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Actuellement nous sommes dans un changement de paradigme agricole. Les incertitudes du modèle productif sont une question essentielle en ce qui concerne l‟agriculture de demain. Ce changement se fonde sur une relation entre les périodes de modernisation de l‟agriculture et les répercussions négatives sur l‟environnement. L‟utilisation intensive d‟intrants chimiques, la pollution des eaux par l‟excès de nitrates, la recherche de productivité maximale, la réduction du nombre d‟agriculteurs, les problèmes socio-territoriaux et sanitaires… sont quelques exemples qui démontrent une crise du modèle dominant. En revanche, des modèles plus « alternatifs » émergent et essaient de développer un autre modèle agricole caractérisé par des structures à taille humaine (agriculture familiale/traditionnelle), de systèmes de commercialisation de vente directe (circuits courts) et d‟extension de pratiques agro- écologiques. C‟est donc ces idées, ces valeurs et ces conceptions que certains agriculteurs défendent en explorant de nouvelles pratiques doublement performantes (économiquement et écologiquement) tout en s‟engageant dans un processus de transition agro-écologique.

L‟agro-écologie se situe dans de débats plus larges que les questions d‟iniquité et non- durabilité (Stassart et al., 2012) et prend position par rapport à la crise que nos systèmes de production traversent. Actuellement, les systèmes agraires ont deux approches opposées : un modèle dominant qui se justifie par un discours construit autour de l‟argument « nourrir la planète » en s‟appuyant sur des logiques productivistes et un mouvement qui diversifie les modèles agricoles (Allaire, 2002).

Pérez-Vitoria et Sevilla Guzman (2008), critiquent l‟approche purement économiste de la production agricole, qui réduit l‟interaction existant dans le système à une « liste d‟ingrédients entrant dans la composition d‟un plat dont on ignorait le temps de cuisson ». Cela signifie une approche qui réduit le système de production à une vision mécanique de la production, sans prendre en compte la dimension temporelle, n‟analyse pas les éléments de co-évolution socio- technico-économiques du système et ni une dimension écologique sur laquelle se fonde l‟agro-écologie.

La production est directement liée aux conditions environnementales de chaque agro- écosystème, elle doit s‟adapter à celles-ci. Or, elle est énormément influencée par les facteurs socioculturels et organisationnels, indissociables des processus économiques et commerciaux, ils sont donc indispensables pour dégager un revenu suffisant de l‟activité agricole.

Aller vers un modèle de production basé sur l‟agro-écologie nécessite une période de transition qui amène à une confrontation d‟idées et d‟intérêts des différents acteurs. La consolidation de ces processus dépend de la génération et de la validation conjointe de pratiques nouvelles et alternatives. Ces pratiques découlent des connaissances et des apprentissages acquis et à acquérir de la part des agriculteurs (individus), des groupements d‟agriculteurs (collectifs). La rupture avec les systèmes agricoles précédents requiert une adaptation des filières, du marché, des politiques publiques d‟accompagnement.

La transition agroécologique vers des modèles de production plus durables se caractérise par des changements à plusieurs niveaux (socio-techniques, socio-économiques…). En effet, c‟est d‟abord l‟agriculteur qui les mène. Ces changements ne se font pas d‟un jour à l‟autre, au contraire, il s‟agit d‟un processus très varié dans lequel plusieurs éléments (motivation, valeurs, connaissances, environnement…) participent. Conjointement à ces phénomènes, la volonté de l‟agriculteur joue un rôle essentiel dans le passage vers la durabilité. Pour mieux comprendre la structuration des changements et les innovations potentielles, les niches individuelles et collectives nous révèlent à la fois la composition et les interactions des systèmes de production, mais aussi leur impact sur le régime et vice-versa. C‟est-à-dire, la relation inter-échelle entre les deux niveaux dans la progression vers un changement, cependant, dans certains cas elle peut aussi induire des effets de verrouillage.

