionniers » (innovateurs) et/ou des « précurseurs » (adopteurs précoces), des « suiveurs » (majorité avancée et retardé) ou des retardataires. En effet, la trajectoire de diffusion de nouvelles pratiques en l‟intégrant au schéma d‟adoption des innovations de Rogers (1962) est très pertinente. De même, Bidaud, (2013) parle de l‟intégration de ces concepts dans la transition agro-écologique comme l‟avait fait Boisseau (1974) pour les innovations et le processus de modernisation de l‟agriculture française. Car

son étude révèle un nombre de dimensions sur la diffusion et même si l‟analyse vise la modernisation agricole, il la qualifie de « tache d‟huile ».

La diffusion des nouvelles pratiques agro-écologiques et des innovations potentielles peut être expliquée par les relations sociales. Tout d‟abord, la schématisation d‟adoption des innovations dans les communautés rurales peut être vue comme un effet de socialisation. En outre, la proximité physique et la relation de voisinage entre agriculteurs sont en principe, un ensemble des règles sociales. Elles sont le résultat d‟une solidarité qui vise à garder des bonnes relations et parfois une vraie amitié. De ce fait, il y a des échanges sociaux (qualité de vie), techniques (essais et résultats) et économiques (circuit de commercialisation et vente) qui sont ensuite propagés par les déplacements et les effets de « bouche à oreille ». Cette diffusion informelle est la première trace d‟une organisation professionnelle qui commence classiquement par une solidarité et puis par le besoin de mutualiser les idées, les valeurs et les pratiques. Les organismes locaux qui prennent la forme d‟un réseau professionnel sont au cœur de la diffusion des nouvelles pratiques à l‟échelle du village et du territoire. Ceci devient un processus d‟adaptation de la société rurale locale qui dépend des ajustements techniques, économiques et sociaux entre agriculteurs et/ou groupement d‟agriculteurs, associations, coopératives, collectivités territoriales, syndicats et filières.

Dans ces rapports, les interactions sont au cœur d‟une relation multi-acteurs qui dépendra des dynamiques de pouvoir, de hiérarchie, de tendances… et qui vont refléter ainsi l‟hétérogénéité des acteurs. En effet, cette diversité d‟acteurs favorise la diversité des apprentissages et enrichit le champ d‟exploration, de création et d‟innovation vers des pratiques plus durables.

a. l’action en réseau

À partir de là, la notion de réseau, y compris dans ses modalités de fonctionnement, suscite notre intérêt, car ces éléments permettent de comprendre les relations entre les entités sociales et les caractéristiques/répercutions des relations individu, collectif, réseau. La transition agro- écologique et le développement de l‟AB sont caractérisés par les différents rôles d‟acteurs du territoire et ont besoin des différentes personnes et/ou groupes pour avoir des connaissances spécifiques au niveau technique, ce qui est très important pour changer les pratiques agricoles ; ces éléments conditionnent les règles et les représentation des acteurs (Hermans et

relations entre acteurs, montre quatre éléments à prendre en compte. Selon Wasserman et Faust (1994) (i) les acteurs et leurs actions sont vus comme interdépendants et pas comme indépendants ou des unités individuelles ; (ii) les liens entre les différents acteurs sont vus comme un canal de ressources matérielles et non-matérielles ; (iii) le modèle des réseaux d‟intérêts est un facilitateur de ses démarches individuelles (leur projet) ; (iv) les modèles des réseaux conceptualisent la structure sociale, économique ou politique qui dessine les types de relations entre acteurs.

En effet, aller vers des systèmes plus durables demande un degré d‟engagement de « réseaux » d‟acteurs y compris les producteurs, les groupements, les associations, la collectivité territoriale et dans certains cas, la recherche. Cette multiplicité de réseaux fait qu‟ils sont interconnectés les uns aux autres pour finalement composer le système local vers la transition agro-écologique. Leeuwis et Pyburn (2002) se réfèrent aux interactions de systèmes locaux d‟innovation comme un « Social Learning » où les apprentissages sont une co-création entre les individus, les parties prenantes et la recherche. Au-delà, ces systèmes sont composés par les différents rôles qui aboutissent aux actions des organisations.

