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2.2. Changement de pratiques et innovation

2.2.1. Changement et apprentissage

La question du changement au niveau de l‟exploitation agricole a été étudié dans la littérature (Bateson 1972 ; Gafsi, 1997 ; Sutherland et al., 2012). Il est établi de séparer les changements en deux catégories : mineurs et majeurs. Les changements mineurs sont de nature incrémentale et qui sont faits petit à petit, alors que les changements majeurs arrivent comme une réponse aux événements déclencheurs (trigger events). Selon Sutherland et al., (2012), les changements majeurs se caractérisent par un choc externe dans la trajectoire de l‟exploitation qui provoque une réorientation d‟un certain nombre d‟activités et/ou ressources. En ce qui concerne un changement mineur, il se caractérise par une altération des activités dans l‟exploitation qui ne changent pas l‟orientation du système de production.

La conceptualisation des changements majeurs de Sutherland et al., (2012) est construite autour des typologies d‟agriculteurs, du « path dependency », des événements déclencheurs et des effets de verrouillage/déverrouillage… Le concept du « triggering events cycle » se focalise donc sur le rôle de ces événements déclencheurs qui modifient la direction du management de l‟exploitation.

Figure 9. Le cycle du changement

Source : Sutherland et al., 2012.

Les phases du cycle du changement

En suivant le « path dependency », le management de l‟exploitation s‟exprime par le maintien d‟un cap de changements mineurs (incrémentaux) jusqu‟à ce qu‟un événement majeur et/ou une opportunité arrive. Cela peut conduire à une prise de décision sur un changement majeur que l‟agriculteur pense mettre en place. Ces changements d‟activités suivent les niveaux présentés dans la figure du « cycle d‟événements déclencheurs ». Le premier répond à tous les éléments d‟un nouveau système qui « tient la route ». C‟est-à-dire qu‟il y a eu un investissement au niveau de compétences, d‟apprentissages et de technologies/techniques. L‟agriculteur va intégrer ces investissements dans une routine managériale, mais paradoxalement au moment où son système se stabilise et fonctionne comme il le souhaite, il va limiter ce changement majeur et fera plutôt de changements incrémentaux.

Dans une deuxième phase, l‟agriculteur va réagir à un certain nombre de chocs extérieurs qui deviennent l‟événement déclencheur en modifiant le « path dependeny » et donc le

management de l‟exploitation. Sutherland et al., (2012) concluent que ces événements déclencheurs proviennent de l‟acquisition de terres, d‟accidents (utilisation d‟intrants et autres), d‟un décès, de contraintes règlementaires ou d‟une valorisation sur le marché. Dans cette phase l‟agriculteur va évaluer et analyser les différentes opportunités, il va probablement changer de valeurs et parallèlement il va faire des apprentissages organisationnels et techniques pour faire face à ces événements déclencheurs.

La phase active d‟évaluation oriente la troisième phase où l‟agriculteur apprécie ses étapes de changement et se focalise sur les possibles options pour améliorer son système de production. C‟est un processus interactif du management organisationnel de l‟exploitation. En réponse, l‟agriculteur effectuera donc une évaluation pratique des différentes options et ressources et mettre en place des outils d‟évaluation. Il va entrer dans une dynamique d‟expérimentation, d‟échange et de travail collectif en réseau. Enfin, le management de l‟exploitation explore les champs économiques, sociaux et techniques pour changer son système de production.

Pour ce qui concerne l‟état d‟implémentation, le choix de l‟agriculteur est fait par la mise en œuvre d‟un « nouveau système ». L‟agriculteur s‟engage à faire les investissements structuraux du changement et développe des techniques managériales par l‟acquisition de nouvelles connaissances et la socialisation à partir d‟un travail en réseau.