Nous observons actuellement les différentes modalités de la transition vers des modèles de production plus durables et l‟intérêt existant de la part des acteurs agricoles ainsi que des acteurs de la recherche. En effet, cet intérêt se centre sur la tentative de conciliation entre les dimensions économique et environnementale. Parallèlement, au niveau de politiques agricoles, plusieurs programmes nationaux5 en plus des directives de l‟Union Européenne6 ont orienté vers l‟écologisation de l‟agriculture et donc montré une volonté de changement. Malgré l‟effort, cette orientation environnementale a pourtant un impact mineur sur les changements managériaux des pratiques agricoles (Mittenzwei et al., 2010 ; Lamine, 2011). Il y a donc des obstacles latents dans la diffusion et l‟adoption de modèles alternatifs (Bidaud, 2013) aux échelles micro et méso qui complexifient le changement socio-technique vers une agriculture durable à faveur du développement de l‟AB.

Ce registre montre aussi une volonté récente avec la mise en place du projet agro-écologique pour la France, initié en 2012 par le Ministère de l‟Agriculture. Ce projet a centré le développement auprès des agriculteurs de pratiques plus respectueuses à l‟environnement. Pour ce faire, la formation est devenu un volet clé pour favoriser les apprentissages et la création de collectifs d‟agriculteurs ayant de projets innovants est favorisée pour atteindre de systèmes de production performants aux niveaux économique, social et environnemental. L‟encouragement aux productions AB a été renforcé par le programme national Ambition Bio 2017, créé en 2013 en devenant une déclinaison du projet agro-écologique.

La volonté d‟évoluer vers une transition agro-écologique peut rencontrer en pratique plusieurs blocages, connus dans la littérature sous les noms lock-in et du path dependency. Par exemple, il existe de blocages doubles lorsque l‟agriculteur est traditionnellement incité à augmenter les doses d‟intrants chimiques (Walford, 2003) pour simplifier l‟organisation du travail et en même temps augmenter la productivité (logiques de modernisation des années 1960-1990). Il y a un double verrouillage si l‟agriculteur souhaite et/ou veut diminuer la quantité d‟intrants par le changement de pratiques. Comme l‟expliquent Vanloqueren et Baret (2008), le développement de nouvelles techniques alternatives et de stratégies sera pénalisé car les variétés sont déjà résistantes au dosage d‟intrants chimiques et la diminution pourrait être catastrophique au sein de l‟exploitation.

5 Plan pluriannuel de développement de l‟AB (1997) ; Plan Riquois (1998-2000) ; Plan Horizon (2008-2012), Plan Ambition

Bio (2013-2017)

6 Par exemple : Directives Nitrates (91/676/EEC), Directive-cadre Pesticides (2009/128/EC), Directive Plant protection products on the market (91/414-EEC)

De même, les effets du lock-in et du path dependency sont encore plus clairs quand nous voyons les effets historiques d‟une agriculture Européenne qui se modernise et installe un modèle productif. Cette modernisation a fait oublier une approche systémique préexistante et par conséquent les agriculteurs sont devenus de plus en plus dépendants d‟une agriculture utilisant intensivement les intrants chimiques. De plus, les agriculteurs qui n‟ont pas suivi ces itinéraires techniques ont été exclus du marché par les exigences de calibrage et même de qualités superficielles (exemple : la tomate parfaite à l‟extérieur et à l‟intérieur avec beaucoup d‟eau et sans goût). C‟est seulement à partir de la naturalisation des aliments et des critiques de la modernité alimentaire (Fischler, 1990 ; Poulain, 2002) que ces acteurs marginaux prennent une place dans le changement socio-technique. A partir de ce basculement de forces, l‟AB prend une place institutionnelle (échelle méso) et devient, d‟une certaine manière, une conquête des pratiques alternatives (même si actuellement la certification et le cahier de charges peuvent être critiqués).

Par ailleurs, la mise en place de pratiques agro-écologiques et l‟adoption de pratiques alternatives de la part de l‟agriculteur visent à trouver des solutions techniques. Parfois ces solutions techniques sont proposées comme des éco-innovations par les agronomes et/ou les conseillers agricoles. Cependant, elles débouchent sur des tensions dans le calendrier de travail et le revenu de l‟agriculteur (Munier-Jolain et al., 2008) ou bien par des propositions techniques qui sont issues de travaux faits à partir de l‟expérimentation dans les fermes pilotes (Bouchard et al., 2008). Ces exemples reflètent la difficulté existant entre le transfert des éco- innovations et les conditions particulières des agro-systèmes.

1.3. Développement de l’agriculture biologique : une voie de la transition agro-