Dans cette logique, les rôles des individus dans le système local d‟innovation en milieu rural sont identifiés par plusieurs auteurs. Il est constitué par les « champions d‟innovations » (Schon, 1963 ; Achilladelis et al., 1971 ; Chakrabarti, 1974 ; Howells et Higgins, 1990) et les promoteurs (Witte, 1977). Ce dernier s‟adresse aux individus actifs qui soutiennent le processus d‟innovation (Witte, 1977) et identifient ainsi les verrouillages des innovations. La fonction des promoteurs est toujours une sorte d‟enthousiasme pour dépasser les effets de verrouillage et protéger les innovations (Shepard, 1967). L‟activité des promoteurs est de défendre les innovations par des connaissances spécifiques et leur fonction dans les structures est d‟être proche des changements des pratiques. Ces éléments font du promoteur un individu qui est conscient des difficultés du processus pour pouvoir dépasser les blocages et trouver des solutions aux problèmes. Le promoteur est en constante interaction avec différents acteurs pour faire aboutir les actions innovantes. Dans le cas des « champions d‟innovations », ce sont des individus qui cherchent de manière informelle à s‟appuyer sur l‟enthousiasme des promoteurs d‟innovations pour toucher le noyau organisationnel du système local d‟innovation (Howells et al., 2005). En effet, ces « champions » opèrent par un discours anecdotique où la personne raconte le succès de différentes expériences innovantes. L‟individu commence donc par une promotion informelle des idées innovantes et, à partir de

son témoignage, le pouvoir informel de ses expériences devient des idées diffusées au sein des organisations (Burgelman, 1983). L‟articulation entre le «promoteur» et le «champion» dans le système local d‟innovation fait émerger le savoir-faire des organisations.

Dans la notion du système d‟innovation, Fichter (2009) ajoute le rôle du « innovation broker » où l‟individu est capable de naviguer dans le réseau d‟innovation. En effet Hermans et al., 2013 ; Klerkx et Leeuwis, 2008 ; Howells, 2006, identifient dans le système d‟innovation le « promoteur du processus » et le « promoteur de relation » qui superposent le concept d‟intermédiaires d‟innovations et les « négociateurs des innovations ». Ces rôles aident à articuler les différentes connaissances et ils peuvent créer des liens de coopération entre partenaires. De plus, ils régulent l‟harmonisation du système local d‟innovation au milieu rural qui est composé en principe par une hétérogénéité du réseau où existe une multiplicité d‟acteurs, normes et valeurs. Dans un système local d‟innovation la fonction des « négociateurs » a plusieurs niveaux : d‟une part un niveau intra-organisationnel et d‟autre part un niveau qui joint le réseau existant avec le système local d‟innovation, Klerkx et Leeuwis, (2008), les appellent des « négociateurs systémiques ».

Au-delà du processus de traduction et de négociation dans le système d‟innovation identifié par Moore et Westley (2011), l‟entrepreneuriat et le rôle d‟acteurs sont vus comme fonctions qui cherchent à changer les logiques institutionnelles. Les acteurs du territoire soutiennent la durabilité des exploitations agricoles vers les innovations comme une réponse vis-à-vis des initiatives locales portés par les acteurs de la profession agricole, mais aussi par les acteurs sociaux. Ces acteurs répondent aux besoins sociaux (dégradation de l‟environnement) et au- delà du soutien aux innovations des agriculteurs, cherchent plutôt à changer le contexte (Lounsbury et Crumley, 2007). Dans ce registre, peut-on nous parler d’un phénomène lié à l’innovation sociale dans le département du Gers ?

b. L’innovation sociale

L‟innovation sociale a acquis plus de visibilité ces dernières années. Selon Cajaiba-Santana (2013) elle a toujours existé, cependant, sa conceptualisation est plutôt récente. Dans la littérature des innovations, les auteurs (Hillier et al., 2004 ; Assogba, 2010 ; Hans-Werner et

évoquée par la notion « d‟invention sociale » de Weber et l‟approche Schumpetérienne du début du XXème siècle (Hiller et al., 2004 ; Mulgan 2007 ; Howaldt et Schwarz, 2010 ; Hochgerner, 2009 ; Hans-Werner et al., 2012). Toutefois, le terme n‟est quasiment pas utilisé dans la littérature économique depuis Schumpeter et pendant cinquante ans, les approches sont restées pendant longtemps focalisées sur les dimensions techniques et économiques. L‟évolution conceptuelle des dernières années montre la manière comment l‟innovation sociale émerge du champ pratique et opérationnel (Hans-Werner et al., 2012) en laissant la place à plusieurs définitions. À la recherche d‟une conceptualisation de la théorie de l‟innovation sociale, Mulgan (2007) part du principe qu‟il s‟agit « des idées qui émergent du terrain ». Hans-Werner et al., (2012) identifient dans ce principe un moyen de comprendre la distance entre les champs pratique/opérationnel et les théoriques de l‟innovation sociale. La nécessité de l‟étudier provient d‟un phénomène émergeant des pratiques sociales lesquelles mettent en évidence les besoins des sociétés, que la recherche trouve un intérêt à accompagner. Ce type d‟innovations naît du terrain, de l‟action des individus, elles se produisent au niveau social des pratiques. L‟innovation sociale engage des changements dans le pouvoir de relations et comme le signalent Lisetchi et Brancu (2014), l‟innovation sociale amène aux changements de profondeur, car celles-ci modifient la façon comme les individus pensent et voient les choses.