Le cinquième niveau est composé par une phase de consolidation. D‟une part, il s‟agit des connaissances, de compétences et du travail en réseau développé par l‟agriculteur ; de l‟autre, une composante de succès, car l‟agriculteur met en place un nouveau système de production. Néanmoins, si l‟agriculteur identifie que sa nouvelle approche n‟amène pas de bons résultats, il retournera à la « phase active d‟évaluation » et va reconsidérer sa stratégie de management. Enfin, la dernière phase est le retour au « path dependency » où le management de l‟exploitation se trouve dans une période stable aux niveaux économique, technique et organisationnel. Cependant, le cycle peut recommencer dès que d‟autres chocs extérieurs arrivent et déclenchent le changement.

Cette conceptualisation du changement de pratiques a des implications très fortes. Dans un premier temps, elle évoque la dimension temporelle, mais aussi une échelle spatiale. En effet,

les changements majeurs sont directement liés aux chocs externes où les matrices du temps et de l‟espace (entourage) s‟articulent dans un ensemble d‟interactions entre ressources et activités managériales.

La question du changement, mineur ou majeur, renvoie à des processus d‟apprentissage et d‟innovation (Argyris, 1995 ;Argyris et Schön, 1996 ; Gafsi, 1997 ; Sutherland et al. 2012). Les changements ouvrent sur des situations d‟incertitude et résultent souvent d‟initiatives et d‟innovation à l‟échelle individuelle ou collective.

Le processus d‟apprentissage correspond à la fois à un processus cognitif (knowledge) et de modification du comportement (behavior). Mais aussi, il désigne un processus (learning,

process of gaining knowledge, knowing) et un résultat (knowledge gained). Il est donc un

phénomène individuel et un phénomène collectif.

Identifier les différentes approches développées pour accompagner l‟apprentissage en milieu rural, comme le fait Coudel (2009) nous relate une évolution des conceptions par un changement de nature progressif. Les concepts liés aux dispositifs d‟apprentissage dans le milieu rural commencent, historiquement, par les systèmes traditionnels de «vulgarisation» ou « consultancy service » en passant par les concepts de « communication » (Freire, 1968), de « learning proccess » (Dundon, 1991), de « communauté d’apprentissage » (Falk et Harrison, 1998), d‟«animation » (Salinas, 1999), d‟« apprentissage participatif » (Röling et Wagemakers, 1998), d‟« empowerment » (Storey, 1999), d‟« innovation rurale » (Leeuwis et van den Ban, 2004), de « social learning » (Sol et al., 2013), de « co-construction » (Kilelu et

al., 2013). La figure 10, présente donc la conceptualisation autour de l‟apprentissage en milieu

rural élaboré par Ellis et Biggs (2001), plus une continuation jusqu‟aux théorisations les plus récentes que nous avons ajoutées pour pouvoir positionner notre approche.

Figure 10. L‟apprentissage et ses approches en agriculture

Adapté du tableau de Elis et Biggs (2001)

Le développement de nouvelles pratiques est important pour la recherche agronomique, mais il nécessite une combinaison d‟approches gestionnaires et sociologiques où l‟apprentissage organisationnel devient une clé pour les transformations et la conception de systèmes agricoles innovants (Röling et van de Fliert, 1994). Dans ce cadre, l‟étude des processus d‟apprentissage s‟appuie sur l‟analyse des trajectoires des exploitations agricoles, en se focalisant sur les apprentissages de l‟agriculteur. En effet, l‟étude de la trajectoire nous permet une entrée plus détaillée sur les phases des changements. Pour mieux connaître en quoi consistent ces phases, nous regardons la conceptualisation du « management du changement » où les termes économiques de « lock-in » et de « path dependency » sont un outil d‟analyse pour comprendre le changement de pratiques agricoles (Sutherland et al., 2012). Bien que ces termes soient critiqués comme une approche simpliste (Haydu, 2010), déterministe (Putzel, 1997 ; Crouch et Farrell, 2004) et qui néglige le détail des activités humaines (Stack et Gartland, 2003). Ils aident à identifier les différents événements : investissement en capital, choix de commercialisation, agrandissement, installation d‟un proche, etc.