Définitions de l‟innovation sociale :

« Toute nouvelle approche, pratique ou intervention ou encore tout nouveau produit mis au

point par une amélioration d’une situation ou pour solutionner un problème social ou socio- économique et ayant trouvé preneur au niveau du marché, des institutions, des organisations, des communautés » (Bouchard, 1999)

« Une innovation sociale est une intervention initiée par des acteurs sociaux pour répondre à

une aspiration, subvenir à un besoin, apporter une solution ou profiter d’une opportunité d’action afin de modifier des relations sociales, de transformer un cadre d’action ou de proposer de nouvelles orientations culturelles » (Saucier et al., 2006).

« Une solution nouvelle à un problème social, qui soit plus efficace et durable que les

« L’innovation sociale consiste à élaborer des réponses nouvelles à des besoins sociaux

nouveaux ou mal satisfaits dans les conditions actuelles du marché, des politiques sociales, en impliquant la participation et la coopération sociale des acteurs concernés, notamment des utilisateurs et usagés. Ces innovations concernent aussi bien le produit ou service, que le mode d’organisation, de distribution (…) Elles passent par un processus en plusieurs démarches : émergence, expérimentation, diffusion, évaluation » (CSESS, 2011)

« Le développement et la mise en œuvre des nouvelles idées (produits, services et modèles)

pour répondre des besoins sociaux et créer de nouvelles relations ou collaborations sociales (…) sont sociales à la fois dans leurs finalités et dans leurs moyens » (CE, Guide

d‟innovation sociale, 2013).

La dernière définition nous semble pertinente, car elle clarifie le fait qu‟une nouvelle idée peut être un produit, un modèle et/ou un service pour bénéficier et améliorer les conditions d‟un groupe social (dans notre cas agriculteurs). La nouveauté peut signifier une nouvelle idée, mais aussi la recombinaison des modèles déjà existants (Mulgan et al., 2007) afin de satisfaire les besoins sociaux.

Ainsi, d‟un point de vue managérial, l‟innovation sociale créée de nouvelles relations où les collaborations sociales mettent en évidence l‟engagement d‟acteurs sociaux (associations/citoyens) dans un processus de co-création. Les nouvelles idées, les méthodes de travail et les services peuvent passer par un usage à différentes échelles et dans différents contextes : locale, régionale, gouvernementale, organisationnelle et marchande. Cette définition nous convient, car elle renvoie au processus non-linéaire lequel est imprégné d‟une organisation où la dimension sociale est essentielle pour trouver les moyens pour aboutir aux finalités de la transition agri-écologique dans le Gers.

Figure 26. Composants de l‟innovation sociale

En partant des réflexions de Bourque et al., (2007) ; Assogba, (2010) et Rousselle, (2013), nous retiendrons donc que l‟innovation sociale peut être appréciée sur cinq paramètres principaux :

1) L‟innovation sociale est une réponse ou une solution à un besoin social au niveau microsocial provenant d‟un problème social vécu localement non résolu par l‟Etat et/ou le marché.

2) L‟innovation sociale dans sa finalité sociale s‟appuie sur des valeurs sociales et partagées et inspirent d‟autres acteurs sociaux.

3) L‟innovation sociale nécessite d‟une action collective, un modèle de gouvernance multi prenante et multipartenaire basée sur des relations multi-réseaux.

4) L‟innovation sociale doit passer par un processus d‟expérimentation dans ce(s) première(s) phase(s) et pour se pérenniser elle doit rentrer dans une logique d‟institutionnalisation.

5) L‟innovation sociale fait l‟ancrage territorial.

Le produit de l‟innovation sociale est le changement social : l‟émergence de nouvelles relations entre individus (Hochgerner 2011 ; Cajaiba-Santana 2013 ; Schubert, 2014). Ces changements commencent par les différentes formes de relations et d‟interaction qui permettent aux individus de rentrer dans un processus qui cherche construire d‟autres alternatives. Le noyau social de relations constantes est capable d‟apporter des réponses créatives des acteurs locaux aux défis existants dans un territoire, par exemple, les problèmes environnementaux, les défis du développement durable et de l‟agro-écologie.